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roumanie - Page 9

  • Poésie et gravure

    Poésie, gravure, francophone, Roumanie, Cornelia Petrescu, Marc Pessin, Le verbe et l'empreinteCornelia Petrescu, Le sagittaire, Marc Pessin, Encres, Le verbe et l’empreinte, 2016

    Présentation :

    « Les poèmes de Cornelia reflètent des tensions contradictoires, tantôt vers une relation intime, profonde, avec la langue et le pays d’adoption, tantôt vers cette voix qui refuse de se taire, qui l’appelle du tréfonds de ses racines et qui n’est pas sans rappeler l’aveu d’un  autre  créateur  roumain  déraciné, Panaït Istrati : « Je suis venu dans les lettres françaises avec une âme roumaine, mais je dus lui prêter un masque français. Quand je tentai de rendre à cette âme son visage roumain, je ne le pouvais plus ; elle s'était éloignée avec un visage étranger »… Devenir conscient de soi incite à se voir avec les yeux de l’Autre. C’est ce que font Cornelia Petrescu, frêle mais fort saule pleureur, et Marc Pessin, qui nous parle autrement d’une vision identitaire. Cette rencontre, elle-même improbable, a mis en communication directe et empathique, dans un petit bourg blotti dans les Alpes, une Roumaine adoptée par la France et un Français connaisseur d’art et de poésie roumaine. En résulte un joyau inouï, limpide et tressé de mille fils invisibles qui font oublier le travail qui se cache derrière, le chagrin inguérissable qui nourrit la parole, les non-dits, les doutes et les questions sans réponse, pour éclater au grand jour comme un nuage délicat qui se dissout dans la lumière.»

                                                                                           Simona Modreanu

    (Docteur ès Lettres de l'Université Paris 7, écrivain, traducteur, professeur de langue et de littérature française à l'Université "Alexandru Ioan Cuza"de Iaşi)

    Poèmes accompagnés de 5 encres de Marc Pessin imprimés en Palatino sur conqueror vergé 21x30 cm en feuilles sous couverture gravée et estampée par MARC PESSIN. Édition tirée à 50 exemplaires numérotés et signés. Achevé en Avril 2016  pour les Éditions ‘’Le Verbe et l’Empreinte’’, atelier d’art à Saint-Laurent-du-Pont Isère.

    Un des 50 exemplaires : 80 €

    Cornelia Petrescu

    Née en 1938 dans une famille d’instituteurs de Bucovine (Nord de la Roumanie), elle a vécu son enfance pendant la période trouble de la guerre, suivie par l’absurdité de la dictature communiste. De formation scientifique, elle a travaillé comme ingénieur en Roumanie et en France où elle s’est exilée en 1986. Son attrait pour l’écriture naquit dans son pays d’adoption, comme un exutoire à la difficulté du déracinement qu’elle vivait.

    Ces poésies, qui marquent l’évolution de l’auteur sur la terre d’asile, sont publiées grâce à l’incitation de son éditeur Marc Pessin.

    Membre de l’Union des Ecrivains de Roumanie et de la Société des Ecrivains de Bucovine.

    Du même auteur:

    Cartes postales, roman en langue roumaine, Timpul  Iaşi/2014,

    La nuit des cigales, roman en langue française, Thot Grenoble/2004, traduit en langue roumaine, Junimea Iaşi /2012,

    Le cercle de Siméon, roman en langue roumaine,  Junimea Iaşi/2010,

    Les écorces d’orange, recueil de nouvelles en langue française, Mon petit éditeur Paris/2010,  

    Semper Stare, roman en langue française, L’Harmattan Paris/2007,

    Un autre regard (coauteur), album bilingue, Tipolidana Suceava/2004,

    L’apprentissage de l’humilité, roman en langue roumaine, Junimea Iaşi/2001,

    La première vie,  roman en langue roumaine, Noël Iaşi/1998,

    Rêve de chien. Rêve d’homme, nouvelle de début en langue française,  Vernet Isère/1990.

    www.cornelia-petrescu.info

  • Le secret d’Elena

    Roman, francophone, Roumanie, Liliana Lazar, Le Seuil, Jean-Pierre LongreLiliana Lazar, Enfants du diable, Le Seuil, 2016  

    Dans les années 1970-1980, la politique nataliste de Ceauşescu faisait des ravages : avortements clandestins, accouchements sous x, abandons d’enfants qui venaient remplir les orphelinats sordides. Dans ce contexte, Elena Cosma, sage-femme à Bucarest, célibataire en mal d’enfant, décide d’adopter le bébé de Zelda, l’une de ses patientes, avec l’accord de celle-ci. Au bout de quelque temps, Zelda devenant trop pressante auprès de l’enfant, Elena décide de demander sa mutation et de partir avec lui pour un « voyage sans retour » à l’autre bout du pays, dans un village de Moldavie, Prigor.

    À partir de là, les événements vont s’enchaîner rapidement. Le petit Damian, « enfant de Dieu », dont la beauté fragile ne rappelle en rien la physionomie robuste de sa « mère », et sur lequel courent diverses rumeurs, devient le souffre-douleur de ses camarades, tandis qu’Elena, la seule soignante du village, remplit le mieux possible sa mission d’infirmière pour une population dominée par la frayeur qu’inspire le « Despote » Miron Ivanov, maire du village. Désireuse d’étendre son activité, et aussi de se couler dans le moule politico-social de l’époque tout en gardant son secret familial, Elena propose aux autorités de créer un orphelinat à Prigor. L’établissement, installé dans une forêt à l’écart du village, est comme toutes les « maisons d’enfants » du pays un enfer pour ses pensionnaires, appelés (par allusion à leur « père » à tous, Ceauşescu) « enfants du diable »), qui survivent tant bien que mal (et parfois meurent) sous la férule des surveillants, mal nourris, privés de l’hygiène élémentaire et de tout ce qui fait les petits bonheurs habituels des enfants. Certains orphelins, issus du village, sont au cœur des mystères qui tournent autour d’Elena, de Damian, du maire Ivanov – et c’est ainsi que l’intrigue se faufile entre la réalité dramatique de cette période et les personnages lourds de leurs souffrances, de leurs silences, de leurs relations ambiguës, de leurs résignations et de leurs révoltes.

    Le récit foisonnant, mené d’une plume alerte et vigoureuse, court sur une bonne dizaine d’années. À travers les histoires individuelles et au-delà des profondeurs mystérieuses que recèlent les personnages, les événements et les lieux (le village reculé, la forêt, l’étang – motifs que l’on trouvait déjà dans Terre des affranchis), c’est aussi l’histoire de la Roumanie qui se déroule : la dictature, les malheurs de la population, surtout des enfants, la catastrophe de Tchernobyl dont le retentissement est clairement sensible, la « révolution » de fin 1989, l’apparition des « humanitaires », qui traînent eux aussi leurs ambiguïtés… Roman à la fois historique, social, psychologique, noir, Enfants du diable mêle avec bonheur la réalité et l’imaginaire, la narration sèche et les mystères de la poésie. Belle manifestation d’une écriture combinant la maîtrise consommée de la langue française et la perpétuation d’un certain esprit roumain.

    Jean-Pierre Longre

    www.seuil.com

  • Amour, lyrisme et mots

     

    Radu Bata à Lyon

    Le Consulat Général de Roumanie à Lyon vous convie, le mercredi 23 mars à 18h.00, à la Maison de l’Europe et des Européens, 242 rue Duguesclin 69003 Lyon, à la rencontre avec l’écrivain Radu Bata et le professeur Jean-Pierre Longre (Rhône Roumanie) pour discuter sur les interférences littéraires franco-roumaines, sur une géographie imaginaire aux frontières perméables.
    La soirée finira autour d’un cocktail offert par le Consulat Général de Roumanie à Lyon.

    CONSULAT GENERAL DE ROUMANIE A LYON
    29, rue de Bonnel 69003 Lyon
    Tél: 04.78.60.70.77, Fax: 04.78.60.70.94
    consulatroumanie.lyon@gmail.com

    Plus de préisions ici: affiche Radu Bata MDEE.pdf

    Radu Bata, Le philtre des nuages et autres ivresses, Éditions Galimatias, 2014

    poésie,francophone,roumanie, radu bata, éditions galimatias,jean-pierre longre

    Oui, dans Le philtre des nuages, le lyrisme et les jeux font bon ménage, ce qui n’est pas courant. Radu Bata, dans son précédent ouvrage, Mines de petits riens sur un lit à baldaquin, nous avait mis en condition, triturant la langue dans tous les sens de ses rêves et de ses insomnies. Ici, certes, nous retrouvons ce goût prononcé pour l’élasticité du verbe, pour les « champs sémantiques / du no man’s land », pour la musique des consonnes, pour les aphorismes détournés… Mais, dit-il, « derrière les mots il y a un mystère ».

    C’est ce mystère que, par la poésie, le « soigneur de mots », spécialiste de « la langue du doute », tente de percer. Les textes, aux titres intrigants, souvent décalés, ne manquent pas de réserver des surprises linguistiques, oniriques, humoristiques, satiriques – et les suites à caractère surréaliste, aux allures de cadavres exquis, voisinent sans anicroche avec la simple expression des sentiments humains, avec le lyrisme vrai de l’amour, seul capable « de dissiper / les nuages / qui s’amassent / sur ton front ».

    poésie,francophone,roumanie, radu bata, éditions galimatias,jean-pierre longreMais comment préserver la sincérité du cœur dans un monde où « les humains ne savent plus dire qu’amour de soi », dans un monde où les « enfants battus / de la prospérité » doivent fraterniser avec des « loups-garous avares » ou des « vampires malveillants » ? Comment l’individu, condamné à « vivre pluvieux », peut-il affronter les monstres modernes ? Radu Bata n’a pas perdu ses racines roumaines, qu’il revendique çà et là, et n’a rien oublié non plus de la beauté des nuages, de « l’harmonie cosmique », de la « langue du doute », des bienfaits du silence, ni de l’ivresse que procure la vraie poésie, celle de Rimbaud ou de Nichita Stanescu par exemple.

    C’est ainsi que Le philtre des nuages, en « poésettes » aux allures simples mais (mine de rien) finement élaborées, nous emmène « par des chemins de traverse » vers un « pays d’élection », celui où il fait bon, sous la houlette du langage, déguster les bonheurs distillés de la nature, de la tendresse et de la chaleur humaines.

    Jean-Pierre Longre

     www.editions-galimatias.fr  

  • Littérature au micro

    Essai, Roumanie, Lucian Raicu, Dominique Ilea, L’Harmattan, Jean-Pierre LongreLucian Raicu, Cent lettres de Paris, traduit du roumain par Dominique Ilea, L’Harmattan, 2016  

    Lucian Raicu (1934-2006), originaire de Iaşi, fameux essayiste dans son pays, fut obligé de quitter celui-ci en 1986. Exilé à Paris, il tint pendant les années 1990, au micro de Radio France Internationale, des chroniques littéraires destinées à ses compatriotes, qui furent réunies en volume en 2010. La traduction fort bien venue de cette centaine de textes montre que, pour oraux qu’ils fussent, chacun d’entre eux est une brillante et durable contribution à la connaissance de la littérature et de la pensée françaises. Comme l’écrit Dominique Ilea dans sa présentation, Lucian Raicu est un « maître du croquis au fusain, de la fléchette qui fait mouche, du petit angle insoupçonné qui vous redessine tout un paysage ».

    Dans un ordre chronologique, de Pascal à Deleuze, de La Fontaine à Blanchot, de Voltaire à Sartre, les grands noms du patrimoine sont passés au crible, avec un sens de la synthèse et une finesse d’analyse qui ne laissent de côté ni admiration ni concessions. Certains d’entre eux ont le privilège de faire l’objet de plusieurs articles, et nous trouvons ainsi des sortes de blocs comparables à de véritables essais sur, par exemple, Voltaire, Michelet, Mauriac, Sarraute… Parmi les écrivains choisis, comme on pouvait s’y attendre, des mentions spéciales pour plusieurs franco-roumains : Benjamin Fondane, qui « se sent comme un poisson dans l’eau dans la littérature française » ; Ionesco, avec lequel l’auteur s’est senti en émouvante affinité en traversant le Louvre dans le bus 39 ; Cioran, le « prophète de la “décomposition” »… Sans compter tous ceux que l’on rencontre au passage, et dont l’abondance est attestée par l’index de fin de volume.

    Si la plupart des textes ont pour centre les écrivains, ils n’ont rien de principalement biographique. Ceux-ci sont des supports, des points de départ pour une réflexion sur la littérature, sur la philosophie, sur les rapports qu’elles entretiennent. Il peut s’agir d’une méditation désabusée, à propos de Verlaine, sur la mort des poètes et le peu de retentissement qu’elle a à notre époque, ou de considérations sur un genre remis à la mode dans les années 1990, la biographie d’écrivain. Et tout au long des pages se pose ouvertement ou en filigrane la question de la littérature, de sa définition, de sa finalité, de sa vitalité. À ce sujet, voici une réflexion qui a d’autant plus de poids qu’elle vient d’un exilé politique : « Les grands écrivains inventent un langage, voire une autre langue, qui se démarque étrangement de la collective, la défie, la sape, niant sa globalité, ses prétentions autoritaires, son totalitarisme, sa dictature (une dictature de la « majorité » dominante) ».

    Ces Cent lettres de Paris envoyées aux auditeurs puis aux lecteurs roumains, revenues en France par le truchement de la traduction, proposent à chacun de tracer son itinéraire dans les immensités de la littérature. Un guide inépuisable…

    Jean-Pierre Longre

    www.harmattan.fr

  • Intrigues danubiennes

    Roman, francophone, Roumanie, Irina Adomnicai, L’Harmattan, Jean-Pierre LongreIrina Adomnicai, Amours de contrebande, L’Harmattan, 2015  

    De prime abord, on met en doute le genre annoncé sur la couverture, « roman ». Car le livre se compose de trois récits apparemment autonomes : « Le Fossoyeur du Danube », qui relate l’histoire de Basile, dont le métier est d’enterrer les cadavres des anonymes qui, en tentant de fuir le pays, se sont noyés dans le Danube ; « Pas de deux », où un Français, Florian Duverger, venu en Roumanie pour vendre la maison de sa grand-mère, y fait d’étranges rencontres ; « l’île de l’âme », dont le personnage principal – en dehors de deux scientifiques, l’un roumain, l’autre français, qui mènent des expériences délicates – est pour ainsi dire Adda-Kaleh, « l’île fortifiée », petite « virgule » de terre dont la vie si diverse au fil des siècles fut submergée par la construction du barrage de Turnu-Severin, entre la Roumanie et la Yougoslavie, mais qui semble revivre par la narration.

    Trois récits donc, mais dont on comprend, à mesure qu’on avance dans leur lecture, qu’ils sont attachés au fil du Danube, qui en forme le liant romanesque. Mais ce liant est aussi assuré par les destinées hors-normes des personnages, par leurs rencontres, leurs discussions, leurs confrontations, par les « amours de contrebande » que les hommes tentent de vivre en se raccrochant au réel, les femmes à l’imaginaire (pour schématiser). L’imaginaire, le rêve, le cauchemar parfois se construisent sur le réel politico-historique de la dictature communiste, sur des descriptions tangibles de paysages ruraux ou urbains, sans négliger la satire à laquelle la vie imposée par le régime prête le flanc, ni les allusions à quelques légendes traditionnelles. Par-dessus tout, « les ombres, le double, l’âme immortelle… », mais « on trouve rarement le dernier mot de l’énigme qui aimante la douloureuse algèbre du destin humain. ».

    Irina Adomnicai, dont l’activité de psychanalyste n’est peut-être pas étrangère aux mystères qui entourent et que recèlent les personnages, signe là un roman dense, complexe, sous-tendu par une poésie puissante et baroque, dans lequel le Danube, impassible et bouillonnant fleuve « magnétique », joue un rôle démiurgique, « le Danube qui paraissait traverser tous les dommages subis, comme si de rien n’était. ».

    Jean-Pierre Longre

    www.harmattan.fr

  • Prendre le temps

    Invité par le Consulat Général de Roumanie à Lyon, en partenariat avec l’Institut Culturel Roumain de Paris et TVR Iaşi, Matéi Visniec sera à Lyon les 16 et 17 février 2016, au cinéma La Fourmi et à la Maison de l’Europe et des Européens. Pour toutes précisions, voir ICI

    Matéi Vişniec, Le marchand de premières phrases, traduit du roumain par Laure Hinckel, éditons Jacqueline Chambon, 2016

    Roman, Roumanie, Matéi Visniec, Laure Hinckel, Jacqueline Chambon, Jean-Pierre Longre

    Kaléidoscope, n.m. 1. Petit instrument cylindrique, dont le fond est occupé par des fragments mobiles de verre colorié qui […] produisent d’infinies combinaisons d’images aux multiples couleurs. 2. Fig. Succession rapide et changeante (d’impressions, de sensations, d’activités). (Le Petit Robert). Vérification faite par le lecteur des 350 pages qui le composent, Le marchand de premières phrases est bien un « roman kaléidoscopique », comme l’annonce son sous-titre. Succession et retours périodiques de personnages, d’intrigues, d’images, de rêves, de questions, d’aventures auxquels correspondent des styles divers, adaptés aux situations.

    Le narrateur, romancier de son état, est à la recherche de la première phrase idéale, et pour cela compte sur Guy Courtois, « marchand de premières phrases », avec lequel il se met à correspondre et qui, dans ses lettres envoyées des plus fameux cafés d’Europe, cite les premières phrases de nombreux romans célèbres d’écrivains de toutes langues. Voilà le fil conducteur, la justification du titre, la trame narrative principale – sorte d’autobiographie littéraire du romancier en quête de sujets et de personnages. Mais se tissent progressivement et en alternance d’autres histoires dont chacune forme peu à peu un tout. Il y a celle de X. qui se réveille dans une ville désertée de tous ses habitants et qui va se lancer dans l’exploration de plus en plus délirante des moindres recoins de ce monde figé ; celle des amours avec une certaine Mademoiselle Ri, à qui sont adressés des poèmes de plus en plus érotiques ; celle de Monsieur Busbib, concierge, qui décide de dresser la liste de tous les problèmes du monde par ordre d’importance. Il y a les rêves, relatés dans des comptes rendus qui poussent à la réflexion et aux classements (« rêves fragmentaires », « rêves persistants » ou « rêves-amortisseurs », « rêves-scénarios ») ; la correspondance échangée entre Guy Courtois et Bernard, qui tient une librairie fourre-tout où ont trouvé refuge le narrateur et Mademoiselle Ri, et qui surveille le travail de l’écrivain. Il y a les incursions dans le passé roumain, avec les souvenirs, notamment, du « restaurant des écrivains » qui, à l’époque communiste, se trouvait dans la Casa Monteoru, où paraissait régner une (toute relative) liberté intellectuelle, qui est devenue pour le jeune poète « la citadelle à conquérir », et dont il s’apercevra plus tard qu’elle était truffée de micros à l’usage des espions de la Securitate. On assiste avec un certain effroi au travail d’une machine à écrire des romans, « Easyteller », et avec empathie à la révolte des écrivains roumains contemporains, qui se mettent en grève pour faire reconnaître au monde leur littérature trop méprisée, trop injustement méconnue, dans l’histoire de laquelle ne figure aucun Prix Nobel !

                       « Assez !

                       Assez du mépris et de l’indifférence de l’Occident

                       pour la littérature roumaine.

                       Écrivains roumains, vous méritez pleinement

                       un prix Nobel de littérature !

                       Ne vous laissez plus déposséder de la reconnaissance mondiale !

                       Exigez la récompense suprême !

                       Exigez la visibilité culturelle !

                       Un Nobel pour la Roumanie – maintenant ! »

     

    On l’aura compris, un tel foisonnement romanesque ne se résume pas. Dans ce que Mademoiselle Ri dénonce comme un « incroyable désordre », voire « un tel bordel », chacun trouve ce qu’il cherche, en faveur de la littérature (la vraie), contre une société qui ne fonctionne que sur les automatismes et l’éphémère, une société qui ne sait pas persévérer, et que la littérature pourrait sauver. « Ce qu’est un roman ? Avant tout, c’est une quantité de temps. Quand vous voyez un roman dans une librairie, si vous êtes un peu attentif, vous pouvez évaluer immédiatement la quantité de temps qu’il contient. Et cela dans un double sens : le temps qui a été nécessaire à l’auteur pour l’écrire et le temps qu’il vous faudra pour le lire. ». Le marchand de premières phrases est un roman multiple, qu’il faut absolument prendre le temps de lire, en suivant tous les chemins qu’il propose.

    Jean-Pierre Longre

    www.actes-sud.fr/departement/jacqueline-chambon 

    www.visniec.com

  • Combats contre la dictature

    autobiographie,francophone,roumanie,sorin dumitrescu,éditions le ver à soieSorin Dumitrescu, Irrévocable ! éditions Le ver à soie, 2015

    Présentation de l’éditrice :

    « Malgré les engagements internationaux pris par la Roumanie lors de la ratification de l’Acte constitutif de l’UNESCO et de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, Sorin Dumitrescu, Directeur de la Division des sciences de l’eau de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Sciences et la Culture (UNESCO), fut retenu dans son pays par le régime dictatorial de Nicolae Ceauşescu entre 1976 et 1978 : une période pendant laquelle il fut sujet à une longue série de pressions et de harcèlements. Pour la première fois, et contrairement aux dispositions de l’article VI de l’Acte  constitutif auquel il avait souscrit, un gouvernement membre de l’Organisation « assignait à résidence » un fonctionnaire international dans son pays d’origine, l’empêchant ainsi d’accomplir la mission que lui avait confiée l’UNESCO. Pour la première fois également, le Directeur général de l’UNESCO se trouvait dans l’impossibilité d’assurer son autorité sur un fonctionnaire de l’Organisation, en conformité avec les obligations qui résultaient pour lui de l’engagement qu’il avait souscrit au moment de sa nomination. 

    C’est d’abord ce combat acharné contre le régime communiste dictatorial que raconte ce livre. Pendant deux ans, Sorin Dumitrescu va devoir déjouer un à un tous les pièges que lui tend la Securitate. C’est ainsi qu’au fil de situations authentiques qui ne manquent pourtant pas de rappeler les grandes heures du récit d’espionnage, l’auteur déroule sous nos yeux la véritable partie d’échecs qui l’oppose au gouvernement roumain et à Ceauşescu  personnellement pour parvenir à sortir de son pays et recouvrer son droit à accomplir ses devoirs de fonctionnaire international. Pourtant, au-delà du récit détaillé des stratégies ubuesques de la dictature roumaine à son égard, c’est aussi à la découverte de l’histoire récente autant que passionnante de l’UNESCO que ce livre nous entraîne. Un livre, dans lequel on ne se lasse pas non plus de découvrir avec étonnement le caractère arbitraire et parfois tout aussi ubuesque des règles auxquelles les demandeurs d’asile pouvaient être confrontés dans la France des années 1980. »

    Né en Roumanie en 1928, Sorin Dumitrescu est ingénieur hydraulicien et docteur en hydrologie. De 1959 à 1969, il a dirigé l’Institut de recherches hydrauliques de Bucarest. À partir de 1964, il a participé à la planification et à la mise en oeuvre de la Décennie Hydrologique Internationale (1965-1974), lancée par l’UNESCO. En 1969, il fut nommé Directeur de l’Office d’hydrologie de l’UNESCO et commença une carrière internationale. Envoyé en mission officielle dans la Roumanie de 1976, il sera empêché de quitter le pays par le régime dictatorial de Nicolae Ceauşescu. Il fit l’objet de diverses formes de répressions, malgré l’immunité conférée par son statut de fonctionnaire international. Après le combat acharné que raconte ce livre, et soutenu par le Directeur général et le Conseil exécutif de l’UNESCO, il a enfin pu rejoindre son poste à Paris en 1978. Il a ensuite fini sa carrière en tant que Sous-Directeur général de l’UNESCO.

    http://www.leverasoie.com

     

  • « Plus qu’on ne puisse imaginer »

    roman,roumanie,gellu naum,luba jurgenson,sebastian reichmann,éditions non lieu,jean-pierre longreGellu Naum, Zenobia, traduit du roumain par Luba Jurgenson et Sebastian Reichmann, éditions Non Lieu, 2015

    Gellu Naum (1915-2001) est l’une des figures majeures du surréalisme roumain. Étudiant, il fréquenta Breton et d’autres membres du groupe parisien, se lia d’amitié avec Benjamin Péret et Victor Brauner… Revenu à Bucarest, il fonda après la guerre de 39-45, avec Gherasim Luca, Paul Păun, Virgil Teodorescu, le groupe surréaliste roumain, dont l’activité fut rapidement contrecarrée par la dictature. Gellu Naum ne s’exila pas, ou disons que son exil fut intérieur : poursuivi et fragilisé par la bureaucratie et la censure, il s’installa à Comasa, village situé à quelques dizaines de kilomètres au sud de la capitale. C’est là qu’en 1985 il écrivit Zenobia, récit surréaliste et « rhoman » d’amour (orthographe de l’auteur), dont l’héroïne est inspirée par Lyggia, l’épouse tant aimée, dont le livre contient quelques gravures.

    Surréaliste, ce récit l’est assurément : le rêve et la veille, le réel et l’imaginaire, les pressentiments et les surprises, l’amour fou, les « signes » du hasard objectif et la « disponibilité » du sujet, tout est réuni de ce que Breton avait défini bien des années auparavant. Des leitmotive tels que « Je t’aime plus qu’on ne puisse imaginer » poussent d’ailleurs jusqu’au bout la démarche surréaliste. Et l’héroïne, Zenobia, se situe, avec les variations de rigueur, dans la lignée de l’Aurélia de Nerval, de la Nadja de Breton, de l’Aurora de Leiris, voire de la Nébuleuse de Fernand Dumont – ces femmes-fées qui sont le fruit des rencontres réelles et de l’onirisme magique.

    Le livre de Gellu Naum, pour poétique qu’il soit, répond aussi à des critères romanesques, dans sa continuité : retours de personnages identifiés, parcours géographiques circonscrits depuis marécages jusqu’aux marécages en passant durablement par la ville, Bucarest, digressions vers des épisodes imaginaires ou très réels (toutes ces nouvelles du monde qui se précipitent, s’entrechoquent, délivrées par la reproduction textuelle d’entrefilets journalistiques), et le temps qui blanchit les cheveux. Par-dessus tout, l’amour qui demeure fidèlement, jusqu’au bout.

    Une belle réédition, à recommander à l’occasion du centenaire de la naissance de Gellu Naum.

    Jean-Pierre Longre

    www.editionsnonlieu.fr    

    P.S. : Les éditions Non Lieu poursuivent par ailleurs la publication de Titanic, bulletin de l’association Benjamin Fondane, avec le n° 3 intitulé : Vérité et paradoxe, Kierkegaard, Fondane et la philosophie (actes des rencontres d’avril 2014 à l’Université de Namur).

    http://www.benjaminfondane.org/association-benjamin-fondane.php

     

  • Explosante-fixe

    roman,francophone,roumanie,irina teodorescu,gaïa-éditions,jean-pierre longreIrina Teodorescu, Les étrangères, Gaïa, 2015

    Le nouveau roman d’Irina Teodorescu ne laisse pas le lecteur en repos ; c’est tant mieux. De l’image à jamais fixe de la photographie à l’incessant mouvement circulaire de la danse, il doit se frayer son chemin, le lecteur. Et entre les deux formes artistiques, une troisième s’impose, qui fait le lien : la musique, sonore ou silencieuse. En outre, il y a les voyages, les va-et-vient entre Bucarest et Paris, entre la ville étrange et reposante de Kalior (la plus belle, sans doute) et l’Europe – et par-dessus tout, l’amour.

    La narration est multiple, en instantanés, en spirales, en arrêts sur image, en bonds, autour des deux protagonistes. Il y a d’abord Joséphine, petite puis jeune fille franco-roumaine, élevée sous la dictature de Ceauşescu mais pouvant circuler, avec ses parents, entre la Roumanie et la France. Amoureuse de sa professeure de violon, puis passionnée de photographie, elle sacrifie ses études et ses diplômes à cette passion qui lui vaut un succès international. Et c’est le grand amour : celui de Nadia, la ronde danseuse, avec qui elle va tout partager (la vie, l’art, les voyages, les confidences), et qui va peu à peu se raconter elle-même, raconter leur existence fusionnelle. « Pendant quatre ans, Joséphine et moi fûmes un seul corps. Comme des amantes siamoises. ». Et puis les séparations, les retours, la fuite solitaire vers un ailleurs situé entre veille et rêve, un espace à la fois mouvant et immobile.

    Les étrangères (aux autres, à elles-mêmes, au monde) est un roman de l’entre-deux (entre deux pays, entre deux langues, entre deux arts, entre réel et imaginaire, entre fusion et séparation…) et de la quête d’un absolu artistique : photographier l’invisible (la musique, l’intérieur des gens), danser sur le silence, fixer le mouvement – comme l’image « explosante-fixe » de la « beauté convulsive » chère à André Breton. C’est aussi, et surtout, le roman d’une écriture ; celle d’une auteure qui a appris la langue française à l’âge de 19 ans, et qui quinze ans plus tard parvient à la maîtriser au point de la rendre malléable, et, tout au long de ces 200 pages, d’adapter son style à celui des protagonistes, de leur âge, de leurs préoccupations, de leur tempérament. Laisser leur liberté d’expression à ses personnages, voilà un bel idéal romanesque.

    Jean-Pierre Longre

    www.gaia-editions.com  

     

  • L’ombre du temps

    Horia Badescu, Roulette russe, Chants de vie et de mort, peintures d’Anne Slacik, L’herbe qui tremble, 2015

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    « Chaque poème est un battement de cœur

    Dans chaque battement de cœur vit la mort ».

    Ainsi finit le premier poème, qui donne son titre au recueil. L’apparente opposition entre vie et mort, transformée par la plume du poète, n’en est plus une, tant les deux sont étroitement  unies :

    « Heureux sois-tu

    toi dont l’âme est emplie de morts.

    Ils sont là plus vivants

    que jamais. »

    Cette unité commande la thématique centrale, celle du temps, le « vieux Chronos » qui apporte « l’obstination » de la vieillesse, et qui préside à tout : l’ombre et la lumière, la joie et la tristesse, les « comptes obscurs » des jours, des heures, des années, les traces des visages croisés, des sentiments éprouvés, les paysages, la nature, cette nature qui entretient un lien intime et sacré avec l’humanité : le « frère vent », la « sœur pluie », « la poussière qui se souvient », et

    « Le brin d’herbe dans le ventre

    Du frimas

    Avant qu’il ait gagné

    L’immortalité ».

    Oui, l’immortalité que suggèrent les profondes et infinies peintures d’Anne Slacik illustrant le recueil, la langue à la fois limpide et dense de Horia Badescu, et l’épitaphe finale, en une fusion de la vie et de la mort :

    « Même la mort

    pareille à sa bien-aimée

    l’a charmé ! ».

     

    Jean-Pierre Longre

    http://lherbequitremble.fr

     

  • Entre philosophie et littérature

    philosophie,littérature,roumanie,benjamin fondane,monique jutrin,parole et silenceBenjamin Fondane, Entre philosophie et littérature. Textes réunis par Monique Jutrin, Parole et silence, 2015

    Présentation de l’éditeur :

    « Benjamin Fondane avait songé à réunir ses articles en volume, ainsi qu’il le rappelle dans son testament littéraire de Drancy. Aussi, en rassemblant ces textes épars, auxquels sont joints des inédits, nous avons la sensation de réaliser un vœu de l’auteur.

    Si ces écrits des années vingt et trente peuvent intéresser le lecteur d’aujourd’hui, c’est que Fondane y a pris position dans les grands débats de son époque, tant littéraires et philosophiques qu’idéologiques : à propos de Dada et du surréalisme, du marxisme, de la psychanalyse, des liens entre poésie et métaphysique, de la lecture de Rimbaud ou de Lautréamont, pour ne citer que quelques sujets.

    Un grand nombre d’articles qui se présentent comme des comptes rendus sont en réalité des textes polémiques où Fondane se mesure à un auteur ou à une idée. Dès l’abord, nous sentons qu’il traque quelque chose, qu’il est à l’affût, et son diagnostic est souvent implacable. Il en veut à ceux qui désirent conclure à tout prix et prétendent résoudre les contradictions, et  pourfend ceux qui tentent de mesurer l’art à l’aide de schémas grossiers, le soupesant à l’aide de systèmes établis. Il s’agit toujours d’une lecture profondément engagée, souvent aimantée souterrainement par la pensée de Léon Chestov.

    Fondane suit les consignes de Nietzsche, pour qui l’art de la lecture réside dans la faculté de ruminer : transformer, pour s’en nourrir, le texte d’autrui et en faire son propre matériau. En refermant ce livre, le lecteur reste impressionné par le vaste champ de connaissances de l’auteur dans des domaines aussi divers. Mais avant tout s’inscrivent en lui la voix de ce lecteur singulier, à qui rien n’est indifférent, le regard incisif de celui à qui rien n’échappe. »

    www.paroleetsilence.com

     

  • Passeur de littérature

    revue,francophone,roumanie,marius daniel popescu,jean-pierre longreJournal Le Persil n° 100, puis 101-102-103, automne 2015

    Marius Daniel Popescu aime la vie quotidienne, il aime les gens qui la traversent et la peuplent, et des moindres gestes, des moindres objets, des moindres mots s’échappent sous sa plume des paysages nouveaux – par la parole, le souvenir, l’imagination. Le banal, chez lui, ne l’est jamais; de l’ordinaire naît l’extraordinaire. S’il est besoin de le prouver encore, le numéro 100 du Persil, « journal qui cultive le goût de la cuisine des mots de chaque jour », le fait à merveille. Des poèmes nouveaux, et deux extraits d’un roman à venir (et attendu), Le Cri du barbeau : l’un puisé dans un épisode de la vie actuelle – petits incidents et conversations paisibles –, l’autre dans les souvenirs des « travaux patriotiques » organisés par le « parti unique » – ramassage obligatoire de pommes de terre par les étudiants, sous la surveillance des professeurs d’université, à l’époque de la dictature en Roumanie.

    revue,francophone,roumanie,marius daniel popescu,jean-pierre longreCette centième parution, donc, qui dresse aussi la liste des 99 précédentes, avec tous les détails sur leur sommaire, contient « des textes d’un seul auteur ». Mais le numéro triple qui suit dans la foulée (101-102-103) est, comme la plupart des précédents, laissé à la disposition d’autres auteurs de la Suisse romande (Ivan Farron, Serge Cantero, Bertrand Schmid, Janine Massard, Silvia Härri, Ferenc Rákóczy, Lucas Moreno, Lolvé Tillmans, Dominique Brand, Heike Liedler, Michel Layaz) et de Sanaz Safari, écrivaine iranienne qui, grâce à David André et Marius Daniel Popescu, publie ici ses deux premiers textes écrits en français, « à l’attention d’un lectorat dont elle ignore tout ».

    revue,francophone,roumanie,marius daniel popescu,jean-pierre longreRoumanie, Suisse romande, Iran, et tous les espaces que l’écriture laisse entrevoir : Le Persil, « parole et silence », est un généreux passeur de littérature, au plein sens de l’expression.

    Jean-Pierre Longre

    www.facebook.com/journallitterairelepersil

    mdpecrivain@yahoo.fr

    lepersil@hotmail.com

     

  • Une revue d’écrivains


    Revue
     Seine et Danube, nouvelle série, n° 2, Non lieu, 2015

    revue,francophone,roumanie,seine et danube,éditions non lieu,jean-pierre longre

    Le deuxième numéro de la revue Seine et Danube « nouvelle série », dirigée par Virgil Tanase, tient les promesses du premier (et des sept qui ont précédé il y a quelques années), aussi bien par ses qualités formelles que par l’exigence de son contenu.

    Une bonne partie du volume est consacrée à un dossier Sorin Titel (1935-1985), « grand prosateur de l’époque 1960-1980 », dont la palette d’écriture s’étend d’un relatif réalisme traditionnel à l’expérimentation personnelle. Des fragments de son œuvre (Le déjeuner sur l’herbe et Femme, voici ton fils) sont ponctués par des présentations claires et des analyses fouillées de spécialistes (Liviu Ciocarlie, Marian Victor Buciu, Nicolae Barna). Une belle incitation à (re)découvrir un écrivain à la fois roumain et « européen ».

    Suit une sélection de textes : des pages d’Édith Azam, romancière française originale, à la prose exigeante, intitulées « Caméra » ; des poèmes de Ion Mureşan naviguant entre quotidienneté et « onirisme » particulier, d’autres de Paul Vinicius, poète au verbe à la fois charnel et lyrique, de la même génération que le précédent et lui aussi l’une des grandes voix de la poésie roumaine contemporaine – tous deux ici traduits, qui plus est, par deux vrais écrivains, respectivement Nicolas Cavaillès et Radu Bata.

    Des notes critiques sur des parutions récentes (La malédiction du bandit moustachu d’Irina Teodorescu, Les vies parallèles de Florina Ilis, Le levant de Mircea Cartarescu, Pourquoi le saut des baleines de Nicolas Cavaillès, Le fil perdu de Jacques Rancière, Terminus Allemagne d’Ursula Krechel) et, toujours précisément ciblées, les « Frappes chirurgicales » de Dumitru Tspeneag, rédacteur en chef, complètent un ensemble de haute tenue littéraire, une revue construite sur et par des écrivains, pour des lecteurs qui – oui, il y en a encore, sûrement – s’intéressent à la littérature et aux liens culturels qui unissent la Roumanie et la France.

    Jean-Pierre Longre

    www.editionsnonlieu.fr

     

  • Le jeu, l’absurde, la création

    poésie,roumanie,călin torsan,jean-pierre longre,gabrielle danouxCălin Torsan, Brocs en stock, « Miniatures dont l’émaille s’écaille », traduit du roumain par Gabrielle Danoux, 2015

    Le titre choisi par la traductrice (au plus près, formellement parlant, de l’original) sonne comme celui d’un album d’Hergé. De fait, ce recueil plein de surprises (heureuses), ces textes pleins de retournements (déroutants) penchent souvent du côté du jeu : jeux de sonorités, de mots, de lettres même. Certains passages ne dépareraient pas dans un ensemble d’exercices oulipiens, tels « Le ciron devenu étalon », qui utilise la technique de la « littérature définitionnelle » illustrée par Raymond Queneau, ou « Le retour de Bob », dans lequel la recherche de l’inspiration passe par les citations de grandes œuvres du patrimoine.

    Si les auteurs célèbres sont parfois sollicités, Călin Torsan semble avoir une prédilection pour l’obscur et l’anonyme. Prédilection, par exemple, pour les écrivains et les artistes méconnus, oubliés, voire fictifs, dont les ambitions sont contrecarrées par des contraintes matérielles, par la malchance ou tout bonnement par le manque de talent – parfois même par le hasard d’une goutte de sueur (le grand Eminescu devenant un certain « Eminesou », ou l’inverse ?). D’ailleurs les détails de la vie quotidienne (la cuisine, la télévision, les transports en commun, on en passe) interfèrent abondamment dans l’existence des personnages, provoquant des réactions ou des rapprochements inattendus. Et cela jusqu’à l’absurde, à l’énigmatique, mêlant parfois le rêve et la veille, les affres du cauchemar et les plaisirs de la réalité.

    Sans oublier l’humour, omniprésent : humour noir, grivoiserie, rire burlesque, noms rigolos, comique de situation, ironie, satire… Toutes les tonalités y passent, de la franche bonne humeur à la dérision. Mais le rire est rarement gratuit. Il entre dans ce que l’on peut considérer comme le sujet principal de l’ouvrage (dont les 220 pages, soit dit en passant, contiennent de nombreux autres ouvrages en germe, esquissés, suggérés) : les processus de création artistique, littéraire, linguistique, autrement dit la manière dont l’être humain tente d’exprimer ses sentiments et ses sensations. Et si l’on peut faire ici différents  rapprochements (avec Borges, Queneau déjà cité, Kafka, Ionesco, Urmuz…), Călin Torsan se révèle comme un écrivain complet et orignal. Brocs en stock le prouve.

    Jean-Pierre Longre

    http://www.babelio.com/livres/Torsan-Brocs-en-stock/772552

    P.S.: Gabrielle Danoux a aussi traduit récemment Le collectionneur de sons d’Anton Holban, « le plus proustien des écrivains roumains ». Chronique à venir ici.

     

  • « Entre toi et moi ». Mère et fils


    Marius Chivu, La ventolière en plastique, traduit du roumain par Fanny Chartres, illustrations de Dan Stanciu, M.E.O., 2015

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                                « elle dit qu’elle est la ventolière en plastique

                                me chuchote qu’elle a des robes en kiwi

                                des pulls en bois parfumé

                                un jardin de macarons

                                et des plages de sables parlants ».

    Un poème surréaliste ? Oui, si l’on veut, mais forgé par une femme paralysée, amnésique, pour laquelle son fils aimant, aux petits soins avec elle, a écrit les beaux textes en vers livres qui composent ce recueil.

    Pas de pathos, pas de lamentations grandiloquentes, mais des paroles simples, celles que le jeune homme adresse à celle qui, encore jeune elle-même, lui adresse en retour des regards, lui fait des demandes parfois étranges, lui répercute les rêves qui hantent son sommeil… Par-dessus tout, l’amour mutuel, filial et maternel, qui s’exprime jusque dans les silences, à travers les gestes banals de la vie quotidienne, les sensations physiques, les souvenirs d’enfance.

    Dans une typographie expressive (les italiques, les caractères gras), tout s’exprime en collages de mots et de phrases dont le voisinage crée l’étincelle poétique – comme cela se passe en images avec les illustrations de Dan Stuciu –, et qui abordent les grandes préoccupations de l’existence humaine : le temps, la mémoire, la mort, la perte de soi et de l’autre, la religion, la musique, la famille, le rire et les pleurs, la souffrance, la nature, le cycle des saisons… Le travail littéraire (et, dans le cas présent, celui de la traduction) n’exclut pas l’émotion, au contraire. Il tend ici vers le témoignage d’un amour sans faille (« Pour lui montrer à quel point je l’aime / mes cheveux ont blanchi ») qui reconstruit, au-delà de la maladie et du chagrin, une personnalité bien vivante :

                                « son monde

                                est resté malgré tout ordonné et propre

                                réglé

                                pas un instant il n’a cessé de tendre

                                vers l’harmonie »

    Jean-Pierre Longre

    www.meo-edition.eu