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  • « Je parle d’homme à homme »

    Poésie, Essai, francophone, Roumanie, Benjamin Fondane, Patrice Beray, Michel Carassou, Monique Jutrin, Henri Meschonnic, Agnès Lhermitte, Serge Nicolas, Non Lieu, Verdier, Jean-Pierre LongreBenjamin Fondane, Le mal des fantômes, édition établie par Patrice Beray et Michel Carassou avec la collaboration de Monique Jutrin. Liminaire d’Henri Meschonnic, Non Lieu / Verdier Poche, 2006, rééd. 2025

    Né à Iaşi (Roumanie) en 1898, mort à Auschwitz en 1944, Benjamin Wechsler, devenu ensuite B. Fundoianu puis Benjamin Fondane, manifesta très tôt son intérêt pour la littérature française en publiant en roumain, en 1921, Images et livres de France, contenant des textes sur Baudelaire, Mallarmé, Gide et quelques autres, préfigurant des essais à venir publiés à Paris, où il s’installe dès 1923. « Importateur de culture européenne », selon la formule de Petre Raileanu, il joue un rôle décisif d’une part dans les mouvements de va-et-vient entre l’Est et l’Ouest, d’autre part dans la vie culturelle française et européenne. « De Dada à l’existentialisme, Benjamin Fondane a […] parcouru un long chemin avec la pensée de son temps. Témoin lucide et exigeant, il l’a accompagnée et bien souvent précédée, au risque de ne pas être entendu par ses contemporains », a écrit Michel Carassou.

    Penseur, critique, homme de théâtre, Fondane fut aussi – et surtout, devrions-nous dire – un grand poète de langue française. La réunion et la réédition chez Verdier de ces cinq livres de poèmes est salutaire, et d’ailleurs conforme au désir exprimé par le poète dans une lettre envoyée à sa femme depuis le camp de Drancy, avant de partir vers la mort.

    Cinq livres, donc : Ulysse (publié en 1933, remanié jusqu’en 1944), Le mal des fantômes (écrit en 1942-1943, resté inachevé), Titanic (1937), Exode (écrit vers 1934, complété en 1942 ou 1943), Au temps du poème (écrit entre 1940 et 1944).

    En septembre 1943, Fondane écrivait :

                                          Je pense au poète vieilli.

                                          Voyez : il écrit un poème.

                                          En a-t-il écrit, des poèmes !

                                          Mais celui-là c’est le dernier.

    Cette strophe, tirée d’un poème inédit publié par Monique Jutrin dans Poèmes retrouvés, est pour ainsi dire prémonitoire et n’est pas sans annoncer ce que dit Henri Meschonnic dans son « retour du fantôme » liminaire : « Benjamin Fondane s’écrit d’avance mort ». Mais aussi – toujours Henri Meschonnic – « pas un n’a écrit la révolte et le goût de vivre mêlé au sens de la mort comme Benjamin Fondane. Sa situation de fantôme lui-même y est sans doute pour quelque chose : un émigrant de la vie traqué sur les fleuves de Babylone ».

    Ulysse / Fondane est le « Juif errant », celui qui se demande : « Est-ce arriver vraiment que d’arriver au port ? », celui qui, dans un perpétuel exode, chante l’Amérique et l’Argentine, et la mélancolie de l’exil :

                                Sur les fleuves de Babylone nous nous sommes assis et pleurâmes

                                que de fleuves déjà coulaient dans notre chair

                                que de fleuves futurs où nous allions pleurer

                                le visage couché sous l’eau,

    celui qui interroge la légitimité du poème :

                                Quelle chanson chanterais-je sur une terre étrangère […]

                                car l’homme n’est pas chez lui sur cette terre.

    L’émigrant chante, navigue et se souvient de ses origines :

                                Pourquoi l’océan me fait-il penser à ces plaines de Bessarabie

                                on y marchait longtemps et c’était long la vie.

    Et s’il aspire au port, c’est sans illusions :

                                          Nous ne parlons aucune langue

                                          nous ne sommes d’aucun pays

                                          notre terre c’est ce qui tangue

                                          notre havre c’est le roulis.

    De la fuite incessante à la révolte et à la résistance, le mouvement est naturel, comme l’avoue le « Non lieu » écrit par Fondane en guise de présentation du « Mal des fantômes » : « J’ai voulu écrire ces poèmes dans le goût dévorant de mon siècle. Si j’ai résisté, d’où m’est venue cette résistance ? »

    La poésie de Benjamin Fondane est de toutes dimensions. Poésie du mythe et du sacré (L’Odyssée, La Bible…), poésie de l’amour pour « la frêle bergère » et « la fiancée promise et noire du Cantique des Cantiques », elle est avant tout poésie humaine :

                                Je parle d’homme à homme,

                                avec le peu en moi qui demeure de l’homme,

                                avec le peu de voix qui me reste au gosier.

    Fondane, c’est un homme qui tente de se dire avec son universalité, ses contradictions, ses imperfections, dont le chant peut n’être « qu’un cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème parfait », mais qui tente de se donner « un visage d’homme, tout simplement ».

    Jean-Pierre Longre

     

    Poésie, Essai, francophone, Roumanie, Benjamin Fondane, Patrice Beray, Michel Carassou, Monique Jutrin, Henri Meschonnic, Agnès Lhermitte, Serge Nicolas, Non Lieu, Verdier, Jean-Pierre LongreCahiers Benjamin Fondane n° 27, 2024. « L'art en questionS, années 20 ». Édition établie par Agnès Lhermitte et Serge Nicolas avec la collaboration de Monique Jutrin. Faux Traité d’esthétique, inédit de 1925.

    Extrait de l’introduction par Agnès Lhermitte :

     

    « En 1938, Fondane réutilise le titre de Faux Traité d’esthétique pour publier un essai qui a cette fois pour sous-titre « Essai sur la crise de réalité ». Il ne s’agit pas pour autant d’une reprise du manuscrit de 1925. Treize années ont passé, le contexte culturel a changé. Le jeune émigré récent encore incertain de ses orientations s’est nourri de nouvelles lectures. Il est devenu un poète maître de son art et un philosophe résolument existentiel qui aura approfondi et affermi sa pensée grâce à la rencontre de deux maîtres à penser. Chez Léon Chestov, qui guide ses lectures, il trouve la vision existentielle de la duplicité tragique de soi ; chez Lucien Lévy-Bruhl, la pensée de participation des primitifs, qui lui offre une voie d’accès au réel. Le sous-titre confirme la teneur nettement philosophique du nouvel essai.

    Fondane y poursuit une réflexion qui récuse les problématiques esthétiques stricto sensu pour s’attaquer de front à la question primordiale : Pourquoi l’art ? Pourquoi justement l’art chez le seul animal raisonnable ? Il se concentre alors sur la poésie, son propre champ d’action et d’interrogation, dans un mouvement inverse de celui qui, en 1925, lui faisait élargir à l’art la crise de la littérature étudiée par Rivière. Bien des questions abordées alors, restées sans réponse ou devenues obsolètes à ses yeux, comme l’enracinement socio-historique de l’art ou la forme, encore liée à l’ordre, à la raison, auront été évacuées. Mais l’idée essentielle, déjà présente dans le manuscrit, d’un art vivant, sera devenue le principe du nouveau traité, présenté comme la mise au point vitale d’un enjeu existentiel, et où la poésie, expérience mystique du réel, se confond avec la vie de l’homme. »

     

    Sommaire

    Introduction, Agnès Lhermitte


    Faux Traité d’esthétique (1925)

    - La Crise du Concept de l’Art
    - Erreur de l’art moderne « en tant que progrès »
    - L’Idée de l’originalité
    - « Deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison » : (Blaise Pascal)
    - Règne de l’homme théorique
    - L’Art autonome
    - De Dada au surréalisme – ou de « l’idiotie pure » au suicide

    Textes annexes
    - Préface du Faux Traité d’esthétique
    - Foi et dogme
    - Le Concept du beau
    - Faux concepts de l’art classique

    Textes complémentaires
    - « Faut-il brûler le Louvre ? »
    - Réflexions sur le spectacle

    Études
    - L’Art en question : un premier cheminement philosophique, Serge Nicolas
    - Une pensée en images, Agnès Lhermitte

    www.editions-verdier.fr

    www.editionsnonlieu.fr

    http://www.benjaminfondane.com

  • Une jeunesse prometteuse : Le Persil a 20 ans

    revue, le persil, francophone, suisse, roumanie, marius daniel popescu, jean-pierre longreLe Persil Journal, n° 222-223, juillet 2024 et 224-225-226-227-228, décembre 2024.

    En juillet 2024, Marius Daniel Popescu continuait à relater dans la suite du Cri du barbeau les anecdotes qui jalonnent sa vie passée et sa vie présente : « Tu es à la fois dans ton pays d’ici et ton pays de là-bas […], les mots naissent sans parents sur la feuille, ta mémoire les baptise encore et encore. » Ces mots lui servent à raconter par exemple la visite récente du plombier et sa conversation avec lui, ou les parties de pêche faites dans son enfance avec d’autres garçons… d’autres épisodes encore…

    Quelques mois plus tard, paraît un numéro exceptionnel, celui des 20 ans de ce « journal qui pousse la littérature dans nos vies », « avec des textes et des images de plus de 1200 personnes en 228 numéros répartis en 99 publications et 3636 pages… » Avant des inédits de Heike Fiedler, Jean-Christophe Contini et Quentin Moron, avant l’historique de l’Association des Amis du Journal Le Persil, grâce à qui tout cela peut se faire, se multiplient les témoignages, à commencer par les débuts artisanaux racontés par celles, compagne et filles, qui ont accompagné Marius Daniel Popescu dans la création du journal. « En rentrant du travail, encore habillé de son uniforme des chauffeurs de bus, il a posé deux feuilles A3 sur la table pour y coller en lettres capitales LE PERSIL. Après avoir découpé et scotché les textes qu’il avait écrits, il les a ajustés à la mise en page. » C’est ainsi que tout a continué, et tous les souvenirs qui s’accumulent au fil des pages suivantes sont autant de preuves de l’obstination de son créateur à garder l’esprit et la manière des débuts.

    Il est écrit dans ce numéro que Le Persil est d’une constante audace. Cette audace, c’est celle d’un accueil tous azimuts, d’une hospitalité littéraire sans discrimination ni censure, sans considérations de notoriété ni souci de gloriole. Les autrices et auteurs, néophytes ou expérimentés, disposent à leur guise des feuilles épanouies d’un journal obstinément « inédit », c’est-à-dire, avec tous les risques que cela comporte mais aussi les chances ainsi données, composé d’écrits toujours nouveaux. Pas de commentaires superflus, pas de prétentions analytiques, pas d’apparats critiques – rien que des textes littéraires (et aussi des illustrations) dans toute leur originalité, avec leurs tâtonnements inquiets ou leur tranquille maturité. Et si la pluralité des contributeurs et la diversité des styles favorisent la qualité et l’intérêt des publications, parfois une livraison est consacrée à un seul écrivain. Avec ténacité, brillamment, savoureusement, c’est de la belle et bonne lecture que nous offre Marius Daniel Popescu, dont l’origine roumaine se marie parfaitement avec l’esprit romand pour enrichir, avec une singularité parfois déroutante, toujours séduisante, le patrimoine littéraire européen.

    Pour qui veut aller plus loin, les pages centrales offrent les listes bien instructives de tous les numéros publiés (dates et thèmes principaux) et de tous les contributeurs. Et une nouveauté : le site internet qui donne tous les renseignements possibles. Voir ci-dessous. Un Persil à consommer et un site à consulter sans modération…

    Jean-Pierre Longre

    www.lepersil.ch

    www.facebook.com/journallitterairelepersil