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La force des mots

Poésie, Roumanie, Ana Blandiana, Hélène Lenz, Jean Poncet, Jacques André éditeur, Jean-Pierre LongreAna Blandiana, Poèmes résistants, traduits du roumain par Hélène Lenz, édition bilingue révisée et présentée par Jean Poncet, Jacques André éditeur, 2024

Comment résister à l’oppression ? Ouvertement, en s’exposant à la violence de la répression ; par l’exil, en espérant un avenir meilleur ; en luttant par les mots, en prose ou en poésie. Ana Blandiana a résisté de l’intérieur, au risque, à plusieurs reprises, de se voir interdite de publication, mais avec une notoriété de plus en plus grande dans son pays. Et si, dans la présentation de Poèmes résistants, Jean Poncet a raison d’écrire que « le combat de Blandiana fut toujours plus éthique que politique », il fait sentir à juste titre que ce combat est avant tout poétique. Ce recueil, qui donne à lire les textes en roumain et leur traduction en français par Hélène Lenz, reprend des poèmes parus en 1984 (quatre, publiés dans la revue Amfiteatru), 1985 (Étoile de proie) et 1990 (L’architecture des vagues, livre terminé en 1987 mais publié après la chute de Ceauşescu, et contenant des poèmes à propos desquels l’autrice écrivit significativement le 28 décembre 1989 : « Je les dédie à ceux qui, en mourant, ont rendu possible, à côté de bien d’autres choses, le retour de la poésie pour la poésie. »)

L’unité de l’ensemble est assurée par une tonalité commune qui laisse apparemment le pessimisme l’emporter sur l’espoir, la révolte sur la sérénité, les questionnements sans réponses sur les certitudes, et qui met en avant les hésitations concernant les formes de la résistance : « Le pouvoir de choisir / Entre être impliqué / Et être seul. / Le courage d’opter / Entre la souffrance du hurlement / Et celle du silence. /La force de décider / Entre la fuite au dehors / Et la fuite à l’intérieur. » L’une de ces formes est aussi l’ironie, lorsque la poésie s’écrie, en réponse à l’officiel « On doit tout faire pour réussir » : « Nous avons tout » : « Feuilles, mots, larmes, / Boîtes d’allumettes, chats, / Tramways quelquefois, queues pour la farine, / charançons, bouteilles vides, discours […] ».

Tout compte fait, l’unité est assurée par l’art que possède et pratique Ana Blandiana : celui de tout métamorphoser en poésie, en persistant « à répartir / les signes, les mots, les lettres… » L’œil se transforme en étoile, « Les atomes se changent en sable, / Le sable forme des cailloux, / Les cailloux deviennent des lettres. / Quant aux lettres, elles germent puis donnent des bourgeons, / Qui font des moissons de mots. » Et cette poésie, finalement, « Arrachant au chaos / La vague périssant après la vague », peut laisser entrevoir l’espoir : « À travers les yeux des menottes / Il y a le futur du verbe être. » Voilà le miracle des mots apprivoisés par Ana Blandiana. Comment résister ? Par la poésie.

Jean-Pierre Longre

www.jacques-andre-editeur.eu

http://jplongre.hautetfort.com/tag/ana+blandiana 

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