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Littérature

  • Luxuriant Persil

    Le Persil Journal, présentation des numéros récents.

    Revue, francophone, Suisse, Roumanie, Le Persil, Marius Daniel PopescuLe Persil – n° 229-233 – Inédits

    Publié 22 avril 2025

    Journal inédit, le persil est à la fois parole et silence ; ce numéro quintuple rassemble des textes de trente-trois auteur·ices de Suisse romande, dont plus de la moitié n’avait jamais publié dans ces pages auparavant, ainsi qu’une invitée : Alta Ifland. Il a été préparé et mis en page par Daniel Vuataz et coûte : CHF 25.- ou 25 euros.

    Avril 2025, 72 pages.

    Avec les contributions de Alain Rochat, Albert Anor, Alice Bottarelli, Alice Kübler & Ella Stürzenhofecker, Amélie Charcosset, Ann Schönenberg, Apolonia M.-E, Arthur Brügger, Benjamin Pécoud, Colin Pahlisch, Daniel Vuataz, Jean Savanes, Joan Suris, Linda Bühler, Lolvé Tillmanns, Lou Ciszewski, Manon Reith, Marilou Rytz, Marina Salzmann, Mathias Howald, Matthieu Ruf, Maxime Sacchetto, Myriam Wahli, Nathalie Garbely, Numa Francillon, Santiago Basurto, Sarah Marie, Sophie Dora Swan, Timba Bema, Typhaine Marc, Velia Ferracini, Vincent Yersin & l’invitée du persil Alta Iflan.

    Avec le soutien des Amis du journal le persil.

     

    Revue, francophone, Suisse, Roumanie, Le Persil, Marius Daniel PopescuLe Persil – n° 234-236 – Contini

    Publié 5 septembre 2025

    Journal inédit, le persil est à la fois parole et silence ; ce numéro triple est le reflet d’amitiés littéraires tissées au fil des ans par Jean Christophe Contini en Suisse et en France ; il contient des illustrations, des textes et des poèmes pour la plupart inédits ou méconnus. Il a été préparé par Jean Christophe Contini et mis en page par Daniel Vuataz et coûte : 20 francs ou 20 euros.

    Août 2025, 40 pages.

    Avec les contributions de Jean Christophe Contini, Joseph Rouzel, Patrick Macquaire, Jean-François Gomez, Alain Borer, Éric Houser, Michèle Reverbel, Clément Porre, Babeth Fargier, Marie-Dominique Kessler, Martin Rueff, Nathalie Piégay, Virgile Novarina, Charles Dvořák, Francesco Deotto, Alain Froidevaux, MK.

    Avec le soutien des Amis du journal le persil.

     

    Revue, francophone, Suisse, Roumanie, Le Persil, Marius Daniel PopescuLe Persil – n° 237-238 – Werner Renfer

    Publié 17 octobre 2025

    Journal inédit, le persil est à la fois parole et silence ; ce numéro double est un hommage à l’écrivain jurassien Werner Renfer (1898-1936), célèbre pour avoir inventé, aux côtés de Cendrars, Ramuz ou Roud, une nouvelle parole poétique dans la Suisse francophone. Il a été dirigé et orchestré par Patrick Amstutz, et il coûte : 10 francs ou 10 euros.

    Septembre 2025, 28 pages.

    Avec les contributions de Patrick Amstutz, Claude Darbellay, Thierry Raboud, Laurent Fourcaut, Françoise Matthey, François Debluë, Pierre Lafargue, Ferenc Rakoczy, Claudine Houriet, Edouard Choffat, Patrick Vallon, Jean Prétôt, Jean-Pierre Althaus, Claude Darras, Denis Mützenberg, Alexandre Voisard, Antoine Le Roy, Yari Bernasconi, et des textes de Werner Renfer.

    Avec le soutien des Amis du journal le persil.

     

    Revue, francophone, Suisse, Roumanie, Le Persil, Marius Daniel PopescuLe Persil – n° 239 – Henri Roorda

    Publié 27 octobre 2025

    Journal inédit, le persil est à la fois parole et silence ; ce numéro simple contient des textes critiques, des impressions de lecture et des pastiches rassemblés à l’occasion du centenaire de la mort d’Henri Roorda, ainsi que des inédits et des documents iconographiques. Il a été préparé par Alain Ausoni & Anne-Lise Delacrétaz et coûte : 10 francs ou 10 euros.

    Novembre 2025, 20 pages.

    Avec les contributions de Joël Aguet Alain Ausoni, Félix Blandin, Jo Boegli, Alain Corbellari, Morgane Cuttat, Anne-Lise Delacrétaz, Ariel Dilon, Marianne Enckell, Sushmit Ganguly, Rokus Hofstede, Marguerite Lebeau, Gilles Losseroy, Aurélie Maire, Jérôme Meizoz, Lea Mento, Andréa Moret, Sophie Perrelet, Guy Poitry, Robin Vanat, Jonathan Wenger, Simon Weniger.

    Avec le soutien des Amis du journal le persil.

     

    https://www.lepersil.ch

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  • Sulina, vie et mort

    roman,roumanie,jean bart,eugeniu botez,gabrielle danoux,jean-pierre longreLire, relire... Jean Bart, Europolis, traduit du roumain par Gabrielle Danoux, 2016, réédition Les Argonautes, 2025

    Eugeniu Botez (1874-1933), commandant de marine et écrivain, rendit un bel hommage à l’un des plus fameux corsaires français en signant ses livres du pseudonyme de Jean Bart. Donc ne nous y trompons pas. Europolis est bien un roman roumain, dont l’action se déroule dans une ville cosmopolite, entre Orient et Occident, aux limites de la terre et de l’eau, entre fleuve et mer : à l’embouchure du Danube, dans un port qui, entre XIXe et XXe siècle, (le livre fut publié en 1933), ne vivait que du trafic maritime. Avant d’être envahie par les bancs de sable, Sulina était une porte grand ouverte : « Après la guerre de Crimée, c’est l’Europe qui est entrée en possession de cette clef qu’elle tient d’une main ferme et ne compte plus lâcher : elle ne la confie même pas au portier, qui est en droit d’en être le gardien. ». Tenue par la « Commission européenne du Danube » (d’où le titre du livre), la ville roumaine est une « tour de Babel » où se côtoient Roumains, Grecs, Turcs, Russes, Lipovènes, occidentaux divers, « marins, commerçants, artisans, portefaix, escrocs, vauriens, femmes de toutes sortes. ».

    Roman, Roumanie, Jean Bart, Eugeniu Botez, Gabrielle Danoux, Jean-Pierre LongreLà, entre bistrots et quais, entre maisons bourgeoises et taudis, tous, notables comme prolétaires, attendent l’arrivée du frère de Stamati, « l’Américain », qui en tant que tel doit forcément être riche et est accueilli en héros. Las ! Nicula Marulis, sur qui étaient fondés tous les espoirs de richesse et de développement, s’avère être un ancien bagnard de Cayenne qui pour tout bien ramène sa fille Evantia, jeune et magnifique métisse, qui va faire tourner la tête des hommes et crever de jalousie les dames. Vont s’ensuivre diverses aventures accompagnées de rumeurs, de secrets plus ou moins dévoilés, de coups de théâtre, d’idylles et de tragédies amoureuses, dans la tradition du drame populaire – d'où l’humour toutefois n’est pas absent, ne serait-ce que par le burlesque de certaines scènes, par la satire sociale ou par quelques plaisanteries teintées d’une misogynie à prendre au second degré.

    Roman, Roumanie, Jean Bart, Eugeniu Botez, Gabrielle Danoux, Jean-Pierre LongreEuropolis est une fresque qui, à partir du petit point qu’est Sulina, transporte le lecteur entre Mer Noire et continent américain, aller et retour, et décrit en profondeur la vie locale. Les scènes de foule, les portraits hauts en couleur, la vie et les loisirs des travailleurs, la description des manœuvres navales et portuaires, l’évocation du Delta du Danube, tout fait l’objet d’une verve tantôt réaliste, tantôt épique, voire héroï-comique. On ne peut s’empêcher de penser à la tradition homérique (l’une des héroïnes ne s’appelle-t-elle pas Penelopa ? Nicula Marulis, de retour de pays lointains, n’est-il pas un Ulysse décevant ? La navigation n’est-elle pas une composante primordiale du roman ?). Mais, plus contemporain de l’auteur, on pense aussi à Panaït Istrati : art du portrait vivant, vie grouillante d’une société aux origines et aux conditions mêlées, présence centrale du Danube, verve satirique, poésie du voyage : « Ce n’est que sur un navire aux voiles gonflées par le vent du large qu’on appréhende la beauté et la poésie de la mer. ». Et pour finir, cette profession de foi de l’un des protagonistes, le sous-lieutenant Neagu, qui « s’était créé une doctrine personnelle qu’il avait baptisée “humanitarisme positiviste″. » : « À force de trop aimer l’humanité j’ai fini misanthrope, à force de trop croire en la vérité et en la droiture, je suis devenu sceptique. ».

    Lire Europolis, dans cette nouvelle et belle traduction (après celle de Constantin Botez, publiée en 1958), c’est, en suivant la destinée d’une foule de personnages pittoresques, retrouver merveilleusement et tragiquement un monde disparu. « La porte de Sulina se referme à jamais. ».

    Jean-Pierre Longre

     

    https://argonautes-editeur.fr

    https://www.amazon.fr/Europolis-Jean-Bart/dp/1536809829

    https://www.youtube.com/watch?v=V6KuusGgjS4

  • Quelques parutions récentes (septembre à novembre 2025)

    Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, Denoël, Bogdan-Alexandru Stanescu, Nicolas Cavaillès, Gallimard, Daniela Ratiu, Florica Courriol, Grasset, Cătălin Mihuleac, Marily Le Nir, Noir sur blanc, Mircea Eliade, Claude Levenson, L’Herne, Benjamin Fondane, Vera Gajiu, Non LieuMircea Cărtărescu, L'Aile gauche, Orbitor, traduit par Laure Hinckel, Denoël

    Présentation :

    « À Bucarest, dans les années 1960, le narrateur, nommé Mircea, crée de toutes pièces un pays imaginaire.

    Un monde de merveilles et de cauchemars, truffé de passages cachés, de tapisseries envoûtantes et de papillons prodigieux. Il nous entraîne dans un voyage mystique à travers son enfance, ses souvenirs d’hospitalisation à l’adolescence, la préhistoire de sa famille, un cirque itinérant, la police secrète, des armées de zombies, des pilotes de chasse américains, la scène jazz underground de La Nouvelle-Orléans et la mise en place du régime communiste.

    Cet univers kaléidoscopique, à la fois étrangement familier et radicalement nouveau, est une expérience dont le lecteur sort secoué et transformé.

    L’Aile gauche est le premier volume de la trilogie « Orbitor ». »

    www.denoel.fr

     

    Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, Denoël, Bogdan-Alexandru Stanescu, Nicolas Cavaillès, Gallimard, Daniela Ratiu, Florica Courriol, Grasset, Cătălin Mihuleac, Marily Le Nir, Noir sur blanc, Mircea Eliade, Claude Levenson, L’Herne, Benjamin Fondane, Vera Gajiu, Non LieuBogdan-Alexandru Stanescu, Abraxas, traduit par Nicolas Cavaillès, Gallimard

    Présentation :

    « Professeur d’histoire d’un naturel à la fois sombre et sentimental, Mihai Lucescu traverse une crise existentielle. Séparé de sa femme, il a quitté le foyer familial et vit seul sous les toits d’une vieille maison. Pour sortir de sa torpeur, il se livre à une longue introspection, excavant ses névroses, auscultant sa chute. Passionné par la mnémotechnie, cet art ancien qui associe un souvenir à un espace, il entreprend de bâtir un palais de mémoire. Dans cet édifice mental façonné à l’image d’un immeuble bucarestois, onze portes s’ouvrent sur autant d’anciens cinémas de la ville.
    Tour à tour spectateur et protagoniste des films projetés, Mihai revisite des scènes clefs de sa vie, tout en s’immergeant dans d’autres époques et dans des lieux aussi variés que Vienne, Paris ou New York. Scènes intimes fondatrices, figures de la diaspora roumaine, fragments d’un passé collectif ou d’époques à venir - les films défilent sans se ressembler. Seule la fascinante « Maison aux Lions » revient comme un refrain. C’est là, dans cette bâtisse presque organique, gardée par deux fauves de pierre, que régnait sa mère, artiste fantasque et écrasante dont il ne finira jamais de s’affranchir.
    Avec Abraxas, Bogdan-Alexandru Stanescu signe un roman virtuose de la mémoire et de l’enfance, de la perte et de la survivance, où se déploie une prose incisive, traversée d’arabesques visuelles et sensorielles. Une fresque intérieure vertigineuse dans laquelle se dessinent, avec une ingéniosité singulière, le mal et la mélancolie du monde, mais aussi une foi dans le pouvoir rédempteur de la littérature. »

    www.gallimard.fr

     

    Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, Denoël, Bogdan-Alexandru Stanescu, Nicolas Cavaillès, Gallimard, Daniela Ratiu, Florica Courriol, Grasset, Cătălin Mihuleac, Marily Le Nir, Noir sur blanc, Mircea Eliade, Claude Levenson, L’Herne, Benjamin Fondane, Vera Gajiu, Non LieuDaniela Ratiu, Un train pour la fin du monde, traduit par Florica Courriol, Grasset

    Présentation :

    « Fin des années 1940, au cœur des terres arides de la Moldavie. Un train pour la fin du monde nous plonge dans un quotidien où la famine, la sécheresse et l’occupation soviétique ont transformé la vie de Stefan, Saveta et leurs cinq enfants en un combat désespéré pour leur survie. Les rivières sont à sec, les puits taris, les villageois n’ont plus de quoi s’alimenter. Les cadavres jonchent les rues et les rumeurs de cannibalisme hantent tous les foyers.

    Dans ce décor apocalyptique, Stefan et sa fille aînée partent travailler sur un chantier dans une ville voisine afin de pouvoir acheter des billets de train, leur unique espoir d’échapper à cette terre condamnée. Pendant ce temps, Saveta reste au village avec les plus petits. Chaque jour ils subissent le rationnement, la peur des soldats russes et la menace d’un clan de charognards. Mais lorsque le moment de fuir approche et que la famille parvient enfin à monter à bord d’un «  train de la faim  », la peur ne s’évanouit pas aussi rapidement que leur maison et les biens qu’ils ont laissés derrière eux. Ce train, à la fois tunnel vers l’inconnu et microcosme du désespoir, transporte des âmes déracinées, des corps affamés, des soldats assoiffés de violence, et des espoirs plus que jamais fragiles. Dans ce monde où la mort rôde en permanence, chaque geste de tendresse, chaque miette de pain, devient alors un acte de résistance.

     Inspiré de l’histoire familiale de l’autrice – Daniela Ratiu est la petite-fille de Stefan et Saveta –, Un train pour la fin du monde est une fresque déchirante sur la survie et la résilience humaine, autant qu’un témoignage bouleversant sur la capacité à espérer. Un livre qui résonne avec la guerre actuelle en Ukraine, dont est originaire le grand-père de l’autrice. »

    www.grasset.fr

     

    Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, Denoël, Bogdan-Alexandru Stanescu, Nicolas Cavaillès, Gallimard, Daniela Ratiu, Florica Courriol, Grasset, Cătălin Mihuleac, Marily Le Nir, Noir sur blanc, Mircea Eliade, Claude Levenson, L’Herne, Benjamin Fondane, Vera Gajiu, Non LieuCătălin Mihuleac, Les Demoiselles de Fontaine, Traduit par Marily Le Nir, Noir sur blanc

    Présentation :

    « Avec Les Demoiselles de Fontaine, Cătălin Mihuleac a écrit le grand roman de la fraternité franco-roumaine, une histoire aussi poignante qu’irrésistiblement drôle. Il y retrace l’amitié entre un jeune officier français, Marcel Fontaine, et un étudiant roumain, Petru Negru, qui est amoureux de la culture populaire de son pays… et de la fille du consul de France à Iaşi. À travers le destin de ces deux hommes de passion, c’est toute l’histoire de la Roumanie au XXe siècle qui nous apparaît avec ses couleurs les plus sombres, mais aussi la magie des cœurs simples et l’humour des jeteurs de sorts.

    Membre de la Mission Berthelot censée moderniser une armée roumaine « excellemment désorganisée », Fontaine s’éprend de ce pays déchiré entre francophilie et russification. À la fin du conflit, il y revient pour intégrer la Mission universitaire et, pendant trente ans, il y enseignera le français, avant d’être expulsé par les autorités communistes en 1949. Ses anciennes élèves, les « demoiselles de Fontaine », seront victimes d’atroces persécutions pour espionnage, tandis que Negru, s’efforçant de s’adapter au système, comprendra que « la verticalité morale est la position la plus acrobatique du Kâmasûtra de l’intellectuel ». »

    www.leseditionsnoirsurblanc.fr

     

    Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, Denoël, Bogdan-Alexandru Stanescu, Nicolas Cavaillès, Gallimard, Daniela Ratiu, Florica Courriol, Grasset, Cătălin Mihuleac, Marily Le Nir, Noir sur blanc, Mircea Eliade, Claude Levenson, L’Herne, Benjamin Fondane, Vera Gajiu, Non LieuMircea Eliade, Mademoiselle Christina, Traduit par Claude Levenson, L’Herne

    Présentation :

    « Une famille isolée au bord du Danube subit l’influence maléfique d’une ancêtre disparue. Mademoiselle Christina hante les chambres des occupants, vampire à l’apparence séductrice, elle charme Egor et enlève petit à petit toute vie dans la demeure austère. Sous la lumière blafarde de la lune, les ombres trahissent la présence d’un autre monde, effrayant, celui des âmes damnées. Entre deux soupirs de Sanda, jeune fille exsangue, un silence de mort s’installe dans le récit. Egor trouvera-t-il la force de lutter contre l’enchanteresse Christina ? La jeune Simina, possédée par le mal, semble en douter.

    Mademoiselle Christina nous vient tout droit du folklore roumain. Une histoire de vampires dans un monde en proie au blasphème ; pour l’exorciser, un jeune homme tue deux fois le vampire en lui transperçant le cœur. Le dialogue entre le monde des morts et celui des vivants n’est pas éphémère. Les deux camps se livrent un siège sans merci, à ceci près que les belligérants se disputent non des fortunes mais des âmes, et que leurs armes ne sont pas des armes classiques, mais des rituels magiques.

    Ce titre a été publié dans la collection Roman en 2009. »

    www.editionsdelherne.com

     

    Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, Denoël, Bogdan-Alexandru Stanescu, Nicolas Cavaillès, Gallimard, Daniela Ratiu, Florica Courriol, Grasset, Cătălin Mihuleac, Marily Le Nir, Noir sur blanc, Mircea Eliade, Claude Levenson, L’Herne, Benjamin Fondane, Vera Gajiu, Non LieuBenjamin Fondane, Lettres à Marior, sous la direction de Vera Gajiu, Non Lieu

    Présentation :

    « Les Lettres à Marior viennent compléter les Correspondances familiales de Benjamin Fondane publiées récemment. Maria Rudich, dite Marior, est le grand amour de jeunesse de Fondane qui lui a dédié de nombreux poèmes. Elle a douze ans de plus que lui et, lorsqu’il la rencontre en 1919, elle est mariée et mère de quatre enfants. La relation ne sera pas aisée, mais passionnée, avec de multiples rebondissements.

    Peu de lettres de Marior ont été conservées — une rivale les aurait détruites — mais il en est un soixantaine de Fondane qui racontent une grande histoire d’amour, une éducation sentimentale. En outre elles constituent un riche témoignage sur les années bucarestoises de Fondane et ses activités multiples.

    La relation amoureuse prit fin au bout de trois ans, mais Fondane resta toute sa vie attachée à Marior, ce qui apparaît dans quelques lettres postérieures. 

    Benjamin Fondane, né à Iassy (Roumanie) en 1898, venu en France en 1924, mort à Auschwiz-Birkeneau en 1944, était poète, philosophe, essayiste, dramaturge et cinéaste. Ses livres sont publiés par les éditions Non Lieu : Ulysse, Titanic, L'Exode, Au temps du poème, Rimbaud le voyou, Théâtre complet, Rencontres avec Léon Chestov, Le Lundi existentiel, Faux Traité d’esthétique, Correspondances familiales..

    Vera Gajiu, chercheuse à l'Université de Ferrare, a soutenu une thèse sur les manuscrits de Benjamin Fondane (Universités de Vérone et Paris 8). Elle a déjà édité les Correspondances familiales de Fondane, en collaboration avec Michel Carassou. »

     

    L’Association Benjamin Fondane et les éditions Non Lieu viennent de publier le n° 12 de la revue Titanic, consacré en particulier à F. Brunea-Fox et à sa correspondance avec Fondane.


    www.editionsnonlieu.frhttp://www.editionsnonlieu.fr/spip.php?page=recherche&recherche=Titanic

  • La danse des mots, la vie des humains

    Roman, francophone, Suisse, Roumanie, Marius Daniel Popescu, éditions Corti, Jean-Pierre LongreMarius Daniel Popescu, Le cri du barbeau, éditions Corti, 2025

    Parution le 4 septembre 2025

    Il y a chez Marius Daniel Popescu une générosité à la fois naturelle et illimitée. Pas seulement lorsque le « tu » qui le représente offre, dans son « pays d’ici », un repas au restaurant à un clochard puis l’invite à dormir chez lui, ou lorsque, dans son « pays de là-bas », il nourrit de friandises une dizaine d’enfants des rues puis les emmène en taxi au restaurant de la gare ; la générosité, c’est aussi celle de sa prose, qui se nourrit des moindres détails de la vie et en fait, par la magie des mots, tout un roman ; en plus, il nous dit comment il fait : « Tu frappes les touches de cette machine à écrire, tu ne regardes pas les lettres qui s’impriment sur le papier, tu te racontes à toi-même des histoires de ta vie, tu tapes vite des mots qui n’appartiennent pas à la pensée. Il est trois heures du matin, la nuit te regarde et elle te sourit, ses yeux réveillent en toi la vie sous le règne du parti unique, tu continues à raconter la mort de ton père, tu as choisi qu’un vieil homme sera le narrateur. Tu ne laisses pas de marges sur la feuille, les mots remplissent le blanc du papier jusqu’à la barrière du rouleau noir, tu passes à la ligne suivante, la nuit te suit. »

    Si l’on apprend sur le tard que le « vieil homme » omniscient qui raconte est le grand-père de « tu », celui-ci reconnaît aussi la grande autonomie des mots imprimés sur la page : « Les mots s’organisent, ils se donnent rendez-vous pour discuter de leur passé et de leur avenir, les mots se mettent ensemble, ils forment de petits groupes et des hordes de mots traversent les villages et les villes du monde, les mots parcourent nos foyers, les écoles et les entreprises, les mots marchent et ils s’envolent et ils naviguent, les mots sursautent et ils virevoltent, les mots sont en branle. » C’est ainsi que les faits se révèlent, par le pouvoir magique du verbe. Des faits qui peuvent être amusants, comme le refus d’un étalon à honorer la belle jument qu’on lui présente, et qui ne se décide que lorsqu’on a couvert celle-ci de boue ; conclusion d’un spécialiste : « La jument, elle lui paraissait trop belle pour lui ; c’est tout. »

    C’est parfois franchement drôle, mais c’est plus souvent souriant, avec une grande tendresse pour les individus croisés au fil des pages, avec lesquels les verres partagés sont autant de signes d’attachement, famille, amis ou inconnus, qui le rendent bien au narrateur – exception faite pour ceux qui se sont accaparé le pouvoir : les dirigeants et les sbires du « parti unique » dans « le pays de là-bas », auxquels ont succédé des personnages qui, sous une apparence démocratique, sont restés identiques à ceux de l’ancien régime, profitant de la corruption ambiante : « Dans ton pays de là-bas la vie est très dure à la campagne, la région de ton enfance est administrée par le parti le plus corrompu, beaucoup de gens sont partis travailler à l’étranger, ceux qui restent se débrouillent dans la vie de chaque jour, ils se disent qu’ils n’ont qu’à suivre leur sort. » Et la satire n’épargne pas non plus d’autres catégories : « Les prêtres bénissent à tour de bras des maisons, des appartements, des voitures, des écoles, des ponts, des hôpitaux, des bureaux, ils bénissent tout et n’importe quoi et ils se font payer pour cela, les prêtres gagnent beaucoup d’argent en bénissant. »

    Le cri du barbeau (le barbeau, ce poisson que tout jeune notre héros s’efforçait de pêcher avec ses copains, et qui criait véritablement lorsqu’il se faisait prendre) fait suite à La Symphonie du loup (2007) et aux Couleurs de l’hirondelle (2012), publiés aussi aux éditions Corti. Outre le style, le surgissement des souvenirs, les méandres de la vie, avec ses plaisirs et ses vicissitudes, le point commun entre les trois romans est ce que cette vie n’épargne jamais, la mort : au début du premier, la mort du père ; au début du second, celle de la mère ; au début du troisième, celle d’un grand ami resté dans le « pays de là-bas », une mort qui déclenche le va-et-vient entre là-bas (la Roumanie) et ici (la Suisse), le passé et le présent, et qui révèle les multiples facettes d’une existence pleine d’attention pour tous les humains croisés. Un beau roman qui transforme le quotidien en épopée, et dont nous avions déjà eu quelques aperçus dans le fameux journal Le Persil (voir par exemple les numéros 187 et 222-223), un beau roman qu’il convient de lire dans un même et long souffle.

    Jean-Pierre Longre

    https://editions-corti.fr

    http://jplongre.hautetfort.com/tag/marius+daniel+popescu 

  • Les déchirements et les découvertes de l’exil

    Roman, francophone, Roumanie, Vintilă Horia, Ovide, éditions Noir sur Blanc, Jean-Pierre LongreVintilă Horia, Dieu est né en exil, Les Éditions Noir sur Blanc, 2025

    La vie de Vintilă Horia (1915-1992) incarne d’une manière significative l’exil imposé par les forces politiques. Après l’oppression subie par le fascisme de la garde de fer et le nazisme allemand, il refusa de se compromettre avec le régime communiste et vécut dans plusieurs pays dont il adopta tour à tour la langue et la culture : l’Italie, l’Argentine, l’Espagne, la France. C’est en français qu'il publia chez Fayard son roman le plus marquant, Dieu est né en exil. Il devait recevoir le Prix Goncourt, mais cette perspective se heurta à l’opposition de plusieurs intellectuels, accusant l’auteur d’être « réactionnaire » et « ennemi du peuple » dans son pays.

    Le déchirement de l’exil y est incarné par le personnage d’Ovide, lui-même relégué aux confins du monde, à Tomis, future Constanţa. Nul doute que la thématique de l’ouvrage ne soit en lien direct avec l’expérience intime de l’auteur, qui combine, ici et ailleurs (par exemple dans Le chevalier de la résignation) la maîtrise de la langue française avec la roumanité et la réflexion sur les rapports avec l'étranger. Écrire en français sur un poète antique chassé de son environnement familier est un moyen, pour Vintilă Horia, d’exorciser la douleur inhérente à l’exil linguistique et géographique, et d’opérer une fusion entre deux cultures d’appartenance par la prise en compte personnelle du bilinguisme.

    Peu à peu, perce à travers les vers d’Ovide une évolution de ses sentiments à l’égard du pays et de ses habitants. Il fait des excursions dans l’arrière-pays et le Delta du Danube, apprend à parler le Gète et le Sarmate, écrit des vers gétiques, et reconnaît chez les gens qui l’entourent des marques des sentiments amicaux. C’est peut-être ce qui a conduit l’écrivain roumain à montrer dans son roman un Ovide souvent malheureux, mais plein d’humanité. Dans ce journal imaginaire d’Ovide à Tomes, Horia, s’inspirant des œuvres du poète latin, imagine que celui-ci, dépassant sa solitude, s’initie peu à peu, à travers ses rencontres de sages et de prêtres gètes et grecs, à une spiritualité qui lui fera découvrir une religion à la dimension du christianisme à venir. Il s’agit bien sûr d’une œuvre de fiction, mais dont les personnages et le cadre sont particulièrement attachants.

    Redécouvrir Ovide en son exil, c’est donc se replonger dans l’antiquité roumaine, qui se rattache, sous la plume de l’auteur, aux fondements historiques (par exemple les origines grecques de Tomes-Constanţa), géographiques (voir dans Les Pontiques la liste des fleuves qui se jettent dans la Mer Noire), mais aussi mythiques de l’Europe (le poète fait surgir dans ses vers, pour les mettre en relation avec sa terre d’exil, les légendes de la Toison d’Or, de Médée la magicienne, d’Iphigénie...). La terre roumaine représenta pour Ovide les confins du monde « civilisé », mais ses vers nous rappellent qu’elle est à tout point de vue l’un des berceaux de notre vieille Europe. Et Vintilă Horia contribue avec art et détermination à ce rappel.

    Jean-Pierre Longre

    www.leseditionsnoirsurblanc.fr

  • « L’altérité existentielle »

    evue, francophone, roumanie, benjamin fondane, jean-pierre longre

    Cahiers Benjamin Fondane n° 28, « À l’écoute de l’Autre », 2025

    « C’est à vous que je parle, hommes des antipodes ». Ce fameux premier vers de la Préface en prose est pour Dominique Guedj l’occasion d’un bel article d’ouverture, « Les antipodes ou l’altérité existentielle » ; « Juif, poète et penseur existentiel, Fondane porterait ainsi la triple empreinte de l’antipode ». Suivent trois textes sur la « poésie à l’écoute ». « Le Mal des fantômes : une poésie interrogative », par Agnès Lhermitte, où sont aussi mis en avant « les doutes du poète » : « Le verbe poétique fluctue, parfois stoppé, parfois emporté, ou simplement à peine soulevé par l’élan d’une question. » À propos du même recueil, Gisèle Vanhèse met en relation le thème du fantôme avec le langage du poète, « paroles en éternel mouvement, comme celui de l’âme transmigrante et du voyageur sans fin… ». Et pour Sylvain Saura (« Le cri et le craquement : méditations acroamatiques »), « la conscience poétique fondanienne se déploie […] à partir d’un « non-lieu » de la pensée et de l’entendement, dans l’éclat paradoxal dont le cri ou le craquement portent les traces. »

    Agnès Lhermitte s’adonne à une analyse littéraire et génétique précise du poème « VAE SOLIS » reproduit dans sa dernière version, puis Serge Nicolas et Margaret Teboul se tournent, toujours dans la perspective de « l’écoute », vers la philosophie d’un Fondane tourné vers « l’empirisme métaphysique ». Suivent quelques inédits : présentés et commentés par Monique Jutrin, des articles d’Élian Finbert et de Claude Sernet autour de L’Exode, participant « à la survie de Fondane dans l’immédiat après-guerre », puis un scénario inédit : Roméo et Juliette au XXe siècle. Pour finir, avant quelques éléments d’information et de bibliographie, des chroniques d’Éric de Lussy et d’Agnès Lhermitte pour clore ce nouveau numéro riche en analyses et en nouveautés, prouvant s’il en était besoin que l’œuvre de Benjamin Fondane n’a jamais fini d’ouvrir des perspectives philosophiques, poétiques, esthétiques.

    Jean-Pierre Longre

     

    Sur Benjamin Fondane, dans ce blog:

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    et aussi: http://jplongre.hautetfort.com/tag/benjamin+fondane

    Site de de la "Société d'études Benjamin Fondane": www.benjaminfondane.com 

     

  • Finalement, que savons-nous des « coutumes de la Terre » ?

    Roman, francophone, Roumanie, Ilarie Voronca, Nicolas Cavaillès, Arfuyen, Jean-Pierre Longre

    Ilarie Voronca, Souvenirs de la planète Terre, préface de Nicolas Cavaillès, Arfuyen, 2025

    Né Eduard Marcus à Brăila, Ilarie Voronca (1903-1946) fait partie de ces artistes d’avant-garde qui, venus de Roumanie, ont enrichi la culture française de leur inventivité intellectuelle et esthétique, de leurs idées et de leurs œuvres ; on connaît sans doute mieux Tzara ou Fondane, mais Voronca a nourri la littérature d’une particulière modernité, et Souvenirs de la planète Terre, sorte de « testament littéraire » de l’inventeur de l’ « intégralisme », en témoigne singulièrement. Avec cet ouvrage, l’écrivain « offre une expérience littéraire unique, un dépassement des plus sombres constats dans une fausse naïveté conceptuelle et hallucinée qui à chaque page apporte de nouvelles formules merveilleuses », écrit Nicolas Cavaillès.

    Le protagoniste du roman, Yves (un prénom manifestement issu des initiales de l’auteur), se voit comme « un voyageur venu d’une planète ou de quelque univers inconnu » et découvre notre monde en une vision qui rebat fondamentalement les cartes : les végétaux plus puissants que les hommes, ou ceux-ci aux ordres des animaux, qui, comme les ânes, sont capables de discuter poésie entre eux ; ou encore les machines (par exemple les moissonneuses-batteuses) à l’origine de la création de l’homme (y compris de son âme)… Yves, peu à peu, fait des découvertes étonnantes et angoissantes sur le monde et la société, sur l’injustice qui fixe les « hommes-vis » à des places dont ils ne peuvent s’extirper, sur l’absurdité de l’existence, sur la vanité humaine (« Tout cela est à démolir », semble-t-il en conclure) ; mais tout n’est pas perdu : « La machine bonne et affable se tiendra aux côtés de l’homme. Elle fera un avec l’homme. Et Yves eut la vision d’un nouveau centaure, d’une nouvelle mythologie. L’homme accouplé à la machine. » Vision en tout cas moins pessimiste qu’une prophétie précédente, pourtant vérifiée : « Ce sont les nouvelles machines qui poussent jusqu’à la dernière limite l’esclavage de l’homme et n’hésitent devant aucun obstacle pour satisfaire leurs caprices. »

    Ce qui précède n’est qu’un des angles de lecture possibles. Écrivain de l’absurde, Ilarie Voronca se situe dans lignée de Lautréamont, Urmuz, Raymond Roussel et quelques autres inventeurs de l’absolu. Poète, aussi, et ce roman en porte la marque. Quelques exemples ? À propos des plantes : « Ô pacifiques reines, régnant sur la vie et sur la mort et dont les seules armes sont vos parfums et vos couleurs ! » ; à propos des batteuses : « Ce sont de grands oiseaux migrateurs qui font leur nid pendant les mois de soleil parmi les céréales » ; à propos de la nuit urbaine : « Oh, calme majesté des avenues sous la lune ! Jardins baignés d’une musique qui se déverse d’entre les cordes des arbres dont chacun porte une étoile comme une sourdine. » Et ce bel alexandrin concluant l’un des poèmes insérés dans la prose : « Mes os seront pareils aux herbes arrachées. » Absurde et poésie font aussi bon ménage avec un humour cachant plus ou moins bien l’angoisse, comme dans cette maxime : « Les hommes ne sont des hommes que parce qu’ils croient être des hommes. », ou dans la découverte d’une cruelle anthropophagie : « Yves s’aperçut que les maisons mangeaient. […] Plus elles étaient vieilles, plus elles tombaient en ruines, plus il leur fallait d’hommes, de femmes et d’enfants à mastiquer. »

    Souvenirs de la planète Terre est une livre « intégral » où, par le truchement de la limpidité de la prose et du vertige de la poésie, se mêlent l’espoir et le désespoir, l’humour et la soif d’absolu, le mysticisme et la satire, la générosité et la dérision. La formule de Nicolas Cavaillès est parlante : Ilarie Voronca est un « Voyant inquiet », et c’est sans doute l’inquiétude qui l’a emporté.

    Jean-Pierre Longre

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  • Un journaliste engagé


    Essai, journalisme, Roumanie, F. Brunea-Fox, Guillaume Balout, Non Lieu, Jean-Pierre LongreF. Brunea-Fox, de son vrai nom Filip Brauner, né en Moldavie en 1898 et mort en 1970, a dans sa jeunesse fréquenté l’avant-garde roumaine, avec notamment son ami B. Fundoianu qui deviendra Benjamin Fondane, puis s’est principalement consacré au journalisme avec des reportages dont l’ouvrage publié par les éditions Non Lieu donne un aperçu représentatif du style original de leur auteur, surnommé « le prince des reporters ». Cinq textes composent cet ouvrage : quatre reportages et un témoignage sous forme de journal en plusieurs parties qui donne son titre au volume, l’ensemble complété par un entretien accordé début 1970 par l’auteur au journaliste Carol Roman.

    « Cinq jours chez les lépreux » relate la découverte d’une petite région du delta du Danube où des lépreux oubliés par les autorités vivent dans des conditions effroyables ; un séjour et une enquête dont il tire deux conclusions : « 1) Une absence totale d’humanité pour les besoins des malades. 2) Un danger de contamination, facilité par l’apathie dont font preuve les organes sanitaires, avec les fréquentes sorties des lépreux. » « Notes de voyage dans le Maramureş » décrit la vie des Juifs de Sighet, ville principale de cette région du nord-est de la Roumanie, à travers quelques scènes quotidiennes qui laissent entrevoir les inquiétudes et les difficultés de leur existence. L’île d’Ada Kale, qui sera engloutie dans les années 1970 par la construction d’un barrage sur le Danube, était encore dans les années 1930 peuplée par quelques centaines de Turcs auxquels le roi Carol II avait accordé de fabriquer et de vendre des cigarettes et des loukoums, privilège dont le sultan Ali Kadri s’est accaparé tous les bénéfices, devenant millionnaire en abusant de son pouvoir. Voilà le sujet du troisième reportage, « Ali Kadri, le sultan d’Ada Kale ». Dans le quatrième, « Le trottoir et le tripot », Brunea-Fox décrit le milieu des prostituées à travers les personnages de « Didina la rousse » et du souteneur Sbonghici, et en relatant une descente de police à laquelle il a été invité à participer.

    Dans la deuxième partie du livre, « Un pogrom à Bucarest », « images prises sur le vif », selon la formule du préfacier A.L. Zissu, il s’agit des notes prises par l’auteur entre le 21 janvier et le 1er février 1941, et dans lesquelles il décrit à coup de détails précis, sordides parfois, cruels toujours, le massacre des Juifs perpétré par les « légionnaires » de la garde de fer tentant de s’emparer du pouvoir, massacre préfigurant ainsi ce que sera la volonté d’extermination systématique par le nazisme. Un « commencement », comme le montre ce que l’auteur écrit à la fin de son récit : « Ils portent l’uniforme brun et prédisent toujours la victoire de la race aryenne et l’anéantissement de la nôtre. Leur légion de fer et de feu nous cherche derrière chaque rempart écroulé. Et cela, dès le 1er février. Et pas une pastille d’espoir dans la moindre apothicairerie. Et tous les sourires sont faux. Et tous les gens, divisés en confessions et aspirations raciales, marchent comme des automates, tirés en arrière par un destin implacable. »

    L’ouvrage n’est pas seulement un collage de reportages se succédant au hasard. Il est composé de telle sorte qu’il représente, grâce à des échantillons particulièrement bien choisis, les sujets auxquels F. Brunea-Fox a pu s’intéresser en tant que témoin engagé qui, dans son style personnel, se tient à la limite du journalisme et de l’écriture littéraire, à la manière des grandes figures que sont par exemple Albert Londres et Joseph Kessel.

    Jean-Pierre Longre

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  • « Je parle d’homme à homme »

    Poésie, Essai, francophone, Roumanie, Benjamin Fondane, Patrice Beray, Michel Carassou, Monique Jutrin, Henri Meschonnic, Agnès Lhermitte, Serge Nicolas, Non Lieu, Verdier, Jean-Pierre LongreBenjamin Fondane, Le mal des fantômes, édition établie par Patrice Beray et Michel Carassou avec la collaboration de Monique Jutrin. Liminaire d’Henri Meschonnic, Non Lieu / Verdier Poche, 2006, rééd. 2025

    Né à Iaşi (Roumanie) en 1898, mort à Auschwitz en 1944, Benjamin Wechsler, devenu ensuite B. Fundoianu puis Benjamin Fondane, manifesta très tôt son intérêt pour la littérature française en publiant en roumain, en 1921, Images et livres de France, contenant des textes sur Baudelaire, Mallarmé, Gide et quelques autres, préfigurant des essais à venir publiés à Paris, où il s’installe dès 1923. « Importateur de culture européenne », selon la formule de Petre Raileanu, il joue un rôle décisif d’une part dans les mouvements de va-et-vient entre l’Est et l’Ouest, d’autre part dans la vie culturelle française et européenne. « De Dada à l’existentialisme, Benjamin Fondane a […] parcouru un long chemin avec la pensée de son temps. Témoin lucide et exigeant, il l’a accompagnée et bien souvent précédée, au risque de ne pas être entendu par ses contemporains », a écrit Michel Carassou.

    Penseur, critique, homme de théâtre, Fondane fut aussi – et surtout, devrions-nous dire – un grand poète de langue française. La réunion et la réédition chez Verdier de ces cinq livres de poèmes est salutaire, et d’ailleurs conforme au désir exprimé par le poète dans une lettre envoyée à sa femme depuis le camp de Drancy, avant de partir vers la mort.

    Cinq livres, donc : Ulysse (publié en 1933, remanié jusqu’en 1944), Le mal des fantômes (écrit en 1942-1943, resté inachevé), Titanic (1937), Exode (écrit vers 1934, complété en 1942 ou 1943), Au temps du poème (écrit entre 1940 et 1944).

    En septembre 1943, Fondane écrivait :

                                          Je pense au poète vieilli.

                                          Voyez : il écrit un poème.

                                          En a-t-il écrit, des poèmes !

                                          Mais celui-là c’est le dernier.

    Cette strophe, tirée d’un poème inédit publié par Monique Jutrin dans Poèmes retrouvés, est pour ainsi dire prémonitoire et n’est pas sans annoncer ce que dit Henri Meschonnic dans son « retour du fantôme » liminaire : « Benjamin Fondane s’écrit d’avance mort ». Mais aussi – toujours Henri Meschonnic – « pas un n’a écrit la révolte et le goût de vivre mêlé au sens de la mort comme Benjamin Fondane. Sa situation de fantôme lui-même y est sans doute pour quelque chose : un émigrant de la vie traqué sur les fleuves de Babylone ».

    Ulysse / Fondane est le « Juif errant », celui qui se demande : « Est-ce arriver vraiment que d’arriver au port ? », celui qui, dans un perpétuel exode, chante l’Amérique et l’Argentine, et la mélancolie de l’exil :

                                Sur les fleuves de Babylone nous nous sommes assis et pleurâmes

                                que de fleuves déjà coulaient dans notre chair

                                que de fleuves futurs où nous allions pleurer

                                le visage couché sous l’eau,

    celui qui interroge la légitimité du poème :

                                Quelle chanson chanterais-je sur une terre étrangère […]

                                car l’homme n’est pas chez lui sur cette terre.

    L’émigrant chante, navigue et se souvient de ses origines :

                                Pourquoi l’océan me fait-il penser à ces plaines de Bessarabie

                                on y marchait longtemps et c’était long la vie.

    Et s’il aspire au port, c’est sans illusions :

                                          Nous ne parlons aucune langue

                                          nous ne sommes d’aucun pays

                                          notre terre c’est ce qui tangue

                                          notre havre c’est le roulis.

    De la fuite incessante à la révolte et à la résistance, le mouvement est naturel, comme l’avoue le « Non lieu » écrit par Fondane en guise de présentation du « Mal des fantômes » : « J’ai voulu écrire ces poèmes dans le goût dévorant de mon siècle. Si j’ai résisté, d’où m’est venue cette résistance ? »

    La poésie de Benjamin Fondane est de toutes dimensions. Poésie du mythe et du sacré (L’Odyssée, La Bible…), poésie de l’amour pour « la frêle bergère » et « la fiancée promise et noire du Cantique des Cantiques », elle est avant tout poésie humaine :

                                Je parle d’homme à homme,

                                avec le peu en moi qui demeure de l’homme,

                                avec le peu de voix qui me reste au gosier.

    Fondane, c’est un homme qui tente de se dire avec son universalité, ses contradictions, ses imperfections, dont le chant peut n’être « qu’un cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème parfait », mais qui tente de se donner « un visage d’homme, tout simplement ».

    Jean-Pierre Longre

     

    Poésie, Essai, francophone, Roumanie, Benjamin Fondane, Patrice Beray, Michel Carassou, Monique Jutrin, Henri Meschonnic, Agnès Lhermitte, Serge Nicolas, Non Lieu, Verdier, Jean-Pierre LongreCahiers Benjamin Fondane n° 27, 2024. « L'art en questionS, années 20 ». Édition établie par Agnès Lhermitte et Serge Nicolas avec la collaboration de Monique Jutrin. Faux Traité d’esthétique, inédit de 1925.

    Extrait de l’introduction par Agnès Lhermitte :

     

    « En 1938, Fondane réutilise le titre de Faux Traité d’esthétique pour publier un essai qui a cette fois pour sous-titre « Essai sur la crise de réalité ». Il ne s’agit pas pour autant d’une reprise du manuscrit de 1925. Treize années ont passé, le contexte culturel a changé. Le jeune émigré récent encore incertain de ses orientations s’est nourri de nouvelles lectures. Il est devenu un poète maître de son art et un philosophe résolument existentiel qui aura approfondi et affermi sa pensée grâce à la rencontre de deux maîtres à penser. Chez Léon Chestov, qui guide ses lectures, il trouve la vision existentielle de la duplicité tragique de soi ; chez Lucien Lévy-Bruhl, la pensée de participation des primitifs, qui lui offre une voie d’accès au réel. Le sous-titre confirme la teneur nettement philosophique du nouvel essai.

    Fondane y poursuit une réflexion qui récuse les problématiques esthétiques stricto sensu pour s’attaquer de front à la question primordiale : Pourquoi l’art ? Pourquoi justement l’art chez le seul animal raisonnable ? Il se concentre alors sur la poésie, son propre champ d’action et d’interrogation, dans un mouvement inverse de celui qui, en 1925, lui faisait élargir à l’art la crise de la littérature étudiée par Rivière. Bien des questions abordées alors, restées sans réponse ou devenues obsolètes à ses yeux, comme l’enracinement socio-historique de l’art ou la forme, encore liée à l’ordre, à la raison, auront été évacuées. Mais l’idée essentielle, déjà présente dans le manuscrit, d’un art vivant, sera devenue le principe du nouveau traité, présenté comme la mise au point vitale d’un enjeu existentiel, et où la poésie, expérience mystique du réel, se confond avec la vie de l’homme. »

     

    Sommaire

    Introduction, Agnès Lhermitte


    Faux Traité d’esthétique (1925)

    - La Crise du Concept de l’Art
    - Erreur de l’art moderne « en tant que progrès »
    - L’Idée de l’originalité
    - « Deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison » : (Blaise Pascal)
    - Règne de l’homme théorique
    - L’Art autonome
    - De Dada au surréalisme – ou de « l’idiotie pure » au suicide

    Textes annexes
    - Préface du Faux Traité d’esthétique
    - Foi et dogme
    - Le Concept du beau
    - Faux concepts de l’art classique

    Textes complémentaires
    - « Faut-il brûler le Louvre ? »
    - Réflexions sur le spectacle

    Études
    - L’Art en question : un premier cheminement philosophique, Serge Nicolas
    - Une pensée en images, Agnès Lhermitte

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  • Une jeunesse prometteuse : Le Persil a 20 ans

    revue, le persil, francophone, suisse, roumanie, marius daniel popescu, jean-pierre longreLe Persil Journal, n° 222-223, juillet 2024 et 224-225-226-227-228, décembre 2024.

    En juillet 2024, Marius Daniel Popescu continuait à relater dans la suite du Cri du barbeau les anecdotes qui jalonnent sa vie passée et sa vie présente : « Tu es à la fois dans ton pays d’ici et ton pays de là-bas […], les mots naissent sans parents sur la feuille, ta mémoire les baptise encore et encore. » Ces mots lui servent à raconter par exemple la visite récente du plombier et sa conversation avec lui, ou les parties de pêche faites dans son enfance avec d’autres garçons… d’autres épisodes encore…

    Quelques mois plus tard, paraît un numéro exceptionnel, celui des 20 ans de ce « journal qui pousse la littérature dans nos vies », « avec des textes et des images de plus de 1200 personnes en 228 numéros répartis en 99 publications et 3636 pages… » Avant des inédits de Heike Fiedler, Jean-Christophe Contini et Quentin Moron, avant l’historique de l’Association des Amis du Journal Le Persil, grâce à qui tout cela peut se faire, se multiplient les témoignages, à commencer par les débuts artisanaux racontés par celles, compagne et filles, qui ont accompagné Marius Daniel Popescu dans la création du journal. « En rentrant du travail, encore habillé de son uniforme des chauffeurs de bus, il a posé deux feuilles A3 sur la table pour y coller en lettres capitales LE PERSIL. Après avoir découpé et scotché les textes qu’il avait écrits, il les a ajustés à la mise en page. » C’est ainsi que tout a continué, et tous les souvenirs qui s’accumulent au fil des pages suivantes sont autant de preuves de l’obstination de son créateur à garder l’esprit et la manière des débuts.

    Il est écrit dans ce numéro que Le Persil est d’une constante audace. Cette audace, c’est celle d’un accueil tous azimuts, d’une hospitalité littéraire sans discrimination ni censure, sans considérations de notoriété ni souci de gloriole. Les autrices et auteurs, néophytes ou expérimentés, disposent à leur guise des feuilles épanouies d’un journal obstinément « inédit », c’est-à-dire, avec tous les risques que cela comporte mais aussi les chances ainsi données, composé d’écrits toujours nouveaux. Pas de commentaires superflus, pas de prétentions analytiques, pas d’apparats critiques – rien que des textes littéraires (et aussi des illustrations) dans toute leur originalité, avec leurs tâtonnements inquiets ou leur tranquille maturité. Et si la pluralité des contributeurs et la diversité des styles favorisent la qualité et l’intérêt des publications, parfois une livraison est consacrée à un seul écrivain. Avec ténacité, brillamment, savoureusement, c’est de la belle et bonne lecture que nous offre Marius Daniel Popescu, dont l’origine roumaine se marie parfaitement avec l’esprit romand pour enrichir, avec une singularité parfois déroutante, toujours séduisante, le patrimoine littéraire européen.

    Pour qui veut aller plus loin, les pages centrales offrent les listes bien instructives de tous les numéros publiés (dates et thèmes principaux) et de tous les contributeurs. Et une nouveauté : le site internet qui donne tous les renseignements possibles. Voir ci-dessous. Un Persil à consommer et un site à consulter sans modération…

    Jean-Pierre Longre

    www.lepersil.ch

    www.facebook.com/journallitterairelepersil

  • La force des mots

    Poésie, Roumanie, Ana Blandiana, Hélène Lenz, Jean Poncet, Jacques André éditeur, Jean-Pierre LongreAna Blandiana, Poèmes résistants, traduits du roumain par Hélène Lenz, édition bilingue révisée et présentée par Jean Poncet, Jacques André éditeur, 2024

    Comment résister à l’oppression ? Ouvertement, en s’exposant à la violence de la répression ; par l’exil, en espérant un avenir meilleur ; en luttant par les mots, en prose ou en poésie. Ana Blandiana a résisté de l’intérieur, au risque, à plusieurs reprises, de se voir interdite de publication, mais avec une notoriété de plus en plus grande dans son pays. Et si, dans la présentation de Poèmes résistants, Jean Poncet a raison d’écrire que « le combat de Blandiana fut toujours plus éthique que politique », il fait sentir à juste titre que ce combat est avant tout poétique. Ce recueil, qui donne à lire les textes en roumain et leur traduction en français par Hélène Lenz, reprend des poèmes parus en 1984 (quatre, publiés dans la revue Amfiteatru), 1985 (Étoile de proie) et 1990 (L’architecture des vagues, livre terminé en 1987 mais publié après la chute de Ceauşescu, et contenant des poèmes à propos desquels l’autrice écrivit significativement le 28 décembre 1989 : « Je les dédie à ceux qui, en mourant, ont rendu possible, à côté de bien d’autres choses, le retour de la poésie pour la poésie. »)

    L’unité de l’ensemble est assurée par une tonalité commune qui laisse apparemment le pessimisme l’emporter sur l’espoir, la révolte sur la sérénité, les questionnements sans réponses sur les certitudes, et qui met en avant les hésitations concernant les formes de la résistance : « Le pouvoir de choisir / Entre être impliqué / Et être seul. / Le courage d’opter / Entre la souffrance du hurlement / Et celle du silence. /La force de décider / Entre la fuite au dehors / Et la fuite à l’intérieur. » L’une de ces formes est aussi l’ironie, lorsque la poésie s’écrie, en réponse à l’officiel « On doit tout faire pour réussir » : « Nous avons tout » : « Feuilles, mots, larmes, / Boîtes d’allumettes, chats, / Tramways quelquefois, queues pour la farine, / charançons, bouteilles vides, discours […] ».

    Tout compte fait, l’unité est assurée par l’art que possède et pratique Ana Blandiana : celui de tout métamorphoser en poésie, en persistant « à répartir / les signes, les mots, les lettres… » L’œil se transforme en étoile, « Les atomes se changent en sable, / Le sable forme des cailloux, / Les cailloux deviennent des lettres. / Quant aux lettres, elles germent puis donnent des bourgeons, / Qui font des moissons de mots. » Et cette poésie, finalement, « Arrachant au chaos / La vague périssant après la vague », peut laisser entrevoir l’espoir : « À travers les yeux des menottes / Il y a le futur du verbe être. » Voilà le miracle des mots apprivoisés par Ana Blandiana. Comment résister ? Par la poésie.

    Jean-Pierre Longre

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  • Un « portrait littéraire » et un triptyque poétique

    Luminitza G. Tigirlas        

    Gherasim Luca, ZÉros en Lucaphonie, Éditions du Cygne, « Portraits littéraires », 2024

    L’évidence de la paix nous enfante, Al Manar, 2024

     

    Essai, poésie, Luminitza G. Tigirlas, Gherasim Luca, Éditions du Cygne, Al Manar, Jean-Pierre LongreLuminitza G. Tigirlas vient de publier deux ouvrages bien différents l’un de l’autre, mais dont le point commun est la poésie.

    Gherasim Luca, ZÉros en Lucaphonie. Présentation : « LUCAPHONIE est le nom que je donne à un univers poétique qui fascine comme le chant du serpent et dont on ne sort pas le même, car avec Gherasim Luca on se laisse aspirés dans le tourbillon langagier qu’il dirige en maître, tourbillon qui forme-déforme tout une glèbe phonétique vocalement et graphiquement. C’est le terrain d’un jeu-ravinement de vie et de mort avec le langage que le poète mène seul à seul, dans des corps à corps sensuels jusqu’à l’animalité du cri et souvent dans la fureur de l’ironie. C’est le Trou de sa dette de nom, de père et de perte. À dix-sept ans Salman Locker de Bucarest s’autoproclama Gherasim Luca (1913-1994). Une lignée de suppléance s’invente au cours des années pour le poète, orphelin du (Z)Eros qui fait Un avec le Trou d’obus où fut déchiqueté son père.
    L’aboutissement auquel tend le poème proféré L’Autre Mister Smith, poème qui m’interpelle tout particulièrement, serait celui d’arracher le nom (de) Gherasim Luca au vrai-Gherasim Luca dans le combat entre les deux entités… »

    Essai, poésie, Luminitza G. Tigirlas, Gherasim Luca, Éditions du Cygne, Al Manar, Jean-Pierre LongreL’évidence de la paix nous enfante. « Dire le désir de paix qui nous habite, dans le monde tourmenté qui est le nôtre. » Recueil en trois parties : « ante-bellum : les frontières saignent » ; « la paix envoie des perce-neige au front » ; « j’ai vu la terre pondre la faim ».  Deux extraits : « De tant d’hivers je perce le paillage / il me faut m’enfuir de moi comme d’une terre à une autre / sinon j’attire les semailles /sinon ma graine risque de germer / ma graine de tangage sans oubli ». « Striures de l’autre langue / sur la face du mot qui s’ouvre / infinie matière du souffle ».

    Au centre des deux ouvrages, comme au centre de tout : le langage.

    Jean-Pierre Longre

    www.editionsducygne.com

    https://editmanar.com

    D’autres œuvres de Luminitza G. Tigirlas : http://livresrhoneroumanie.hautetfort.com/tag/luminitza+c.+tigirlas

    Un ouvrage de Gherasim Luca : http://jplongre.hautetfort.com/tag/gh%C3%A9rasim+luca

  • Mystères et renaissance de l’onirisme

    Nouvelle, Roumanie, Dumitru Tsepeneag, Nicolas Cavaillès, P.O.L., Jean-Pierre LongreDumitru Tsepeneag, Mise en scène, traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, P.O.L., 2024

    Dans les années 1960, Dumitru Tsepeneag, avec quelques compagnons dont Leonid Dimov et Virgil Tanase, fonda à Bucarest le « groupe onirique », lieu de débat intellectuel, esthétique, littéraire se situant aux antipodes du totalitarisme pesant sur la Roumanie à cette époque. Il ne s’agissait pas de revenir aux conceptions romantiques ou surréalistes du rêve, mais de s’appuyer sur ses « critères » et son fonctionnement pour créer un nouveau réel littéraire. Les apparences du rêve, sa complexité, les retours d’images et de thèmes, les obsessions qu’il véhicule caractérisent ainsi les œuvres « oniriques », et les nouvelles rassemblées dans Mise en scène, composées à la fin des années 1960, qui n'ont pu être publiées qu’après 1989 et viennent d’être traduites en français par Nicolas Cavaillès, en sont un beau témoignage.

    Le recueil est composé de onze textes qui, s’ils sont d’inégale longueur et abordent des thèmes variés, entrent en résonance les uns les autres grâce à une écriture portée par les caractéristiques structurelles du rêve et de ses apparences absurdes. Construire une montagne infinie de chaises ou creuser des fosses insondables, se laisser accaparer brutalement par une sorte de secte ou faire difficilement monter un âne dans un camion pour fuir avec lui, laisser pleurer un être étrange enfermé dans une armoire ou accueillir un petit homme grelottant de peur et de froid, se confronter à de multiples miroirs que l’on voudrait briser comme pour occulter l’image de soi ou partir dans un bateau en papier sur une « mer de sang », emmener une foule disparate sur un miroir piégé ou laisser un bel homme se faire étouffer par des serpents… Quelques mots ne suffisent évidemment pas à donner une image fidèle de la forme, du fond et de la dimension de ces textes.

    Reste la longue nouvelle centrale, celle qui donne son titre au recueil, un titre annonçant une plongée dans le théâtre. Oui, le théâtre est bien là, donnant à la nouvelle une dimension scénique, avec des personnages, un auteur – metteur en scène, un va-et-vient entre le « réel » du récit et celui de la scène qui souvent se confondent, sans que l’on sache toujours ce qui relève de la réalité et de la fiction narratives, ce qui relève de la vérité et du mensonge, du « Theatrum mundi » et de la « mise en scène », de la présence de l’Auteur et de l’imposture. « Soit dit entre nous, tout ça, tous ces trucages, c’est bon pour le théâtre, ou pour le cinéma, encore mieux, mais ça n’a rien à voir avec la réalité. Des trucages ! […] Tout est fondé sur la suggestion. Vous comprenez, camarade colonel… Voilà le théâtre moderne : une métaphore incarnée puis commentée, destruction de la rampe, des coulisses… Une révolution complète ! » Antithèse du « réalisme socialiste », le récit / théâtre en profite pour d’adonner, en toute lucidité, à la satire profonde et métaphorique d’un régime fondé sur le mensonge et de ses sbires, ainsi qu’à une reprise parodique de la mort et de la résurrection du Christ, « l’Auteur » cloué sur sa chaise puis réapparaissant sous l’aspect du « Milicien » acclamé par le public… 

    Cette publication de textes anciens ajoute une étape importante au cheminement de l’un des plus importants écrivains roumains (ou franco-roumains) contemporains, et pus généralement à la puissance onirique de la littérature.

    Jean-Pierre Longre

    www.pol-editeur.com

  • Les guenilles de la vie

    Poésie, Roumanie, Constantin Acosmei, Nicolas Cavaillès, éditions Marguerite Waknine, Jean-Pierre LongreConstantin Acosmei, Le Jouet du mort, traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, éditions Marguerite Waknine, coll. Les cahiers de curiosités, 2024

    L’unique recueil de Constantin Acosmei est en fait un livre pluriel. D’abord par sa composition : encadrées par deux sonnets en -x, rappels élaborés, malicieux et troublants de Mallarmé (saluons au passage la tâche du traducteur), cinq sections en vers ou en prose (les poèmes en vers généralement entre parenthèses, comme pour en marquer le caractère passager ou décalé, comme pour en faire humblement de simples remarques marginales), cinq sections dont les points communs seraient l’ironie frisant le sarcasme, l’absurde cheminant vers le désespoir, l’onirisme confinant au cauchemar, l’ignorance sœur de l’impuissance…

    C’est dans les scènes de la vie quotidienne que le poète puise son inspiration, en extirpant à plusieurs reprises le « taedium vitae », cette lassitude proche du « dor » roumain ; une vie quotidienne dont l’évocation penche le plus souvent vers ce qu’elle a de dérisoire et de sordide, une vie où une mèche de cheveux est forcément « sale », où les ressorts d’un lit sont forcément « cassés », où la gnôle est forcément « éventée », où l’on boit de « l’âcre vinasse », où les corps suintent de fluides – bave, morve, larmes, excréments… –, où l’on joue avec des os (« le jouet du mort »). L’amour n’est pas absent du recueil, mais il reste abstrait ou soustrait : « j’écoute mon cœur / palpiter et je m’imagine / être amoureux » ; et lorsque la nature est là, elle contient la mort (une « charogne » dans un jardin, une poule à égorger…).

    La poésie d’un quotidien vu d’un côté morbide n’exclut pas la présence, voire la nécessité d’une lumière, pourtant éphémère (« l’une après l’autre s’éteignent les poésies / écrites à la lumière du réchaud »), et la section en prose intitulée « Relations » semble tranquillement raconter des scènes tirées des trois âges successifs de la vie, enfance, maturité, vieillesse. Les anecdotes relatées ont l’apparence, simultanément, du réalisme et du rêve. À quoi s’en tenir ? L’onirisme tourne à la bizarrerie teintée d’un absurde que ne renieraient pas Urmuz ou Ionesco. La mort est toujours là, mais pas plus redoutée que la vie, si l’on en croit certains textes comme « je ne crains pas la mort » ou « palinodie » : « je ne suis pas curieux de vivre / ni de mourir ». Et si cela arrive, « qui sait quel avenir lumineux / on pourra lire dans mes viscères ». Voilà l’enjeu de la mort.

    Jean-Pierre Longre

    http://margueritewaknine.free.fr/entree.htm

  • Polyphonies picturales

    Constantin Severin, Les vies des peintres, préface d’Elena-Branduşa Steiciuc, L’Harmattan, 2024

    Poésie, peinture, francophone, Roumanie, Constantin Severin, Elena-Branduşa Steiciuc, L’Harmattan, Jean-Pierre LongreDepuis le poème « Correspondances » de Baudelaire (entre autres références), il est souvent question de synesthésies en matière artistique, et c’est tant mieux, car l’art est le meilleur moyen de solliciter simultanément tous les sens, ou plusieurs d’entre eux. Voilà ce qui se passe dans le beau recueil poétique de Constantin Severin, lui-même artiste, fondateur de « l’Expressionnisme archétypal », mouvement qui se réfère à des créations de diverses époques.

    Vingt-cinq peintres sont ici chantés, d’Yves Klein à Lucian Freud, en passant par Francis Bacon, Frida Kahlo, Vassily Kandinsky, Pablo Picasso, Salvador Dali, Joan Mirò, Louise Bourgeois, on en passe… Vingt-cinq artistes qui, si certains éléments de leur biographie sont évoqués, sont vus (le plus souvent à la première personne) du côté de leur création et de ce qu’il est possible d’en saisir par les mots. Des mots pesés, choisis, agencés pour rendre d’une manière à la fois lyrique et précise, lumineuse et profonde, l’essence de leur œuvre. Cette essence tient souvent à la combinaison des couleurs et des formes avec la musique, comme c’est le cas chez Ion Țuculescu (« soit la couleur contient de la musique soit ne le fais pas »), Paul Klee (« peindre en musique la naissance simultanée du son et de la couleur »), Edvard Munch (« la souffrance et la musique font partie de moi et de mon art ») et bien d’autres, pour qui l’art, si l’on suit toujours les vers de Constantin Severin, « est une histoire intense sur l’harmonie la couleur et l’émotion » (à propos de Lin Fengmian).

    Car oui, l’émotion est partout, issue de la peinture et de ses effets polyphoniques. L’émotion et la souffrance, inséparables de « l’intimité avec la mort » évoquée par Paul Klee, ainsi que du « malheur du monde » porté par Kasimir Malevitch, même si l’amour se glisse en filigrane entre les ombres et la lumière, dans l’inconscient familier par exemple à Lucian Freud : « je peins lentement il faut du temps pour laisser l’inconscient choisir les couleurs ». En tout cas, la peinture est l’art du dépassement, dépassement des frontières physiques et spirituelles, dépassement du réel. « je peignais les choses comme je les pensais et non comme je les voyais », dit Picasso sous la plume du poète. C’est bien ce à quoi nous invite la poésie de Constantin Severin, qui arrive par les mots à « rendre visibles à tout prix l’immatériel et l’absolu », à donner présence à ce qui est caché profondément, secrètement sous « les vies des peintres ».  

    Jean-Pierre Longre

    www.editions-harmattan.fr

    https://constantinseverin.ro