Ainsi parlait / Aşa grăit-a Mihai Eminescu, dits et maximes de vie choisis et traduits du roumain par Nicolas Cavaillès, édition bilingue, Arfuyen, 2024
De Mihai Eminescu, le grand public amateur connaît surtout la poésie fulgurante et désespérée, nourrie du fameux « dor » roumain, « sentiment douloureux et profond », rêve et regret à la fois ; il sait moins, ce grand public, que le chantre de « Luceăfarul », Lucifer le « porteur de lumière », est surtout un « écrivain total ». Nicolas Cavaillès, dans sa présentation au titre prometteur (« Un joyau de la littérature universelle »), explique parfaitement comment « cette étoile devint un phénomène culturel essentiel et incontournable en Roumanie et en Moldavie » ; à la fois « poète maudit » mort trop tôt, « écrivain prolifique et polygraphe », il est une figure encore trop méconnue des lecteurs francophones.
Les morceaux ici choisis et dûment référencés à la fin du volume sont une excellente approche de l’universalité des préoccupations, du style et du génie d’Eminescu. Vers ou prose, ces brefs fragments abordent, dans le style ramassé de l’aphorisme, tous les thèmes qui fondent la littérature et la philosophie, l’existence et l’essence. « Qu’est-ce à la fin que l’amour ? Du rêve et des apparences, / Des habits étincelants dont revêtir les souffrances. » Évidemment, l’art et la poésie sont mis en avant, car « Un homme médiocre pourra faire un grand politicien, dans certaines circonstances, mais il ne deviendra jamais un grand poète, sous aucune circonstance. » – et le propos satirique alterne ou se marie avec l’expression du désespoir : « Rien ne démoralise plus un peuple que de voir ériger la nullité et le manque de culture au titre de mérites. » Le poète peut-il réunir tous les états d’esprit ? Réponse : « L’homme mélancolique pleure, l’homme joyeux rit, tandis que celui qui est né avec un caractère inaltérable et des prédispositions au scepticisme sifflote. » Et, pas complètement inattendu : « Comme une sorte de refuge face aux nombreux inconvénients de la vie, Dieu dans sa haute bienveillance a donné à l’être humain le rire, avec toute sa gamme, depuis le sourire ironique jusqu’à l’éclat homérique. »
Oui, l’ « écrivain total », qui, nous dit Nicolas Cavaillès, « n’aura pas connu l’union avec son contraire, principe originel de la vie humaine », est pourtant une « étoile paradoxale ». Pour le poète, « les antithèses sont la vie », et « on ne peut élever une butte sans engendrer à côté une fosse ». Eminescu, poète pessimiste par-dessus tout et malgré tout, hanté par le malheur et par la mort qui l’emportera très tôt, « grand esprit » pour qui « tout est problème » (selon ses propres mots), est aussi celui qui nous révèle « l’infinité du temps ».
Jean-Pierre Longre
Cioran, Manie épistolaire, Lettres choisies 1930-1991, édition établie par Nicolas Cavaillès, Gallimard, 2024
Simona Ferrante, Sînzienele ou les Fées de l’amour, Mythes et légendes de Roumanie, illustrations d’Emil Florin Grama, L’Harmattan, 2017
Lorina Bălteanu, Cette corde qui m’attache à la terre, traduit du roumain par Marily le Nir
Radu Bata, L’amertume des mots doux, « adages ma non troppo »,
Luminitza C. Tigirlas, Le dernier cerceau ardent, Éditions du Cygne, 2023
Lionel Duroy, Mes pas dans leurs ombres, Miallet-Barrault, 2023
Cahiers Benjamin Fondane
Gabriela Adameşteanu, Fontaine de Trevi, traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, Gallimard, « Du monde entier », 2022
Le Persil Journal
Entre les deux, le foisonnement que l’on attend toujours du fameux journal grand format. Des proses réalistes ou non (Karine Yakim Pasquier, Odile Cornuz, Pauline Desnuelles, Philippe Veuve, Dania Miralles, Cornélia de Preux, Juliette Dezuari), du théâtre (Philippe Jeanloz), de la poésie bardée de citations (Marie Patrono, Anicée Willemin), des poèmes tendance haïkus (Philippe Fontannaz), des proses et des vers en alternance (Maud Armani)… Le tout est ponctué par un « Voyage en Suisse » photographique de Patrick Gilliéron Lopreno et par des lignes ambulantes de Marius Daniel Popescu en personne !
Christian Cogné, Toute fleur s’étalait plus large, Velvet, 2023
Marina Anca,
Luminitza C. Tigirlas, Eau prisonnière, Jacques André éditeur, 2022
Catherine Durandin, Ma Roumanie communiste, L’Harmattan, 2023
Le Haïdouc
Radu Bata, Le Blues roumain, vol. 3, anthologie implausible de poésies. Préambule de Muriel Augry, préface de Cali, mot de la fin de Charles Gonzalès,
Cahiers Benjamin Fondane n° 25, « Dialogues », 2022