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Littérature

  • Polyphonies picturales

    Constantin Severin, Les vies des peintres, préface d’Elena-Branduşa Steiciuc, L’Harmattan, 2024

    Poésie, peinture, francophone, Roumanie, Constantin Severin, Elena-Branduşa Steiciuc, L’Harmattan, Jean-Pierre LongreDepuis le poème « Correspondances » de Baudelaire (entre autres références), il est souvent question de synesthésies en matière artistique, et c’est tant mieux, car l’art est le meilleur moyen de solliciter simultanément tous les sens, ou plusieurs d’entre eux. Voilà ce qui se passe dans le beau recueil poétique de Constantin Severin, lui-même artiste, fondateur de « l’Expressionnisme archétypal », mouvement qui se réfère à des créations de diverses époques.

    Vingt-cinq peintres sont ici chantés, d’Yves Klein à Lucian Freud, en passant par Francis Bacon, Frida Kahlo, Vassily Kandinsky, Pablo Picasso, Salvador Dali, Joan Mirò, Louise Bourgeois, on en passe… Vingt-cinq artistes qui, si certains éléments de leur biographie sont évoqués, sont vus (le plus souvent à la première personne) du côté de leur création et de ce qu’il est possible d’en saisir par les mots. Des mots pesés, choisis, agencés pour rendre d’une manière à la fois lyrique et précise, lumineuse et profonde, l’essence de leur œuvre. Cette essence tient souvent à la combinaison des couleurs et des formes avec la musique, comme c’est le cas chez Ion Țuculescu (« soit la couleur contient de la musique soit ne le fais pas »), Paul Klee (« peindre en musique la naissance simultanée du son et de la couleur »), Edvard Munch (« la souffrance et la musique font partie de moi et de mon art ») et bien d’autres, pour qui l’art, si l’on suit toujours les vers de Constantin Severin, « est une histoire intense sur l’harmonie la couleur et l’émotion » (à propos de Lin Fengmian).

    Car oui, l’émotion est partout, issue de la peinture et de ses effets polyphoniques. L’émotion et la souffrance, inséparables de « l’intimité avec la mort » évoquée par Paul Klee, ainsi que du « malheur du monde » porté par Kasimir Malevitch, même si l’amour se glisse en filigrane entre les ombres et la lumière, dans l’inconscient familier par exemple à Lucian Freud : « je peins lentement il faut du temps pour laisser l’inconscient choisir les couleurs ». En tout cas, la peinture est l’art du dépassement, dépassement des frontières physiques et spirituelles, dépassement du réel. « je peignais les choses comme je les pensais et non comme je les voyais », dit Picasso sous la plume du poète. C’est bien ce à quoi nous invite la poésie de Constantin Severin, qui arrive par les mots à « rendre visibles à tout prix l’immatériel et l’absolu », à donner présence à ce qui est caché profondément, secrètement sous « les vies des peintres ».  

    Jean-Pierre Longre

    www.editions-harmattan.fr

    https://constantinseverin.ro

  • Un « écrivain total »

    Essai, poésie, Roumanie, Mihai Eminescu, Nicolas Cavaillès, Arfuyen, Jean-Pierre LongreAinsi parlait / Aşa grăit-a Mihai Eminescu, dits et maximes de vie choisis et traduits du roumain par Nicolas Cavaillès, édition bilingue, Arfuyen, 2024

    De Mihai Eminescu, le grand public amateur connaît surtout la poésie fulgurante et désespérée, nourrie du fameux « dor » roumain, « sentiment douloureux et profond », rêve et regret à la fois ; il sait moins, ce grand public, que le chantre de « Luceăfarul », Lucifer le « porteur de lumière », est surtout un « écrivain total ». Nicolas Cavaillès, dans sa présentation au titre prometteur (« Un joyau de la littérature universelle »), explique parfaitement comment « cette étoile devint un phénomène culturel essentiel et incontournable en Roumanie et en Moldavie » ; à la fois « poète maudit » mort trop tôt, « écrivain prolifique et polygraphe », il est une figure encore trop méconnue des lecteurs francophones.

    Essai, poésie, Roumanie, Mihai Eminescu, Nicolas Cavaillès, Arfuyen, Jean-Pierre LongreLes morceaux ici choisis et dûment référencés à la fin du volume sont une excellente approche de l’universalité des préoccupations, du style et du génie d’Eminescu. Vers ou prose, ces brefs fragments abordent, dans le style ramassé de l’aphorisme, tous les thèmes qui fondent la littérature et la philosophie, l’existence et l’essence. « Qu’est-ce à la fin que l’amour ? Du rêve et des apparences, / Des habits étincelants dont revêtir les souffrances. » Évidemment, l’art et la poésie sont mis en avant, car « Un homme médiocre pourra faire un grand politicien, dans certaines circonstances, mais il ne deviendra jamais un grand poète, sous aucune circonstance. » – et le propos satirique alterne ou se marie avec l’expression du désespoir : « Rien ne démoralise plus un peuple que de voir ériger la nullité et le manque de culture au titre de mérites. » Le poète peut-il réunir tous les états d’esprit ? Réponse : « L’homme mélancolique pleure, l’homme joyeux rit, tandis que celui qui est né avec un caractère inaltérable et des prédispositions au scepticisme sifflote. » Et, pas complètement inattendu : « Comme une sorte de refuge face aux nombreux inconvénients de la vie, Dieu dans sa haute bienveillance a donné à l’être humain le rire, avec toute sa gamme, depuis le sourire ironique jusqu’à l’éclat homérique. »

    Oui, l’ « écrivain total », qui, nous dit Nicolas Cavaillès, « n’aura pas connu l’union avec son contraire, principe originel de la vie humaine », est pourtant une « étoile paradoxale ». Pour le poète, « les antithèses sont la vie », et « on ne peut élever une butte sans engendrer à côté une fosse ». Eminescu, poète pessimiste par-dessus tout et malgré tout, hanté par le malheur et par la mort qui l’emportera très tôt, « grand esprit » pour qui « tout est problème » (selon ses propres mots), est aussi celui qui nous révèle « l’infinité du temps ».

    Jean-Pierre Longre

    https://editionsarfuyen.com

  • Dans l’intimité du penseur

    : Correspondance, Cioran, Nicolas Cavaillès, Gallimard, Jean-Pierre LongreCioran, Manie épistolaire, Lettres choisies 1930-1991, édition établie par Nicolas Cavaillès, Gallimard, 2024

    Le 29 avril 1974, Cioran écrit à son ami d’enfance Bucur Țincu : « Mieux que personne, j’ai eu la vie que j’ai voulue : libre, sans les servitudes d’une profession, sans humiliations cuisantes ni soucis mesquins. Une vie presque rêvée, une vie d’oisif comme il en existe peu en ce siècle. » Un an plus tard (dans le volume, une page plus loin), à un autre ami, Arşavir Acterian : « Ma vie continue avec les inévitables ennuis dont je ne cesse de me plaindre. Je vois trop de monde. Je perds mon temps en conversations, en palabres, car les cinq continents s’étant donné rendez-vous dans cette ville, je dois, comme tout un chacun, en subir les conséquences. J’estime béni le jour sans visite. » Qu’en déduire ? Ce que l’on a déjà remarqué à la lecture des œuvres de l’auteur : adepte d’une écriture fragmentaire, il cultive le paradoxe – et ici il le fait jusque dans ses impressions intimes, qui n’échappent pas aux « flottements continuels ». La « manie épistolaire » est un terrain idéal pour cela.

    Dès les premières lettres, alors qu’il est encore tout jeune, se signale comme en germe ce qui caractérisera Cioran et son œuvre : l’expression des tourments et de la douleur, l’aveu d’un narcissisme qui pourtant peut s’inscrire dans une vision collective : « Devant le destin individuel les formes historiques et politiques n’arrivent à rien. Hitlérisme ou communisme, les gens souffrent de la même manière et meurent de la même manière. Le destin, l’irréparable intérieur, voilà à quoi tout se réduit. » (1933). De même l’opposition entre l’esprit roumain, son « subjectivisme malheureux », et l’esprit français : « La France est le pseudonyme de l’intelligence. » D’où, entre autres raisons, l’adoption de la langue française : « Quoique le français soit ardu, je l’ai adopté, ne fût-ce que pour les difficultés que j’y rencontre : je n’écrirai plus jamais en roumain. » (1947), cela même en l’absence d’illusions : « Je ne serai écrivain dans aucune langue. Mon malheur est d’avoir cru que l’âme est tout, alors que les mots sont les véritables dieux. » (même lettre).

    Ce choix de lettres (traduites du roumain pour les premières et plusieurs adressées à la famille ou à certains amis, quelques autres traduites de l’allemand, la plupart écrites directement en français) nous fait parcourir l’existence intime de Cioran entre ses 19 ans et ses 80 ans, avec ses fluctuations, ses évolutions (en amitié, en politique), ses difficultés matérielles et financières, ses maladies, ses rapports avec sa famille, ses sentiments, un ultime amour pour une admiratrice allemande, un surprenant engouement pour les travaux campagnards (« Rien ne me comble autant que ce genre de travaux pour lesquels – ne riez pas – j’ai été fait. »). Et bien sûr nous rencontrons ses amis (Bucur Țincu, Arşavir Acterian et sa sœur Jeni, Armel Guerne, Mircea Eliade…) et nous croisons des écrivains comme Eugène Ionesco, Benjamin Fondane, çà et là Flaubert, Valéry, Beckett et tant d’autres, sans parler des philosophes du passé et du présent. Même si les livres de Cioran laissent entrevoir des pans importants de sa personnalité, ces lettres, judicieusement choisies par Nicolas Cavaillès, révèlent la personne de l’auteur, son isolement farouche et ses compromis avec la société, ses aveux et ses vérités. Dans un style toujours impeccable, parfois délicieusement classique (voir par exemple l’expression « un livre de ma façon »), un apport majeur non seulement à la connaissance de l’homme, mais aussi à la compréhension de son œuvre.

    Jean-Pierre Longre

    www.gallimard.fr

  • Sept contes populaires

    Conte, francophone, Roumanie, Jean-Pierre Longre, Simona Ferrante, Emil Florin Grama, L’Harmattan, Jean-Pierre LongreSimona Ferrante, Sînzienele ou les Fées de l’amour, Mythes et légendes de Roumanie, illustrations d’Emil Florin Grama, L’Harmattan, 2017

    La Roumanie est un pays où la tradition mythique et légendaire, d’une exceptionnelle richesse, reste vivante. Simona Ferrante l’écrit dans son prologue : « La littérature populaire constitue une source abondante dans laquelle la littérature moderne a puisé souvent son inspiration. » Et après avoir clairement défini les mythes (intemporels) et les légendes (ancrées dans une réalité historique), elle évoque les sujets des sept contes qui font l’objet de son livre, dans son style et sa perspective personnels.

    On y retrouve avec émotion l’histoire de maître Manole, qui fut obligé d’emmurer sa femme pour achever la construction du monastère d’Argeş, sacrifice suprême destiné à accomplir sa création – et qui en mourut lui-même. Et aussi, dans « Flocon de neige », la ballade de Mioriţa, la brebis chérie qui avertit son berger des mauvaises intentions de ses deux collègues – illustration des étapes d’une vie, naissance, amour, mort. Nous sommes aussi plongés dans l’histoire lointaine de la Dacie et du roi Decebal, ce qui permet une réflexion sur les origines du peuple roumain : « On ne peut oublier les Daces, ils sont nos ancêtres, notre héritage. De même, on ne peut surtout pas nier ce que la culture latine nous a apporté. Cette union a fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui, le peuple roumain, mais la genèse ne fut pas sans souffrance. »

    Fruits de l’imagination (comme celle qui a donné son titre à l’ouvrage) ou de la tradition (comme celle, entre autres, qui explique la présence d’étranges rochers au sommet des monts Bucegi), les histoires ici racontées foisonnent de références mythiques ou légendaires, de personnages symboliques et pittoresques, d’actions vives et de dialogues alertes, d’interprétations poétiques de la marche du monde (voyez pourquoi, par exemple, « quand la lune luit, le soleil dort et quand le soleil se lève, la lune s’abîme dans la mer. »)… Et les illustrations d’Emil Florin Grama, portraits ou paysages, ponctuent de leur luminosité particulière les textes de Simona Ferrante, dont la lecture enrichit singulièrement la connaissance que l’on peut avoir de la culture roumaine et européenne.

    Jean-Pierre Longre

    Les sept contes : Le Monastère d’Argeş, La légende de la Dacie et du berceau des tempêtes, Flocon de neige, Sînzienele ou les Fées de l’amour, Voinicel et le Serpent, Le Soleil et la Lune, La vieille Dochia.

    https://www.editions-harmattan.fr

  • Une enfance en Moldavie soviétique

    Roman, Moldavie, Roumanie, Lorina Bălteanu, Marily Le Nir, Éditions des Syrtes, Jean-Pierre LongreLorina Bălteanu, Cette corde qui m’attache à la terre, traduit du roumain par Marily le Nir, Éditions des Syrtes, 2024

    Années 1960-1970. En brefs épisodes, une fillette raconte sa vie quotidienne dans un village où se mêlent traditions rurales et contraintes plus ou moins explicites dues au régime en vigueur – le pays qui est devenu en 1991 la République de Moldavie étant alors intégré à l’URSS. Cela pour l’environnement extérieur. Mais il y a plusieurs couches de lecture dans cette narration menée avec une grande finesse : les relations familiales, avec les frères et sœurs, les parents (« Maman veut que Papa soit comme elle le veut, elle »), les grands-parents, si différents les uns des autres, sans oublier la famille éloignée ; les relations avec d’autres enfants et des figures marquantes du village, la guérisseuse, la bibliothécaire, le « beau garçon » qui « a fait le malheur de bien des filles », et surtout de celle qu’il a épousée, le milicien, Ileana qui a mauvaise réputation…

    Et surtout, la vie intérieure de la fillette qui manifeste un sens aigu de l’observation tout en se laissant aller à des désirs d’ailleurs, qui fait preuve d’une intelligence précoce alliée à une fraîche naïveté enfantine. Elle combat les soucis de la vie et les petites ou grandes vexations en rêvant et en s’appropriant lucidement ses rêves : « Moi, j’aime tous mes rêves et je ne veux pas les mélanger avec ceux de mes frères. » Parmi les incitations, il y a surtout la « tante Muza », qui vit à Bucarest et dit connaître Paris. « Je parcours le monde en pensée, avec elle, parfois je vais encore plus loin, là où elle n’est pas encore parvenue, et même la voix fâchée de maman ne peut pas me faire revenir. » En fait, les gestes familiers et les petites préoccupations de la vie quotidienne sont essentiellement tournés vers l’hypothétique départ, espoir et lucidité mêlés : « La nuit, quand l’envie de partir me reprend, je sors ma lampe de poche de sous l’oreiller et, à sa lumière, je recompte mes sous à l’insu de tous. Il n’y en a pas encore assez. Moi, je veux partir loin et, pour ça, il m’en faut encore plus. »

    Il n’y a apparemment rien d’exceptionnel dans ce livre. Vie familiale, vie sociale, vie scolaire, échappées réelles et imaginaires… Mais Lorina Bălteanu qui, née en Moldavie et vivant à Paris, connaît bien le contexte de son sujet, sait parfaitement camper des ambiances et montrer les vicissitudes de la vie à travers les mots d’une enfant qui n’hésite pas à dire ce qu’elle a à dire, qui n’a pas froid aux yeux – des yeux qu’elle a vifs et acérés (d’ailleurs la plupart du temps elle « rêve les yeux ouverts »). Et si la matière narrative est puisée dans un réel historiquement et géographiquement précis, l’autrice la transforme en un récit dont la portée est à la fois générale et profondément humaine. C’est là le véritable art du roman.

    Jean-Pierre Longre

    https://editions-syrtes.com

    Parution le 22 mars 2024

  • Nouveau manuel de survie poétique

    poésie, adages, images, francophone, roumanie, radu bata, gwen keraval, rodica costianu, éditions unicité, Jean-Pierre LongreRadu Bata, L’amertume des mots doux, « adages ma non troppo », Éditions Unicité, 2024

    Les multiples talents littéraires de Radu Bata ne sont plus à démontrer. Mais pour le plaisir de l’inventaire et pour le rafraîchissement de la mémoire, on peut en rappeler quelques-uns. Inventeur des « poésettes » destinées à mettre la poésie à la disposition de qui en veut, traducteur et propagateur de la poésie roumaine dans le monde francophone, avec à son actif et jusqu’à ce jour trois (3 !) volumes de Blues roumain, prolifique compositeur de recueils de textes brefs et denses, que modestement il a intitulés, par exemple, Mine de petits riens, mais qui, s’ils sont effectivement une mine, ne sont pas rien, il poursuit maintenant avec un titre aussi oxymorique que prometteur, L’amertume des mots doux. Double promesse tenue.

    Doux ou amers, doux et en même temps amers, les mots sont quoi qu’il en soit de la fête. Passés à la moulinette de l’imagination (voir l’illustration fantastique de couverture par Gwen Keraval) et de leur musique propre, ils font feu de tout bois entre terre et ciel, entre océan et soleil, entre amour et mort, entre horizon et nuages, ces nuages chers à l’auteur et qui, avec « l’air de la mer », permettent de « tenir / dans ce monde qui expire. » Les nuages et, bien sûr, la poésie (car oui, malgré ses dénégations, Radu Bata est bien un poète), authentique « manuel d’entraînement / pour survivre en milieu hostile. » Car il ne faut pas s’y tromper, si fête des mots il y a (on y reviendra), le vertige du temps, l’espoir et le désespoir, le « désert des hommes », l’incessant sentiment de l’exil, « chemin qui ne finit jamais » ou « mariage blanc avec une veuve noire » – tout cela laisse à penser que l’amertume est le moteur de la moulinette.

    Mais Radu Bata ne s’en laisse pas compter, et chez lui l’invention est une arme de combat, qui sous la douceur cache une redoutable efficacité. S’il est resté fidèle aux mots de sa langue natale, ceux de sa langue d’adoption n’ont pas de secrets pour lui, et il en joue sans vergogne : polysémie, jeux sonores, associations verbales, images surprenantes, mystérieuses résonances lexicales que soulignent les dessins de Rodica Costianu, tracés en courbes suggestives au fil de la plume… Et n’oublions pas l’humour, dont l’auteur a un sens aigu et dont il ne s’est jamais départi, exorcisant ainsi, entre autres, l’angoisse du « désamour » et de l’errance permanente. Voyez le dernier texte, un poème intitulé « Mon parcours professionnel dit avec des fleurs ». Tout un programme… Évidemment, le chroniqueur aurait envie de multiplier les citations ; mais il ne serait plus chroniqueur. Alors il se contentera de finir ainsi : « Le poète est devin / il sait de quoi sont faits les ciels de demain » ; ou, si l’on préfère : « L’écrivain est un globe-trotter / qui tourne autour de son nombril ». Poète ou écrivain, les deux en fait, il est toujours en mouvement, et c’est à ce prix qu’il survit et nous aide à survivre.

    Jean-Pierre Longre

    www.editions-unicite.fr  

    Radu Bata

     

  • L’insoumission des mots

    Poésie, francophone, Moldavie, Roumanie, Luminitza C. Tirgilas, Éditions du Cygne, Jean-Pierre LongreLuminitza C. Tigirlas, Le dernier cerceau ardent, Éditions du Cygne, 2023

    Ce recueil est composé de quatre parties d’inégale longueur : « Au fil du a », bref ensemble de poèmes numérotés de (a) à (a3), où semble dominer la vie domestique et familiale (la mère, le père, les enfants) ; « Saigner un trou à la faux », aux poèmes numérotés de I à IX, et dans lesquels apparaissent des motifs religieux (« Dieu maternel ») mêlés parfois à des considérations linguistiques ; « Dieu-Haleur », la section la plus longue, dans laquelle ce mystérieux Dieu, secondé (ou contrecarré ?) par un non moins mystérieux « Aiguilleur-du-Ciel-sonneur », opère des mouvements divers dans l’espace, dans le temps, dans le langage ; les derniers poèmes, réunis sous le titre « en boule des mots je m’enroule », répondent à ce qu’annonce ce titre, avec significativement un texte dédié à Gherasim Luca et à son recueil poético-épistolaire Levée d’écrou, et appellent à l’insoumission.

    Ce qui précède n’est qu’une tentative un peu vaine d’analyse d’un recueil qui résiste à tout essai de ce type. La poésie de Luminitza C. Tigilras est exigeante, riche de connotations, et pour la lire il faut simplement se laisser porter par la « partition » que nous proposent les vers et les proses, et avec l’autrice bifurquer aux « aiguillages de la rive », passer du Prut (« Pyreta ») à la Camargue, de « l’Est [qui] s’allonge langoureusement sur sa rive d’origine » à l’Ouest indéfinissable (« OùEst »), s’insurger « face à Lucifer »… Tout cela se décline en jeux verbaux (le « soufre » et la « souffrance », « Onde », « Monde », « Démon », « foie », « folie », « foi » etc.), en onomatopées musicales ou affolées, laissant passer des allusions à la Moldavie (« Ungheni, ville de la rive Est », le jeu de la « tzurca »…). D’autres thèmes, d’autres images, d’autres chocs sonores sont à découvrir dans ce beau recueil, « Lave en éclat de fusion et de rire / mélange subtil d’ire et de sanglot ».

    Jean-Pierre Longre

    http://www.editionsducygne.com

  • Les massacres et les silences

    Roman, Histoire, francophone, Roumanie, Lionel Duroy, Miallet-Barrault, Jean-Pierre LongreLionel Duroy, Mes pas dans leurs ombres, Miallet-Barrault, 2023

    Son nom de famille est Codreanu, et pourtant Adèle, dont les parents ont émigré en France à l’époque de Ceauşescu, ne s’est jamais vraiment intéressée à la Roumanie. C’est à l’occasion d’un reportage à Bucarest, où l’envoie son rédacteur en chef, que la journaliste va découvrir l’histoire de son pays d’origine, ainsi que le passé trouble de son ascendance : son grand-père, qui fut un haut responsable communiste, n’a-t-il pas été auparavant un militant de l’extrême-droite antisémite sous le général Antonescu ? C’est en tout cas ce que vont lui révéler des habitants de Iaşi, la ville de sa famille.

    Prise de passion pour ses recherches sur les massacres de Juifs, dans les années 1940, entre la Roumanie, la Moldavie et l’Ukraine, confortée par la lecture des livres d’Aharon Appelfeld et d’Edgar Hilsenrath, elle va parcourir les lieux de ces massacres et se poser des questions sur leur oubli : « Découvrant au même moment ce qu’avait été l’existence des Roumains sous le communisme (dont je n’avais rien voulu savoir de la part de mes parents) et le massacre des Juifs par ces mêmes Roumains, je confondais les époques, passais de l’une à l’autre comme si elles étaient liées. J’ai cherché à comprendre pourquoi mon cerveau établissait ce lien et je suis parvenue à me le formuler : des Juifs avaient été tués sous le régime fasciste du général Antonescu (combien ? je n’en savais rien) et ils l’avaient été une deuxième fois sous le régime communiste par l’interdiction de se souvenir d’eux, par l’effacement de leurs noms des mémoires et des livres d’histoire. »

    Périple historique (le livre donne beaucoup de précisions sur les lieux et les dates), il s’agit aussi d’un périple individuel et initiatique : les découvertes faites par Adèle bousculent sa vie sentimentale (elle se sépare de son mari, trouve un nouvel amour en Moldavie), sexuelle (sa frénésie d’exploration du passé rejaillit en quelque sorte sur ses désirs charnels), familiale, puisqu’elle dévoile à son père le passé de son grand-père, probablement complice de massacres de Juifs (« En plus d’être un menteur, ton père était probablement un salaud, peut-être même un assassin […]. Je me demande même si, au fond, tu le savais mais préférais que cela reste enfoui ») et citoyenne, puisque la Moldavie et la Roumanie, malgré le passé tu, malgré tout, semblent devenir son propre pays. Lionel Duroy, qui avec Eugenia avait déjà fait des pogroms (celui de Iaşi en particulier) un thème dramatique, historique et romanesque, élargit ici le champ de vision, en passant toujours par les yeux et les mots d’une héroïne à fleur de peau.

    Jean-Pierre Longre

    www.mialletbarrault.fr

  • La mémoire et la parole

    REVUE, FRANCOPHONE, ROUMANIE, BENJAMIN FONDANE, JEAN-PIERRE LONGRECahiers Benjamin Fondane n° 26, « Vie et survie », 2023

    Le jeune Fundoianu avait la plume déjà alerte et acide, déjà familière du second degré engagé. En témoignent deux textes critiques, « Le 1er mai socialiste » (1916, traduit par Carmen Oszi) et « Interview d’un Cubain » (1921, traduit par Hélène Lenz), tous deux pertinemment et savamment commentés par Aurélien Demars : le premier « ironise à propos de la fête du 1er mai alors que fait rage la Première Guerre mondiale », le second, interview imaginaire d’un citoyen cubain, est une charge contre l’enseignement de l’époque en Roumanie, qui asservit les consciences au lieu de libérer l’imagination et de se mettre « au service de l’enfant et de son émancipation ».

    Pour importantes et originales qu’elles soient, ce ne sont là que quelques pages de ce cahier, qui réunit encore une fois des articles de recherche riches et variés sur la poésie (Monique Jutrin et Agnès Lhermitte, ponctués par les « Lettres de Fondane à Seghers »), sur la philosophie (Monique Teboul, Sylvain Saura, Evelyne Namenwirth, Jean Dhombres), sur le cinéma (Érix de Lussy, avec le scénario inédit de Roméo et Juliette au XXème siècle), sur les relations entre Benjamin Fondane et Jean Paulhan (Serge Nicolas)…

    Comme le rappelle Agnès Lhermitte (« Fondane en corbeau »), le poète « redoutait que se perde sa mémoire, sa parole. Il « brigu[ait] » de « naviguer dans l’esprit des hommes », mais craignait de n’être plus qu’« un bouquet d’orties sous [leurs] pieds ». Voilà qu’en 1922, il reparait au cinéma, sous les espèces d’un corbeau. » Les « Cahiers », fidèlement, régulièrement, ravivent « sa mémoire, sa parole ».

    Jean-Pierre Longre

     

    Sommaire du numéro


    Éditorial
    - Vie et survie de Benjamin Fondane

    • Poésie
    - Vie et survie : «Ce bouquet d’orties», Monique Jutrin
    - Où (nous) mènent Tristan et Yseut ?, Agnès Lhermitte, Agnès Lhermitte
    - Lettres de Fondane à Seghers

    • Philosophie
    - Traces de la présence de Fondane dans les premiers colloques des intellectuels juifs de langue française, Margaret Teboul
    - À propos de l’issue : «il suffit d’une brèche», Sylvain Saura
    - Quand Fondane cite, le monde bascule, Evelyne Namenwirth
    - Sur l’écriture philosophique de Benjamin Fondane, Jean Dhombres

    • Dossier Fondane –Paulhan
    - Fondane, Paulhan, et la rhétorique, Serge Nicolas
    - Notes de Fondane sur Les Fleurs de Tarbes

    • Cinéma
    - Fondane scénariste à la Paramount, Eric de Lussy
    - Roméo et Juliette (scénario inédit), Benjamin Fondane

    • Dossier roumain
    - Le premier mai socialiste, B. Fundoianu, traduit par Carmen Oszi, commentaire par Aurélien Demars
    - Interview d’un Cubain, B. Fundoianu, traduit par Hélène Lenz
    - Leçon d’absurdie, Aurélien Demars

    • Notes et comptes rendus
    - Fondane en corbeau
    - Hommage à Anne Mounic, Margaret Teboul

    • Informations

    • Bibliographie sélective
    - Bibliographie

    • Collaborateurs

  • Complexes destinées

    Roman, Roumanie, Gabriela Adameşteanu, Nicolas Cavaillès, Gallimard, Jean-Pierre LongreGabriela Adameşteanu, Fontaine de Trevi, traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, Gallimard, « Du monde entier », 2022

    Letitia voudrait récupérer des biens immobiliers familiaux que le pouvoir communiste avait confisqués. Installée en France avec son mari Petru, ancien journaliste à Radio Free Europe, elle fait pour cela des voyages successifs à Bucarest, retrouvant des amis et de la famille, confrontant ses souvenirs à la réalité présente. Voilà le fil conducteur, le prétexte narratif d’un roman dans lequel on retrouve la protagoniste déjà présente dans les deux précédents (Vienne le jour, Situation provisoire), elle-même cherchant à publier ce qu’elle assume comme une « autofiction ».

    On l’a connue jeune étudiante en proie aux difficultés matérielles et morales des années 1950-1960 dans ce pays, puis adulte, cherchant à oublier les contraintes de la vie conjugale et professionnelle, ainsi que les risques politiques, dans une relation amoureuse un peu compliquée… On la découvre maintenant retirée dans une bourgade française, dont elle quitte périodiquement la tranquillité pour se retrouver dans une Roumanie qui, toujours marquée par son passé, a ingurgité les ressorts et les compromissions du capitalisme débridé. Certes, il y a eu la « révolution », dont ses amis Morar, comme d’autres, déplorent la confiscation par les anciens apparatchiks et « sécuristes », et la parole et les déplacements – à condition qu’on en ait les moyens – y sont libres ; d’ailleurs, ceux qui le peuvent ne se privent pas d’aller travailler ou étudier à l’étranger, avec l’espoir d’en revenir mieux lotis (comme ceux qui, jetant une pièce dans la fontaine de Trevi, font le vœu de revenir à Rome). Les souvenirs personnels (amours, famille, amitiés) de Letitia se mêlent aux retours sur un passé collectif auquel le présent renvoie sans cesse, colorant les destinées des espoirs et des désespoirs qui en résultent, ces destinées qui se révèlent plus complexes qu’il n’y paraît, car tout n’y est jamais tout blanc ou complètement noir.

    L’œuvre de Gabriela Adameşteanu n’est pas seulement narrative. Comme dans les fresques épiques, elle campe des atmosphères aussi diverses que le sont les époques décrites, les rues de Bucarest (l’allée Teilor ou les avenues grouillantes) et les maisons de l’allée des Tilleuls, en Touraine (en une évocation digne de Du Bellay), bien d'autres lieux encore, intimes ou publics, familiaux ou professionnels… La multiplicité des événements, les grandes disputes politiques, le foisonnement des personnages (tel que leur triple liste finale est d’une grande utilité), le fond de réalité historique sur lequel ils s’impriment en relief, l’ensemble est d’une écrivaine en pleine maturité de son art, dans la lignée de Balzac, d’un Balzac qui s’exprimerait à la première personne et qui se poserait des questions sur l’ambiguïté de son personnage : « Cette femme que Sorin observe bizarrement, l’esprit ailleurs, est-ce bien moi ? ou le personnage de mon livre ? Est-ce de ma vie que je me souviens, ou bien de celle que j’ai imaginée, à partir de la vraie ? » Disons-le : ce genre de livre, fruit d’un talent et d’un travail littéraires qui n’ont pas leur pareil, ne peut être traduit que par un écrivain, et c’est bien le cas. Nicolas Cavaillès a compris comment entrer et faire entrer les lecteurs dans le monde de Gabriela Adameşteanu, dont l’œuvre entre elle-même largement dans le patrimoine littéraire d’aujourd’hui.

    Jean-Pierre Longre

    www.gallimard.fr

  • Le foisonnant persil de Suisse romande

    revue, Le Persil, francophone, suisse, roumanie, marius daniel popescu, jean-pierre longreLe Persil Journal n° 206-207-208, février 2023

    Près de Lausanne pousse toujours un florissant Persil, « journal inédit », c’est-à-dire composé uniquement de textes nouveaux. Le numéro de février 2023 donne « parole et silence » à des auteurs de Suisse romande, à commencer par Raluca Antonescu (comme Marius Daniel Popescu originaire de Roumanie, et autrice francophone confirmée), avec un extrait de L’aile nord, où la protagoniste, embauchée comme femme de ménage dans un hôtel, subit de drôles de relations avec les chambres qu’elle entretient, « coincée dans [une] absurdité implacable. » L’auteur « invité », Jacques Gélat, écrivain et scénariste, propose à la fin du numéro un récit au centre duquel l’abandon (maternel) et le désir de meurtre (filial), le manque d’amour, la velléité de vengeance et « le passage du temps » donnent sa puissance à l’écriture.

    revue, Le Persil, francophone, suisse, roumanie, marius daniel popescu, jean-pierre longreEntre les deux, le foisonnement que l’on attend toujours du fameux journal grand format. Des proses réalistes ou non (Karine Yakim Pasquier, Odile Cornuz, Pauline Desnuelles, Philippe Veuve, Dania Miralles, Cornélia de Preux, Juliette Dezuari), du théâtre (Philippe Jeanloz), de la poésie bardée de citations (Marie Patrono, Anicée Willemin), des poèmes tendance haïkus (Philippe Fontannaz), des proses et des vers en alternance (Maud Armani)… Le tout est ponctué par un « Voyage en Suisse » photographique de Patrick Gilliéron Lopreno et par des lignes ambulantes de Marius Daniel Popescu en personne !

    Trois numéros en un, beaucoup de belle matière, beaucoup de branches, beaucoup de feuilles – encore un Persil à dévorer.

    Jean-Pierre Longre

    Le Persil journal, Marius Daniel Popescu, avenue de Floréal 16, 1008 Prilly, Suisse.

    Tél.  +41.21.626.18.79

    www.facebook.com/journallitterairelepersil

    E-mail : mdpecrivain@yahoo.fr

    Association des Amis du journal Le persil : lepersil@hotmail.com

  • Le peintre et la Marguerite

    Roman, peinture, francophone, Christian Cogné, Velvet, Jean-Pierre LongreChristian Cogné, Toute fleur s’étalait plus large, Velvet, 2023

    « Je ne t’aime pas du tout ! Je ne t’aime pas du tout ! Pas du tout ! Pas du tout ! Je ne t’aimerai jamais ! » Ce jour-là, après l’effeuillage d’une marguerite, Petru, petit garçon issu d’un viol et à cause de cela rejeté dès sa naissance par sa mère, chuta dans un précipice en essayant de fuir cette haine. Chute réelle, chute symbolique de l’abandon dans lequel fut laissé l’enfant qui, devenu adulte, sombra dans la déchéance, l’alcoolisme et la violence, avant de rencontrer un drôle de peintre à qui il dut sa métamorphose. C’est ainsi que Petru, sous l’exigeante houlette de Sam, devint un « peintre paysagiste » prometteur.

    Chez lui, la passion de la peinture va de pair avec la quête libératrice de l’amour dont sa mère l’a privé. Avant de le quitter pour d’autres contrées, Sam, son maître, lui a écrit une lettre testament où il lui prodigue ses conseils : « Remonte le temps, Petru ! Fixe ta mère dans les yeux et libère-toi. Comment ? À toi de trouver le moyen. Il te faudra des années, je le crains, pour sortir du trou. […] Je te le prédis, tu retomberas et tu te relèveras tandis que tu te croiras mort. Lorsque sur la toile peinte, tu te verras apparaître et grandir au plus loin de la ligne de fuite, tu sauras que tu as gagné ta part d’éternité. Un jour, tu seras au même niveau que Vincent Van Gogh. » Programme démesuré, que Petru suit d’aventure en aventure, de rencontre en rencontre. On le voir accoudé au comptoir d’un bistrot de banlieue, racontant par épisodes à quelques habitués ses pérégrinations en France, aux États-Unis, en Roumanie, dans la ville de Braşov, d’où vient sa mère, et où « sa propre histoire s’enracinait. » Mais « sa vraie patrie était celle des métamorphoses, des formes qui en recouvrent d’autres et des traces qui se perdent en chemin. »

    Tout au long du roman, la peinture, les tableaux, les fresques même, dans une mise en abyme du récit, et nécessairement les rencontres amoureuses, tout cela figure la mise en forme artistique de la Marguerite, celle qui va se construire jusqu’à l’effeuillage victorieux, jusqu’au « Je t’aime » que sa mère a toujours refusé de lui concéder. Cette Marguerite dont il aura eu la vision au moment de son sevrage alcoolique : « La Marguerite profitait de l’obscurité pour sortir de son cadre. Elle se faisait toute petite au début. Comme une femme vulnérable qui ignore dans quel milieu elle met les pieds. Puis, dans la clarté blafarde qui émanait d’elle, sa tête s’ouvrait sur une fleur géante qui se développait, se développait… Du cœur jaune de celle-ci jaillissait une créature à tête de femme et au corps de serpent. »

    Dans Toute fleur s’étalait plus large (titre emprunté à un vers de Mallarmé), les aventures romanesques et sentimentales, les voyages et les rencontres sont les manifestations extérieures de l’inlassable quête d’amour de Petru, « sur maint charme de paysage », comme l’écrivait encore Mallarmé. L’art pictural, dans les détails duquel l’auteur n’hésite pas à entrer, comme pour nous faire participer à l’apprentissage progressif de son héros jusqu’à sa parfaite maîtrise des formes et des couleurs, jusqu’à l’accomplissement de l’œuvre, l’art pictural, donc, renferme les signes et les secrets de cette quête à laquelle nous, lecteurs, participons avec une émotion intense et un attachement profond pour un personnage qui, tout en se dévoilant, garde les mystères de son paysage intérieur.

    Jean-Pierre Longre

    www.editionsvelvet.com

  • Quelques parutions récentes (hiver 2022-2023)

    Récit, poésie, roman, essai, Roumanie, Marina Anca, Luminitza C. Tigirlas, Cristian Fulaş, F. et J.-L. Courriol, Catherine Durandin, éditions Saint-Honoré, Jacques André éditeur, La Peuplade, L’HarmattanMarina Anca, Quand la chenille devient papillon ou la dictature roumaine vue par une adolescente libre, « enrichi par l'auteur suite aux questions des élèves de 3e lors de ses conférences », éditions Saint-Honoré, 2022

    « Dans ce récit historique, le lecteur apprendra la ténacité dont il faut faire preuve pour tenter de vivre heureux dans une dictature communiste, où la terreur et la surveillance quotidienne règnent en maître. Le ton narratif semble innocent mais les critiques portent sur l’ascension du communisme, le durcissement de la dictature, l’exécution de Ceausescu et la gravité de l’histoire de la Roumanie sont perceptibles. Prenant l'histoire de son enfance comme prétexte, l'écrivaine nous dépeint son aperçu de notre société moderne au niveau social et, bien entendu, politique. Son témoignage, écrit de manière fluide, est à la portée des collégiens qui étudient les régimes totalitaires en troisième. 

    Française d’origine roumaine, Marina ANCA est arrivée en France en 1983, protégée par l'État français eu égard à la situation politique de sa famille. Cela s'est passé six ans avant la chute du régime communiste, ce que personne n'aurait pu prédire. Après avoir fini le lycée, ses études de commerce international et obtenu un DESS en droit, l'écrivaine a travaillé dans la mode et la publicité avant de se consacrer à l’écriture. Elle signe là un témoignage autobiographique particulièrement émouvant et positif sur ces vingt-cinq ans terrifiants et nous offre un exemple d'intégration réussie. »

    https://www.blinklinebooks.com/product-page/Quand-la-chenille-devient-papillon

     

     

    Récit, poésie, roman, essai, Roumanie, Marina Anca, Luminitza C. Tigirlas, Cristian Fulaş, F. et J.-L. Courriol, Catherine Durandin, éditions Saint-Honoré, Jacques André éditeur, La Peuplade, L’HarmattanLuminitza C. Tigirlas, Eau prisonnière, Jacques André éditeur, 2022

    « Servant de matière poétique, les quatre éléments se révèlent dans leur texture, couleur, température. La poésie de Luminitza C. Tigirlas les transforme pour en faire un principe de vie grâce auquel le corps se déploie, se dresse vers la lumière qui nous console, nous revigore par un don de parole. L’eau est prisonnière, mais elle nous souffle au visage, elle est noire, épaisse et brûlante comme l’inconscient, serait-ce donc de la lave, comme cette chose qui vit et bouillonne en nous à notre insu ? L’œuvre agit du premier au dernier vers pour bouleverser l’âme, pour transmuter l’humain en objet cosmique. L’eau prisonnière ne demande qu’à être libérée, à nous venir à la bouche avec le goût de vivre et la soif d’aimer en ouvrant l’écluse imaginaire du temps. »

    Des embouchures apatrides

    attendent tes lèvres 

    pour souffler la fin de l’exode

    L’Attente exige rente à perpétuité

    Le mot de l'éditeur :

    « L'art poétique consiste à pouvoir identifier et nommer des choses qui n'existent pas ou à moitié seulement. Or ce sont ces choses-là qui gouvernent nos sentiments, orientent nos désirs et génèrent nos pulsions. Luminitza, au prénom si évident et symbolique, éclaire de son regard tantôt émerveillé, tantôt lucide et amusé, les eaux sombres et troubles de l'inimaginé pour faire apparaître d'étranges images qui sont nôtres pourtant. »

    www.jacques-andre-editeur.eu

    http://luminitzatigirlas.eklablog.com

     

     

    Récit, poésie, roman, essai, Roumanie, Marina Anca, Luminitza C. Tigirlas, Cristian Fulaş, F. et J.-L. Courriol, Catherine Durandin, éditions Saint-Honoré, Jacques André éditeur, La Peuplade, L’HarmattanCristian Fulaş, Iochka, traduit du roumain par F. et J.-L. Courriol, La Peuplade, 2022

    « Au cœur d’une vallée sauvage des Carpates, Iochka fabrique du charbon de bois. Quasi centenaire, il aime se taire, boire sec et dévaler ivre les routes sinueuses des montagnes au volant de sa vieille Trabant bleue. Mais le plus souvent, il demeure assis sur le banc cloué à l’extérieur de sa petite maison, se remémorant son existence hors norme. La guerre, les camps soviétiques, Ceaușescu, puis la camaraderie du chantier quand il est affecté à la construction d’une voie ferrée qui ne mène nulle part. Là, loin du tumulte de l’Histoire, il expérimente l’harmonie sexuelle auprès d’Ilona, l’amour lumineux de sa vie, et partage l’amitié indéfectible du contremaître, du docteur et du pope, tous trois aussi alcooliques et excentriques que lui. Avec eux, il approche le secret du temps et du bonheur.

    Dans une prose au souffle immense, Cristian Fulaș fait exister des personnages inoubliables. Iochka, roman aussi drôle que poignant, est un chant puissant dédié aux vies minuscules cassées et oubliées dans la grande course du monde. »

    https://lapeuplade.com

     

    Récit, poésie, roman, essai, Roumanie, Marina Anca, Luminitza C. Tigirlas, Cristian Fulaş, F. et J.-L. Courriol, Catherine Durandin, éditions Saint-Honoré, Jacques André éditeur, La Peuplade, L’HarmattanCatherine Durandin, Ma Roumanie communiste, L’Harmattan, 2023

    « Trente ans et plus après l'effondrement du système soviétique, ma Roumanie communiste ne m'a pas quittée. Lointaine sans doute mais très présente encore. C'est en 1967 que, jeune historienne à l'Institut National des Langues et Civilisations orientales, je découvre, lors d'un voyage d'étudiants français, un monde qui me bouscule, des petits morceaux d'un pays dont j'étudie l'histoire et la langue… Une étrange ambiance opaque, tant de non-dits, de silences, de mensonges. Et surtout, un tel contrôle politique, policier. Un encadrement étouffant pour notre groupe d'« invités ». Ma Roumanie communiste s'est imposée au fil des années. Parmi mes premiers interlocuteurs, plusieurs sont devenus des amis fidèles. Souvenirs contrastés. « Demeurent mon malaise et ma distance face au cynisme pragmatique et insolent de certains de mes contacts. L'oubli ne m'est pas possible. »

    https://www.editions-harmattan.fr

  • Istrati, écrivain international

    REVUE, FRANCOPHONE, ROUMANIE, PANAÏT ISTRATI, JEAN-PIERRE LONGRELe Haïdouc, Bulletin d’information et de liaison de l’association des Amis de Panaït Istrati, n° 32, 2022

    « On ne connaît pas encore les conséquences que l’intérêt pour Vivekananda, ainsi que celui précédemment pour Bouddha, Tagore ou Gandhi, ont eues sur la pensée d’Istrati. Des recherches ultérieures pourront préciser le rôle que ces lectures ont joué sur ses choix. » Voilà comment Liviu Bordaş, spécialiste des relations entre l’Inde et la culture roumaine, laisse la porte ouverte vers la fin de son texte fort documenté sur les rapports qu’Istrati a entretenus avec l’Inde et sa culture, notamment par l’entremise de Romain Rolland ; la remarquable bibliographie qui complète le tout laisse d’ailleurs toutes possibilités de recherches ultérieures complémentaires.

    Ce premier dossier du nouveau numéro du Haïdouc est suivi d’un article tout aussi documenté de Dana Radler, de l’Université de Bucarest, sur les traductions de Panaït Istrati en langue anglaise. Elle y recense les éditeurs et traducteurs qui ont publié entre 1926 et 2012, aux États-Unis ou en Grande Bretagne, Kyra Kyralina, Oncle Anghel, Présentation des Haïdoucs, Les Chardons du Baragan, Nerrantsoula, La Maison Thuringer etc. Dana Radler conclut : « Ce n’est là qu’une partie du voyage de l’œuvre à travers les continents, par le truchement de plus de 25 langues, grâce aux traducteurs qui ont permis à des millions de lecteurs d’accéder à l’univers istratien. » Un recensement à poursuivre, donc.

    Jean-Pierre Weill, quant à lui, analyse le « pouvoir poétique » de l’œuvre d’Istrati. La poésie, chez le conteur, est contenue dans la puissance musicale de sa prose, dans l’imaginaire, dans le choix de certains mots, dans les titres mêmes de certains récits. « Panaït Istrati ne se donne sans doute pas pour un poète et il est avant tout conteur de ses propres aventures ou de celles de ceux qu’il a rencontrés, mais c’est au poète qu’il incarne, peut-être à son insu, que le lecteur doit son entrée dans l’œuvre. »

    Denis Taurel, dans ses « Débris de gloses errantes », met en pièces, preuves à l’appui, l’hypothèse selon laquelle Istrati serait mort au sanatorium de Filaret. Non, il est bien mort au n° 3 de la strada Paleologu à Bucarest. Rétablissant cette vérité, Denis Taurel exhume, « par la même occasion, quelques textes un peu oubliés. »

    Nous trouvons ensuite l’état des recherches, colloques, parutions, revues qui évoquent notre écrivain. Comme les précédents, un numéro de grande qualité, abondamment illustré, en tête duquel Christian Delrue, directeur de la publication et président de l’association, rappelle ce que celle-ci doit à celles et ceux qui ont récemment disparu (Roger Dadoun, Linda Lê, René Marchisio, Jeanne-Marie Santraud) ; et un numéro qui montre, entre autres, deux émouvantes photos de Panaït et Margareta Istrati à Nice en 1933, accompagnés de l’ami Josué Jéhouda. Un numéro à lire… et à voir.

    Jean-Pierre Longre 

    L’adhésion à l’Association des Amis de Panaït Istrati, qui permet entre autres de recevoir Le Haïdouc, est de 25,00 €. On peut adhérer en écrivant à l’adresse suivante :

    Les Amis de Panaït Istrati, c/o Christian Portement, 116, impasse des Iris, 13880 Velaux – France, ou à amisdepanaitistrati@orange.fr

    Pour toute correspondance, s’adresser à : Les Amis de Panaït Istrati, c/o Christian Delrue, 179 rue Duguesclin, 69003 Lyon.

    Sites : 

    www.panait-istrati.com

    www.facebook.com/IstratiHaidouc

     

    Sommaire du n° 32 :

    Éditorial Panaït Istrati, une présence à un monde « où la foi et le rêve remplissent l’existence entière de ses habitants » par Christian Delrue, p. 3

    Istrati, Rolland et les représentants de la « Renaissance indienne » par Liviu Bordaş, p.4

    Connexions transatlantiques : Traducteurs et éditeurs de Panaït Istrati en langue anglaise par Dana Radler, p.15

    Un aperçu du pouvoir poétique chez Panaït Istrati par Jean-Pierre Weill, p.21

    Débris de gloses errantes Istrati est mort chez lui le 16 avril 1935, Strada Paleologu numéro 3 au cinquième étage par Denis Taurel, p.25

    Du côté des universités et de la recherche, p.29

    Présence d’Istrati, p.31

    Brèves et variées, p.37

    Activités de l’association, p.38

    Notices bibliographiques, p.39

    Départs :

    Roger Dadoun (1928-2022), Linda Lê (1963-2022), René Marchisio (1927-2022), Jeanne-Marie Santraud (1922-2021), p.43

    Comité d’honneur, p.47

    Informations pratiques, p.48

  • Poésies sans fin

    Poésie, Roumanie, Radu Bata, Muriel Augry, Cali, Charles Gonzalès, Éditions Unicité, Jean-Pierre LongreRadu Bata, Le Blues roumain, vol. 3, anthologie implausible de poésies. Préambule de Muriel Augry, préface de Cali, mot de la fin de Charles Gonzalès, Éditions Unicité, 2022

    Il y a eu l’anthologie « imprévue », puis l’anthologie « désirée », et maintenant voici l’anthologie « implausible ». Implausible, certes, mais il est bien là, ce troisième volume bourré de poésies de toutes sortes, d’auteurs d’une diversité à peine croyable. Il fallait un lecteur insatiable et averti, un traducteur infatigable et affectueux (il nous le redit : ses traductions sont « hypocoristiques »), un esprit aussi ouvert que celui de Radu Bata pour nous livrer un florilège qui n’a pas d’équivalent dans la langue française.

    Car Le Blues roumain, dans sa surprenante abondance, ses séduisantes sinuosités, son infinie liberté, n'a rien de traditionnel, rien d’académique. À côté des valeurs sûres comme Ana Blandiana, Mircea Cărtărescu, Mircea Dinescu, Paul Vinicius, Nichita Stănescu, Andrei Crăciun et Radu Bata en personne, il y a toutes celles et tous ceux que l’on découvre avec les délices de la nouveauté et l’émotion d’une affection partagée. Oui, il les aime, ses poètes, Radu Bata, et cet amour s’insinue, se répand chez les lecteurs – à des degrés divers, bien sûr, mais sans faux-semblants.

    Ne touchons pas aux textes, ne les déflorons pas à coups de citations arbitraires ou d’analyses érudites (qui toutefois prouveraient, s’il en était besoin, que nous avons affaire à de la poésie au plein sens du terme). Laissons-les nous parler de la vie quotidienne, de la souffrance des âmes et des corps, du temps et de la mémoire ; laissons-les nous chanter les rêves fous et la douce douleur du « dor », l’amour et la tendresse, le bonheur au conditionnel ; laissons-les nous montrer les images paisibles de la nature et les visions fantastiques de l’esprit ; laissons-les nous évoquer la Roumanie avec son passé, sa tsuica, les tramways de Bucarest et son « Paysan du Danube » ; laissons-les nous présenter Eminescu, Mozart, Jung, Breton ou Vlad l’Empaleur ; laissons-les fustiger avec nous les abus de notre époque et espérer un avenir de simplicité, de sincérité, de gentillesse… Voilà, s’il fallait lui trouver une utilité, à quoi sert la poésie. Entre langue roumaine et langue française, « les vers murmurent à travers l’Europe », comme nous le fait entendre Ana Pop Sirbu ; et on en redemande ! Disons-le avec Andrei Crăciun : « Il est naturel que la poésie n’ait pas de fin ».

    Jean-Pierre Longre

    Les auteurs : Luminita Amarie, Alexandru Andrieş, Andreea Apostu, Şerban Axinte, Ana Barton, Radu Bata, Anca-Iulia Beidac, Ana Blandiana, Geo Bogza, Dorina Brânduşa Landén, Emil Brumaru, Ion Calotă, Virgil Carianopol, Ana Căbulea, Mircea Cărtărescu, Denisa Comănescu, Ben Corlaciu, George Coşbuc, Andrei Crăciun, Corina Daşoveanu, Mircea Dinescu, Adrian Diniş, Gabriel Dinu, Adela Efrim, Vasile Petre Fati, Raluca Feher, Irina-Roxana Georgescu, Mugur Grosu, Cristina Hermeziu, Claudiu Komartin, Alexandra-Mălina Lipară, Aurelian Mareș, Mariana Marin, Ioan Mateiciuc, Andra Mateucă, Ştefan Manasia, Ciprian Măceșaru, Marin Mălaicu Hondrari, Rozana Mihalache, Ştefania Mihalache, Andrei Mocuța, Ion Mureşan, Emilia Nedelcoff, Dana Nicolaescu, Felix Nicolau, Andrei Novac, Dana Novac, Cosmin Perţa, Violeta Pintea, Rică Poindronescu, Ioan Es Pop, Savu Popa, Radmila Popovici, Sorina Rîndaşu, Mihai Radu, Petronela Rotar, Carmen Secere, Roxana Sicoe-Tirea, Ana Pop Sirbu, Octavian Soviany, Cătălina Stănescu, Nichita Stănescu, Ioana Maria Stăncescu, Elena Stîngă, Petre Stoica, Robert Şerban, Iulian Tănase, Ioana Tătărușanu, Elsa Dorval Tofan, Tatiana Țîbuleac, Mircea Țuglea, George Vasilievici, Silviu Vergu, Gabriela Vieru, Paul Vinicius, Demetra Vlas, Vitalie Vovc.

    www.editions-unicite.fr

    http://jplongre.hautetfort.com/tag/radu+bata