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jacques andré éditeur

  • Quelques parutions récentes (hiver 2022-2023)

    Récit, poésie, roman, essai, Roumanie, Marina Anca, Luminitza C. Tigirlas, Cristian Fulaş, F. et J.-L. Courriol, Catherine Durandin, éditions Saint-Honoré, Jacques André éditeur, La Peuplade, L’HarmattanMarina Anca, Quand la chenille devient papillon ou la dictature roumaine vue par une adolescente libre, « enrichi par l'auteur suite aux questions des élèves de 3e lors de ses conférences », éditions Saint-Honoré, 2022

    « Dans ce récit historique, le lecteur apprendra la ténacité dont il faut faire preuve pour tenter de vivre heureux dans une dictature communiste, où la terreur et la surveillance quotidienne règnent en maître. Le ton narratif semble innocent mais les critiques portent sur l’ascension du communisme, le durcissement de la dictature, l’exécution de Ceausescu et la gravité de l’histoire de la Roumanie sont perceptibles. Prenant l'histoire de son enfance comme prétexte, l'écrivaine nous dépeint son aperçu de notre société moderne au niveau social et, bien entendu, politique. Son témoignage, écrit de manière fluide, est à la portée des collégiens qui étudient les régimes totalitaires en troisième. 

    Française d’origine roumaine, Marina ANCA est arrivée en France en 1983, protégée par l'État français eu égard à la situation politique de sa famille. Cela s'est passé six ans avant la chute du régime communiste, ce que personne n'aurait pu prédire. Après avoir fini le lycée, ses études de commerce international et obtenu un DESS en droit, l'écrivaine a travaillé dans la mode et la publicité avant de se consacrer à l’écriture. Elle signe là un témoignage autobiographique particulièrement émouvant et positif sur ces vingt-cinq ans terrifiants et nous offre un exemple d'intégration réussie. »

    https://www.blinklinebooks.com/product-page/Quand-la-chenille-devient-papillon

     

     

    Récit, poésie, roman, essai, Roumanie, Marina Anca, Luminitza C. Tigirlas, Cristian Fulaş, F. et J.-L. Courriol, Catherine Durandin, éditions Saint-Honoré, Jacques André éditeur, La Peuplade, L’HarmattanLuminitza C. Tigirlas, Eau prisonnière, Jacques André éditeur, 2022

    « Servant de matière poétique, les quatre éléments se révèlent dans leur texture, couleur, température. La poésie de Luminitza C. Tigirlas les transforme pour en faire un principe de vie grâce auquel le corps se déploie, se dresse vers la lumière qui nous console, nous revigore par un don de parole. L’eau est prisonnière, mais elle nous souffle au visage, elle est noire, épaisse et brûlante comme l’inconscient, serait-ce donc de la lave, comme cette chose qui vit et bouillonne en nous à notre insu ? L’œuvre agit du premier au dernier vers pour bouleverser l’âme, pour transmuter l’humain en objet cosmique. L’eau prisonnière ne demande qu’à être libérée, à nous venir à la bouche avec le goût de vivre et la soif d’aimer en ouvrant l’écluse imaginaire du temps. »

    Des embouchures apatrides

    attendent tes lèvres 

    pour souffler la fin de l’exode

    L’Attente exige rente à perpétuité

    Le mot de l'éditeur :

    « L'art poétique consiste à pouvoir identifier et nommer des choses qui n'existent pas ou à moitié seulement. Or ce sont ces choses-là qui gouvernent nos sentiments, orientent nos désirs et génèrent nos pulsions. Luminitza, au prénom si évident et symbolique, éclaire de son regard tantôt émerveillé, tantôt lucide et amusé, les eaux sombres et troubles de l'inimaginé pour faire apparaître d'étranges images qui sont nôtres pourtant. »

    www.jacques-andre-editeur.eu

    http://luminitzatigirlas.eklablog.com

     

     

    Récit, poésie, roman, essai, Roumanie, Marina Anca, Luminitza C. Tigirlas, Cristian Fulaş, F. et J.-L. Courriol, Catherine Durandin, éditions Saint-Honoré, Jacques André éditeur, La Peuplade, L’HarmattanCristian Fulaş, Iochka, traduit du roumain par F. et J.-L. Courriol, La Peuplade, 2022

    « Au cœur d’une vallée sauvage des Carpates, Iochka fabrique du charbon de bois. Quasi centenaire, il aime se taire, boire sec et dévaler ivre les routes sinueuses des montagnes au volant de sa vieille Trabant bleue. Mais le plus souvent, il demeure assis sur le banc cloué à l’extérieur de sa petite maison, se remémorant son existence hors norme. La guerre, les camps soviétiques, Ceaușescu, puis la camaraderie du chantier quand il est affecté à la construction d’une voie ferrée qui ne mène nulle part. Là, loin du tumulte de l’Histoire, il expérimente l’harmonie sexuelle auprès d’Ilona, l’amour lumineux de sa vie, et partage l’amitié indéfectible du contremaître, du docteur et du pope, tous trois aussi alcooliques et excentriques que lui. Avec eux, il approche le secret du temps et du bonheur.

    Dans une prose au souffle immense, Cristian Fulaș fait exister des personnages inoubliables. Iochka, roman aussi drôle que poignant, est un chant puissant dédié aux vies minuscules cassées et oubliées dans la grande course du monde. »

    https://lapeuplade.com

     

    Récit, poésie, roman, essai, Roumanie, Marina Anca, Luminitza C. Tigirlas, Cristian Fulaş, F. et J.-L. Courriol, Catherine Durandin, éditions Saint-Honoré, Jacques André éditeur, La Peuplade, L’HarmattanCatherine Durandin, Ma Roumanie communiste, L’Harmattan, 2023

    « Trente ans et plus après l'effondrement du système soviétique, ma Roumanie communiste ne m'a pas quittée. Lointaine sans doute mais très présente encore. C'est en 1967 que, jeune historienne à l'Institut National des Langues et Civilisations orientales, je découvre, lors d'un voyage d'étudiants français, un monde qui me bouscule, des petits morceaux d'un pays dont j'étudie l'histoire et la langue… Une étrange ambiance opaque, tant de non-dits, de silences, de mensonges. Et surtout, un tel contrôle politique, policier. Un encadrement étouffant pour notre groupe d'« invités ». Ma Roumanie communiste s'est imposée au fil des années. Parmi mes premiers interlocuteurs, plusieurs sont devenus des amis fidèles. Souvenirs contrastés. « Demeurent mon malaise et ma distance face au cynisme pragmatique et insolent de certains de mes contacts. L'oubli ne m'est pas possible. »

    https://www.editions-harmattan.fr

  • « Le temps se pose »

    poésie, roumanie, lucian blaga, jean poncet, horia bădescu, jacques andré éditeur, editura Şcoala ardeleană,Jean-Pierre LongreLucian Blaga, Éloge du sommeil, édition bilingue, traduit du roumain et avant-propos par Jean Poncet, postface par Horia Bădescu, Jacques André éditeur, Editura Şcoala Ardeleană, 2019

    Voici le quatrième recueil de Lucian Blaga traduit par Jean Poncet et publié conjointement en France et en Roumanie par Jacques André éditeur et les éditions Şcoala Ardeleană – et comme avec les précédents, on ne se lasse pas de lire, de relire, de goûter, de méditer cette poésie de l’âme, de la nature, du temps, de la mémoire et de l’oubli (« L’oubli sans oubli », tel est le titre de la belle postface de Horia Bădescu, par ailleurs coordonnateur du projet de publication de ces volumes poétiques).

    Dans son avant-propos, « Survivre à la vie », Jean Poncet brosse le contexte biographique dans lequel le poète philosophe, professeur et diplomate, a composé ces vers parus en 1929. Déboires et déceptions alternent avec de brèves périodes de bonheur au cours d’une existence dans laquelle le sommeil tient une place primordiale, remplissant, semble-t-il, une double fonction : « Il est le moyen d’échapper aux dures réalités de la vie, le refuge régressif du poète qui, la nuit, « s’en retourne vers [ses] parents ». Mais, plus qu’une fuite, le sommeil est aussi le moyen d’accéder à un monde magique, atemporel. » Cela dit, si « le monde est un chant », le premier texte du recueil, « Biographie », fait le lien avec le précédent, assimilant le sommeil à la mort : « J’ai chanté et je chante encore le grand passage, / le sommeil du monde, les anges de cire. » Périodiquement les horloges rappellent que nous allons « sur les chemins du temps », et les cloches peuvent se confondre avec les cercueils dans un « paysage transcendant ».

    Si on retrouve l’inspiration mythique (Saint Georges et le dragon), biblique (« Lamentations de Jean dans le désert ») ou artistique (« L’oiseau sacré de Brancuşi »), la nature est encore ici source de création poétique, une nature que le sommeil n’épargne pas (« Dans le sang des moutons la forêt nocturne est songe long et lourd. / Aux quatre vents profonds / le sommeil s’empare des vieux hêtres. »), et le « siècle », « les bruissements électriques » de la civilisation n’empêchent pas de raconter « des histoires fabuleuses au milieu des sapins. »

    Éloge du sommeil, dans cette traduction à la fois fidèle et inspirée, comme pour les précédentes, est une preuve de plus que l’âme du poète, tourmentée par la « tristesse métaphysique », porte le poids du monde et le livre à tous par la puissance des images qu’il façonne et des chants qu’il fait sonner. « Et pourtant c’est avec des mots simples comme les nôtres / que furent créés le monde, les éléments, le jour et le feu. »

    Jean-Pierre Longre

    www.jacques-andre-editeur.eu

    www.scoalaardeleanacluj.ro

  • Images et harmonie

    Poésie Roumanie, Cassian Maria Spiridon, Elena Golub, Jean Poncet, Jacques André éditeur, Jean-Pierre LongreCassian Maria Spiridon, Le don des larmes / Darul lacrimilor, édition bilingue. Encres de Elena Golub, traduction de Jean Poncet, Jacques André éditeur, 2019.

    Ingénieur et chercheur scientifique, Cassian Maria Spiridon est aussi rédacteur culturel, éditeur, poète. Poète « secret », à la fois « étrange » et « familier », écrit Jean Poncet dans sa présentation, « Une lyrique de ténèbres ». D’emblée on décèle dans Le don des larmes un pessimisme absolu, que la mort même ne peut abolir, puisque « toutes les portes sont bouclées / nul n’a le temps de mourir » ; la perte du sens provoque « la Métaphysique des larmes » et « suscite une épouvante / d’apocalypse ». Le sacré peut-il sauver l’homme ? On peut en désespérer, à lire « État des lieux à midi », texte dans lequel une femme conclut ses occupations quotidiennes en ouvrant simplement le gaz, « tous les robinets », attendant la fin en observant la nature par la fenêtre ; « et personne n’ouvre la porte ». Mais en contrepoint se révèle « la naissance du vivant » – par le truchement de la poésie, car « le reste les poètes l’inventent ». Le « don des larmes » se veut une force spirituelle, la poésie le manifeste.

    L’univers du poète, au-delà du tragique et de la solitude, se meuble des couleurs, des lumières de la nature végétale et minérale, tout spécialement de la mer (faisant notamment passer le traducteur et ses lecteurs par la « Ville côtière » qu’est Marseille…). Une nature « source de vie » où pointent volontiers, en combinaisons variées, la sensualité et la « souffrance », « le vide » et l’amour, cet amour qui s’épanouit en images éluardiennes :

    mon amour tes yeux baignent

                       dans l’or de la lumière

    recouvre ma vie

                       de tes paupières

    et que tes longs cils lancent

                                 un pont

    entre la terre et le ciel

    Comme si, finalement, les images de la nature permettaient à l’homme de vaincre l’ignorance et l’incompréhension.

    Les vers, libres mais vivement rythmés, sont accompagnés par les encres développées en larges courbes de Elena Golub, illustrations colorées qui ajoutent leur musique à la musique du verbe et des évocations poétiques. Le tout constitue un recueil sensible dans lequel les mots et les arts se rencontrent en une harmonie profonde.

    Jean-Pierre Longre

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  • La poésie, la vie

    Poésie, Roumanie, Paul Vinicius, Radu Bata, Jacques André éditeur, Jean-Pierre LongrePaul Vinicius, La chevelure blanche de l’avalanche, poèmes choisis et traduits du roumain par Radu Bata, Jacques André éditeur, 2019

    On commence avec une « goutte de pluie » et on finit avec « le sens du globe terrestre ». Entre les deux, entre infiniment petit et infiniment grand, et contenu en eux, c’est tout un monde qui se décline en « avalanches » de mots choisis et mêlés et en images foudroyantes et apaisantes, en vers musicaux et en oxymores audacieux (voir « le passé postérieur »), en cauchemars puisés dans « les entrailles des songes » et en synesthésies sonores et colorées.

    La poésie de Paul Vinicius est à la fois limpide, dense, riche, dépouillée, sombre, lumineuse. En plus il faut le croire sur parole : « sans poésie musique et toi / je n’aurais jamais été / qui je suis ». Ce « toi » qui se glisse entre « poésie musique » et « je » ? Suivons-le (la) dans le filigrane des textes, guidés par « ses merveilleuses jambes / d’une longueur extravagante », jambes aux suggestions érotiques et aux résonances musicales, devenant « pianos, clarinettes, saxos, percussions, syncopes… », mais qui ne sont pas les seules à susciter l’amour : il y a les sourires, la nature, les oiseaux, les saisons… L’amour la poésie, quelque chose d’éluardien.

    Comment rendre compte de toutes les dimensions d’un recueil qu’on n’aura jamais fini d’explorer ? Un recueil où les quelques discrètes évocations de la Roumanie rappellent d’où il vient (le choix et la traduction de Radu Bata, lui-même poète français d’origine roumaine, inventeur des célèbres « poésettes », montre combien les affinités profondes entre l’auteur et son traducteur sont indispensables) ; un recueil où métaphores et comparaisons insolites, parfois déstabilisantes, ouvrent des horizons colorés, des paysages urbains nocturnes, des souvenirs « phosphorescents », une nature lumineuse (« septembre est arrivé / comme un chapeau sur un soleil »), des personnages imprévisibles (on se prend à croiser Ionesco, Rimbaud, Brancuşi, Dali, Kafka, Tarkovski…) ; un recueil dans lequel se pose la question de l’identité et du rapport au monde (pour un « je » qui se dit « au degré zéro / d’adaptabilité ») ; un recueil dans lequel, aussi, l’humour mâtiné d’absurde et arrosé de quelques bonnes bouteilles fait bon ménage avec l’inquiétude. Un recueil qui fait vivre, comme le suggère le poème intitulé « Journal aux feuilles blanches » :

    « les jours passent

    à côté de moi

    comme un chapelet de détenus

     

    bonjour

    bonsoir

    bonne nuit

     

    le cendrier

    plein de mégots

     

    le verre vide

     

    et

    sur les étagères

    les livres qui m’habitent

    la vie ».

    Les livres, la poésie. L’essence de la vie.

    Jean-Pierre Longre

    www.jacques-andre-editeur.eu

  • Nouveautés de la rentrée 2019… Chroniques à venir…

    Roman, Poésie, Roumanie, francophone, Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, Irina Teodorescu, Flammarion, Paul Vinicius, Radu Bata, Jacques André éditeurMircea Cărtărescu, Solénoïde, traduit par Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, 2019

    Présentation de l’éditeur :  

    Chef-d’œuvre de Mircea Cărtărescu, Solénoïde est un roman monumental où résonnent des échos de Borges, Swift et Kafka. Il s’agit du long journal halluciné d’un homme ayant renoncé à devenir écrivain, mais non à percer le mystère de l’existence.

    Après avoir grandi dans la banlieue d’une ville communiste – Bucarest, qui est à ses yeux le « musée de la mélancolie et de la ruine de toute chose », mais aussi un organisme vivant, coloré, pulsatile –, il est devenu professeur de roumain dans une école de quartier. Si le métier le rebute, c’est pourtant dans cette école terrifiante qu’il fera trois rencontres capitales : celle d’Irina, dont il tombe amoureux, celle d’un mathématicien qui l’initie aux arcanes les plus singuliers de sa discipline, et celle d’une secte mystique, les piquetistes, qui organise des manifestations contre la mort dans les cimetières de la ville.

    À ses yeux, chaque signe, chaque souvenir et chaque rêve est un élément du casse-tête dont la résolution lui fournira un « plan d’évasion », car il ne s’agit que de pouvoir échapper à la « conspiration de la normalité ».

    http://www.leseditionsnoirsurblanc.fr

     

    Roman, Poésie, Roumanie, francophone, Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, Irina Teodorescu, Flammarion, Paul Vinicius, Radu Bata, Jacques André éditeurIrina Teodorescu, Ni poète ni animal, Flammarion, 2019

    Présentation de l’éditeur :

    Carmen apprend la mort soudaine du Grand Poète, sa seule attache à la Roumanie, au moment où elle traverse un rond-point occupé par un peuple prêt à tout renverser. Alors, elle a comme un éblouissement : les souvenirs d’une autre révolution, conduite par ce poète autrefois dissident, lui reviennent, intacts.
    1989. Elle avait dix ans et écrivait des poèmes à sa « camarade maîtresse» pendant que sa mère, cachée dans la salle de bains, enregistrait des K7 audio à destination d’une amie passée à l’Ouest et que son père échangeait les savons de son usine contre des petits pains. À l’époque, tout cela lui paraissait aussi banal que la folie de sa grand-mère, surveillée depuis toujours par les autorités, ou que les ours des Carpates dont on disait qu’ils mangeaient les enfants.
    De quel genre de vague à l’âme naît une révolution ? Est-ce une impulsion animale ou poétique ? En conteuse aussi insolite qu’inspirée, Irina Teodorescu puise dans les souvenirs vifs de son enfance pour mettre en scène trois générations de femmes - et quelques animaux à leur suite - que rien ne préparait à voir la grande Histoire tout bousculer.

    https://editions.flammarion.com

     

    Roman, Poésie, Roumanie, francophone, Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, Irina Teodorescu, Flammarion, Paul Vinicius, Radu Bata, Jacques André éditeurPaul Vinicius, la chevelure blanche de l’avalanche, traduit par Radu Bata, Jacques André éditeur, 2019

    Présentation de l’éditeur :

    et tu es tellement tellement belle quand tu dors que j'ai de plus en plus sommeil de toi

    Ce recueil de poèmes choisis brille de mille feux, à l’image de son auteur : entier, vrai, ébloui par la nuit, amoureux comme un soleil noir. Paul Vinicius vit avec la poésie : il sort avec elle, il veille avec elle, il partage avec elle la plus belle étreinte. Il lui boit les mots, il lui panse les blessures, il lui offre sa biographie. Ainsi, souvent, la ligne de démarcation entre Paul Vinicius et la poésie se confond avec l’horizon. Regardez bien : un œil attentif discernera l’ombre de ce grand poète roumain derrière un coucher de soleil. Poète, dramaturge, journaliste et essayiste, Paul Vinicius est diplômé de l’École Polytechnique de Bucarest et docteur ès lettres, la partie visible de son parcours surprenant, car il a exercé de nombreux métiers avant de se dévouer à l’écriture. Champion de boxe, puis karatéka, il a travaillé comme maître-nageur sur la côte de la mer Noire, détective privé, pigiste, correcteur, rédacteur pour la presse nationale et pour la maison d’édition du musée de la Littérature roumaine. Après avoir été interdit de publication en 1987 par la censure communiste, il a renoncé à sa carrière d’ingénieur et son curriculum vitae accompagne les soubresauts de la démocratie survenue en décembre 1989, à la recherche d’un nouveau départ, d’une nouvelle ivresse.

    http://www.jacques-andre-editeur.eu/web

  • Silence et création

    Poésie, Roumanie, Lucian Blaga, Jean Poncet, Horia Bădescu, Jacques André éditeur, Editura Şcoala Ardeleană, Jean-Pierre LongreLucian Blaga, În marea trecere / Dans le grand passage, édition bilingue. Traduction du roumain et avant-propos par Jean Poncet, postface par Horia Bădescu. Jacques André éditeur / Editura Şcoala Ardeleană, 2018

    L’éditeur lyonnais Jacques André tient ses promesses : le troisième recueil de Lucian Blaga, În marea trecere / Dans le grand passage, traduit comme les précédents par Jean Poncet, vient de paraître. Et voilà le chroniqueur comblé, parce qu’il s’aperçoit qu’il a maintenant sur les rayons de sa bibliothèque trois versions bilingues de ce recueil, initialement paru en 1924 : la première, comprise dans un vaste volume intitulé Poemele luminii /Les poèmes de la lumière et traduit par Paul Miclău pour les éditions Minerva (Bucarest), date de 1978 ; la seconde, intitulée În marea trecere / Au fil du grand parcours, est parue en 2003 aux éditions Paralela 45 (Piteşti) dans une traduction de Philippe Loubière ; et la troisième est celle dont il est ici question. Tout cela pour mettre l’accent sur le succès de Lucian Blaga auprès des traducteurs, des éditeurs et des lecteurs, qui peuvent ainsi disposer de trois traductions du recueil. Chaque traduction de valeur (ce qui est le cas) non seulement contribue à mieux faire connaître l’œuvre, mais l’enrichit de résonances nouvelles.

    Mon intention n’est pas de les comparer, ces traductions (ni évidemment de les hiérarchiser). On aura vu les variations du titre (Philippe Loubière). Un simple aperçu des trois premiers vers du premier poème (« Către cititori », « Aux lecteurs ») suffira à mesurer combien la traduction de la poésie, d’une manière générale, est affaire non seulement de compétence linguistique, mais aussi de sensibilité personnelle.

    Paul Miclău : C’est ici ma maison. Là le soleil, le jardin et ses ruches.

                       Vous passez sur la route, regardez par la grille de la porte

                       et attendez que je parle. – Mais par où commencer ?

    Philippe Loubière :  Ma maison est ici. Derrière

                                          Est le soleil et le jardin avec ses ruches.

                                Vous qui passez sur le chemin,

                                          Vous voyez à travers les barreaux du portail

                                Et guettez mes propos. Par où commencerais-je ?

    Jean Poncet : Ici est ma maison. Là le soleil et le jardin avec ses ruches.

                       Vous qui passez sur la route, vous regardez par la grille du portail,

                       Attendant que je parle. – Par où commencer ?

    À chacun de se faire son idée.

    Par où poursuivre ? Par le volume qui nous occupe principalement dans cette chronique. Dans son avant-propos, Jean Poncet insiste sur le sens du titre et sur la substance du recueil, que ce titre synthétise : le « grand passage » est celui qui mène vers la mort, et dans sa postface, Horia Bădescu évoque ce qui est pour lui le thème central : « la tentation du silence et la sémantique de l’absence ». Face au monde, se taire et disparaître. Poncet et Bădescu, tous deux poètes, perçoivent profondément ce qui est au cœur des vers de Blaga : le pessimisme, qui transforme les prières en mots « amers », l’espérance en aspiration vers le vide. Mais ce pessimisme n’est pas absolu. Si les textes sacrés sont revisités, c’est au profit d’images nouvelles, d’une osmose entre le « je » et la nature :

                                Seul mon sang brame dans les bois

                                à son enfance lointaine

                                tel un cerf fatigué

                                à sa biche perdue dans la mort.

    Et « le mot se fait acte », chantant et bâtissant toujours le village cher au poète (« En vérité l’éternité est née dans le village ») et redisant le goût de la vie simple, dans une présence au monde qui met la contemplation et l’art au-dessus de l’action (« Je danse au-dessus de l’action »).

    Les recueils de Lucian Blaga se suivent sans se ressembler, dans une évolution qui frise la contradiction. Mais une contradiction qui se résout dans une perspective constructive : le cheminement vers la mort, le désir de silence et d’invisibilité ne peuvent passer que par un « être au monde » lyrique et créateur.

    Jean-Pierre Longre

    www.jacques-andre-editeur.eu

    http://scoalaardeleanacluj.ro/wp

    L. Blaga, Au fil du grand parcours.pdf

  • Ce que révèle l’Œil Aveugle

    Poésie, Roumanie, George Vulturescu, Jean Poncet, Pierre Guimet, Jacques André éditeur Jean-Pierre LongreGeorge Vulturescu, Les Pierres du Nord, recueil bilingue, traduit du roumain par Jean Poncet, encres de Pierre Guimet, Jacques André éditeur, 2018

    Au départ, on pourrait croire à de la poésie autobiographique, soutenue par le caractère narratif des vers qui s’allongent au fil des souvenirs, des évocations du village, de la nature, des personnages du passé, des fêtes et des légendes de la campagne… Et les deux leitmotive qui parcourent le recueil, qui en forment même l’ossature, tendraient à le confirmer : « l’Œil Aveugle » (cet œil que George Vulturescu perdit accidentellement à l’âge de six ans) et les « Pierres du Nord » (Tireac, le village natal, se situe tout au nord-ouest de la Roumanie, près de Satu-Mare).

    On pourrait le croire. Mais derrière ces détails, au-delà des apparences, se développent d’autres visions, se détachent d’autres éléments, et la poésie est là pour les révéler, pour les mettre au monde, en des images encore inexplorées :

    « Et puis ce fut le matin…

    et un œil doutait de ce qu’il voyait :

    il y avait mille pierres et au-dessus d’elles mille autres pierres

    semblables à des vaches maigres

    qui mangent les vaches grasses de la Genèse. »

    Images pleines, audacieuses, en harmonie avec les encres de Pierre Guimet, saturées ou déliées, suggestives ou abstraites. Et il y a le mystère de la création. Le poème est un monde fait de mots et de lettres qui sont de véritables éléments naturels :

    « Les lettres sont-elles comme des pierres

    sous le pied ? Combien de temps peux-tu marcher

    sur ces pierres ? Ne s’enfoncent-elles pas

    dans le blanc des pages quand tu les lis ? »,

    « et les poèmes, lettre après lettre, sont un champ de bataille. ».

    Comme l’annonce un titre : « Le Devoir d’une lettre est d’obscurcir le sens du mot ».

    Le poète est à la fois témoin, scribe, créateur et gardien de ce monde ; c’est sa raison d’être :

    « Je claque des dents

    et je lis le nom du fou que je suis

    gravé par les éclairs sur les Pierres du Nord

    je me tiens à côté de leurs monogrammes tel le gardien

    du pouvoir monastique des hiéroglyphes. ».

    Les Pierres du Nord n’est pas un simple recueil poétique. C’est ce qu’on appelle un « beau livre », dans toutes ses dimensions : les textes, les illustrations, le format, la disposition, la mise en page qui cache parfois, sous le pli des feuillets, d’autres textes et d’autres illustrations… Un grand travail d’édition, qui vient enrichir la collection « roumaine » de l’éditeur Jacques André : les recueils bilingues de Lucian Blaga (Les poèmes de la lumière, Les pas du prophète), Maman Univers de Vasile George Dâncu – tous dans les belles traductions de Jean Poncet –, Survivre malgré le bonheur de Radu Bata, et d’autres ouvrages annoncés.

    Voir les publications "roumaines" de Jacques André  ici 

    Jean-Pierre Longre

    www.jacques-andre-editeur.eu

  • « Redonner vie »

    Poésie, Roumanie, Vasile George Dâncu, Jean Poncet, Jacques André éditeur, Jean-Pierre LongreVasile George Dâncu, Maman Univers / Universul Mama, traduit du roumain par Jean Poncet, Jacques André éditeur, 2018

    Présentant le recueil, Jean Poncet écrit : « Dâncu, se refusant à tout artifice littéraire comme à tout pathos, y use de la langue la plus simple, la plus quotidienne. ». C’est ce qui saute aux yeux et à l’esprit lorsqu’on lit ces poèmes dont le personnage central, « Maman », est le pivot affectif omniprésent. L’auteur, chantant l’amour qu’il éprouve pour sa mère morte, fait effectivement appel au langage de la vie courante, en des instantanés, des évocations, des descriptions, des scènes qui surgissent de sa mémoire. Un langage qui puise sa poésie dans l’humilité du style et du personnage :

                       « plutôt la vie des humbles et des simples

                       qui vivaient et n’avaient pas de vie

                       comme

                       toi

     

                       toi tu vivais pour les autres

                       Maman ».

    La simplicité n’empêche pas la force des images portées par les mots (les mots ? « des socs / qui nous labouraient le cœur »), la puissance des paradoxes (« Maman est morte ! […] Christ est ressuscité ! », s’écrie-t-on à Pâques ; ou bien : « les cerisiers sont en fleurs toi tu es en terre »). Les vers, souvent narratifs ou descriptifs, évoquent en un même élan la vie présente et passée, l’amour et la mort, la tendresse et l’ingratitude, l’attachement et le remords, l’égoïsme et la générosité… Bref, la vie d’un fils pour qui sa mère a tout fait et qui, ne l’ayant pas toujours reconnu, lui préférant trop souvent les livres, emplit maintenant son cœur et ses pages de cette

    « Maman Univers

    souriant aux enfants

    du monde entier »,

    à qui il n’hésite pas à dire : « ta vie est maintenant ma poésie ».

    Même si la mort est maintes fois évoquée avec gravité, le chant du quotidien n’exclut pas l’humour, ni noir ni rose, plutôt d’un gris soutenu. Par exemple lorsque « Maman » se plaignait de son prénom Gafta (elle aurait bien préféré Agata), ou que sont égratignés au passage fonctionnaires, universitaires ou popes de campagne… Mélancolie discrète et sourire complice… Maman Univers est un beau recueil qui aborde un sujet grave et tendre, qui débusque l’exceptionnel dans le quotidien, qui redonne vie au passé, et qui sous son apparente facilité recèle des harmoniques émouvantes et « universelles ».

    Jean-Pierre Longre

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  • Prendre conscience du langage

    poésie, images, francophone, Roumanie, Radu Bata, Jacques André éditeur, Jean-Pierre LongreRadu Bata, Survivre malgré le bonheur, Jacques André éditeur, 2018

    Radu Bata nous a naguère fait boire « le philtre des nuages » jusqu’à l’ivresse, et il nous enjoint maintenant de « survivre malgré le bonheur ». Titre paradoxal, non ? Mais attention : si on lit bien le texte « Partie de plaisir » (page 47), on mesure la malice fortement teintée de satire, puisqu’il s’agit de « survivre malgré le bonheur / produit à la chaîne / […] malgré la menace de félicité / qui nous gouverne ». Toute une philosophie. Si le poète joue avec les mots (et il ne s’en prive pas !), avec leurs sonorités, leurs rythmes, leurs ambiguïtés, leurs affinités, leurs contradictions, leurs bizarreries, c’est pour mieux nous faire prendre conscience du langage, de son infinie portée, se son insondable profondeur, de sa beauté originelle.

    Car cette conscience ne va pas de soi. Sous l’allure facile de l’écriture (les maintenant fameuses « poésettes », poésie « sans prise de tête »), se tapissent la séduction stylistique et la recherche linguistique, se mêlent le plaisir et le travail – d’une manière d’autant plus étroite que cela se conçoit sous la plume d’un écrivain qui a fait le choix personnel de la langue française, en connaissance de cause ; d’un écrivain pour qui sont compatibles les expressions les plus actuelles et les thèmes permanents de la poésie, les suites fluides de strophes et la forme compacte du haïku (entre autres).

    L’œuvre de Radu Bata vise à réconcilier les générations montantes avec la poésie. La réussite de l’entreprise est certaine. Cependant il y a, aussi, large matière à étude poéticienne. On s’en gardera ici, mais les références littéraires, les motifs récurrents, tels l’amour et ses aléas, le temps qui passe et le vieillissement, l’exil (qui « n’est heureux que parmi les mots »), les origines roumaines (« je fais des allers-retours / entre les deux langues »), d’autres encore, incitent à une lecture où se combinent le plaisir immédiat et l’attention soutenue, où se révèle le double bonheur de la rêverie et de la méditation.

    Et il y a les nuages, éphémères ou permanents, rêvés ou réels, blancs ou gris, capables de tout et à l’origine de tout (« nous sommes les enfants / des nuages »), les nuages qui apparaissent et disparaissent au gré des pages, les « nuages sans patrie » - ceux de l’étranger, de l’exilé, du voyageur –, les nuages joyeux, les nuages qui pleurent… Il n’y a pas qu’eux, bien sûr, mais ils peuplent si bien le recueil qu’on ne peut pas ne pas les assimiler à la poésie même de Radu Bata – comme les illustrations qui ponctuent les poèmes, ces belles images oniriques et colorées, teintées de fantastique et de surréalisme que quinze artistes offrent aux mots du poète et aux yeux du lecteur.

    Que peut-il faire, ce lecteur, sinon continuer à lire, à relire, à contempler ? Et inciter ses semblables à lire, relire, contempler. Foin (et fin) des commentaires, laissons la place à l’œuvre et aux traces qu’elle laisse en nous.

                                l’œuvre compte moins

                                que l’ombre

                                qui s’en dégage

    et finalement :

                                pour avoir longtemps appris

                                à parler avec les gens

                                j’enseigne

                             aujourd’hui

                                le silence

     

    Jean-Pierre Longre

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  • « Sous l’égide de Pan »

    Poésie, Roumanie, Lucian Blaga, Jean Poncet, Horia Bădescu, Jacques André éditeur, Editura Şcoala Ardeleană, Jean-Pierre Longre« Sous l’égide de Pan »

    Lucian Blaga, Paşii profetului / Les pas du prophète, édition bilingue. Traduit du roumain et avant-propos par Jean Poncet ; coordination Horia Bădescu. Jacques André éditeur / Editura Şcoala Ardeleană, 2017

    Voici le deuxième volume de ce qui sera, espérons-le, une prochaine série complète de publications bilingues. Jean Poncet poursuit, avec la même réussite que pour Les poèmes de la lumière, sa traduction de l’œuvre poétique de Lucian Blaga. Avec Les pas du prophète, dont la première parution date de 1921, nous plongeons dans une atmosphère différente, une esthétique « en rupture avec le passé ». Dans son introduction (qui, véritable essai historico-littéraire, contextualise précisément le recueil), Jean Poncet affirme et explicite la modernité de celui-ci, une modernité qui n’a pas été accueillie avec beaucoup de bienveillance en son temps. C’est l’expressionnisme, sous ses différentes facettes, qui est la marque dominante des Pas du prophète, un expressionnisme placé « sous l’égide de Pan, à la fois vision sensuelle, vitaliste, du monde et religion naturelle ». Avec cela, Lucian Blaga « ne cesse d’être philosophe même dans ses poèmes de plus belle facture. ».

    C’est donc Pan, toutefois vieillissant, qui occupe en partie le recueil, et le panthéisme qui le parsème. Plénitude et abondance (« et tu verras, les doigts / empoissés de jus, / tes mains trembler à telle abondance. ») font du corps humain un élément de la nature, et inversement : on ne compte pas les images, métaphores, comparaisons souvent audacieuses qui donnent au corps sa dimension naturelle : « Ta bouche est un raisin gelé » ; « Le crépuscule / aux lèvres rouges » ; « Une fille / aux cils longs comme épis d’orge »… Et le poète n’hésite pas à écrire des vers « sur des feuilles de vignes sèches ».

    C’est ce qui fait l’unité de l’ensemble. Cela dit, les styles, les tonalités, les genres même se succèdent et se mêlent avec une belle vivacité. La nostalgie reste nichée au cœur du lyrisme :

              « Doucement,

          tout doucement,

    j’ai caressé le passé

    et sans savoir pourquoi

    je me suis effondré

    et j’ai commencé à sangloter

    sur mon berceau. »,

    ce qui n’exclut ni l’humour tendre (par exemple dans « Souvenir d’enfance », dédié à « ma petite nièce Gigi qui n’aime pas les vers sans rime », et où effectivement les rimes fleurissent – y compris dans la traduction française), ni le sourire sarcastique de Lucifer qui voudrait tendre « la pomme de la connaissance » à l’Éternel : « Ça ne te ferait pas de mal, ô immense Très Saint, / d’y goûter un peu Toi aussi. ». On voit aussi par là que la religion, la philosophie, les mythes cosmiques, angéliques, sataniques ont une place de choix dans un recueil qui n’hésite pas à donner une forme théâtrale (dans « L’Ermite ») à la poésie.

    Le livre est complété par deux poèmes qui ont été assez curieusement ôtés après la première édition par l’auteur lui-même. Jean Poncet donne ses explications sans cacher sa perplexité devant cette suppression de deux textes importants, dont l’un a donné son titre au recueil. Quoi qu’il en soit, Les pas du prophète est un beau livre, porteur de lumière comme l’est Lucifer dont les « yeux jettent des lueurs de phosphore ». Ainsi éclairés, sans hésiter suivons ensemble ces pas.

    Jean-Pierre Longre

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  • « J’amplifie le mystère du monde »

    Poésie, Roumanie, Lucian Blaga, Jean Poncet, Horia Bădescu, Jacques André éditeur, Editura Şcoala Ardeleană, Jean-Pierre LongreLucian Blaga, Poemele luminii / Les poèmes de la lumière, édition bilingue. Traduit du roumain et avant-propos par Jean Poncet ; postface par Horia Bădescu. Jacques André éditeur / Editura Şcoala Ardeleană, 2016 

    La poésie de Lucian Blaga, aux harmoniques pleines et aux motifs éternels (l’amour, la nature, les souvenirs, la mort…), à la teneur « à la fois lyrique et métaphysique », est d’apparence simple, en tout cas abordable par tous, aux antipodes de l’hermétisme. C’est une première qualité, qui entraîne le lecteur vers une attention soutenue, plus approfondie – et dans cette perspective la traduction doit suggérer toute la dimension de chaque poème. C’est le cas de celle de Jean Poncet pour Les poèmes de la lumière, le premier recueil du poète-philosophe-dramaturge, paru en 1919 (il avait 24 ans).

    Ce recueil bilingue, fort bien venu à une époque où la poésie, qui plus est la poésie roumaine, n’a pas la faveur des « grands » éditeurs, jouit d’un double privilège : il est traduit et présenté par un poète ; Jean Poncet caractérise dans son avant-propos l’essentiel de l’œuvre de Blaga qui, « poétique comme philosophique », « trouve ses racines et s’ancre dans la réalité roumaine, sa culture, ses mythes et ses valeurs » parmi lesquels le « village roumain » qui « relève surtout d’une géographie intérieure faite de souvenirs et de mythes antiques, de pratiques agraires ancestrales et de chansons populaires. ». Deuxième privilège, le recueil se termine par la postface d’un autre poète, Horia Bădescu, qui analyse avec lucidité (c’est le cas de le dire) ces Poèmes de la lumière, associant à celle-ci le « mystère », ainsi que « l’enthousiasme qui déborde, la passion, la vitalité. ».

    Poésie, Roumanie, Lucian Blaga, Jean Poncet, Horia Bădescu, Jacques André éditeur, Editura Şcoala Ardeleană, Jean-Pierre LongreAinsi bien encadrés, il y a évidemment les textes eux-mêmes, qu’il faut lire, en roumain et/ou en français, en silence et/ou à haute voix. D’emblée, l’auteur nous conduit au cœur de son projet : « Avec ma lumière j’amplifie le mystère du monde. ». Mystère paradoxal fait d’amour, attaché d’une manière constante aux éléments naturels (l’air, la terre, le feu, l’eau – l’herbe, le soleil, les étoiles, le fleuve…). Mystère fait aussi de silence, celui de la mort, celui de l’au-delà où paradis et enfer sont intimement liés :

                       « Comme un hérétique je songe et m’interroge :

                       De quelle source le paradis tient-il –

                       Sa lumière ? – Moi, je le sais : c’est l’enfer qui l’éclaire

                       De ses flammes ! ».

    Et encore :

                       « De toute éternité

                       ennemis, Dieu et Satan

                       auraient-ils compris que chacun serait plus fort

                       s’ils se tendaient une main pacifique ? Ils ont fait leur paix

                       en moi : unis ils ont versé en mon âme

                       la foi, l’amour, le doute, le mensonge. ».

    Ces vers, convenons-en, sont ceux d’un poète-philosophe qui, bien qu’encore jeune, fait la preuve d’une réelle maturité (il obtiendra son doctorat en philosophie dès 1920), tant par la complexité de la pensée que par une écriture qui, mêlant allègrement lyrisme, méditation et narration, ne nie pas le doute et, avec des mots très simples, ne craint pas les riches antithèses :

                       « Si noirs tes yeux

                       ma lumière. ».

    Et Jean Poncet ayant eu la bonne idée d’ajouter au recueil « Sept poèmes (presque) disparus », ne résistons pas au plaisir d’en citer deux vers, que le poète attribue à Jésus :

                       « Ô soleil, toi le divin, ta lumière nous aveugle

                       Même lorsqu’elle est reflet dans la boue… ».

    Certes, la poésie de Lucian Blaga a déjà été mise à la disposition du public francophone : un volume bilingue maintenant difficile (ou impossible ?) à trouver, publié aux éditions Minerva, qui, dans une traduction de Paul Miclău, regroupe sous le titre Les poèmes de la lumière la plupart des recueils de Blaga ; une belle anthologie, elle aussi bilingue, traduite et présentée par Sanda Stolojan, L’étoile la plus triste (Orphée / La Différence, 1992) ; et une non moins belle édition, elle aussi bilingue, du recueil Au fil du grand parcours (În marea trecere), présenté et traduit par Philippe Loubière (Editura Paralela, 2003) (voir ICI).

    Le livre publié par Jacques André éditeur et les éditions Şcoala Ardeleană est une première étape, espérons-le, vers une édition complète et renouvelée des œuvres du plus grand poète roumain du XXème siècle.

    Jean-Pierre Longre

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