Radu Bata, L’amertume des mots doux, « adages ma non troppo », Éditions Unicité, 2024
Les multiples talents littéraires de Radu Bata ne sont plus à démontrer. Mais pour le plaisir de l’inventaire et pour le rafraîchissement de la mémoire, on peut en rappeler quelques-uns. Inventeur des « poésettes » destinées à mettre la poésie à la disposition de qui en veut, traducteur et propagateur de la poésie roumaine dans le monde francophone, avec à son actif et jusqu’à ce jour trois (3 !) volumes de Blues roumain, prolifique compositeur de recueils de textes brefs et denses, que modestement il a intitulés, par exemple, Mine de petits riens, mais qui, s’ils sont effectivement une mine, ne sont pas rien, il poursuit maintenant avec un titre aussi oxymorique que prometteur, L’amertume des mots doux. Double promesse tenue.
Doux ou amers, doux et en même temps amers, les mots sont quoi qu’il en soit de la fête. Passés à la moulinette de l’imagination (voir l’illustration fantastique de couverture par Gwen Keraval) et de leur musique propre, ils font feu de tout bois entre terre et ciel, entre océan et soleil, entre amour et mort, entre horizon et nuages, ces nuages chers à l’auteur et qui, avec « l’air de la mer », permettent de « tenir / dans ce monde qui expire. » Les nuages et, bien sûr, la poésie (car oui, malgré ses dénégations, Radu Bata est bien un poète), authentique « manuel d’entraînement / pour survivre en milieu hostile. » Car il ne faut pas s’y tromper, si fête des mots il y a (on y reviendra), le vertige du temps, l’espoir et le désespoir, le « désert des hommes », l’incessant sentiment de l’exil, « chemin qui ne finit jamais » ou « mariage blanc avec une veuve noire » – tout cela laisse à penser que l’amertume est le moteur de la moulinette.
Mais Radu Bata ne s’en laisse pas compter, et chez lui l’invention est une arme de combat, qui sous la douceur cache une redoutable efficacité. S’il est resté fidèle aux mots de sa langue natale, ceux de sa langue d’adoption n’ont pas de secrets pour lui, et il en joue sans vergogne : polysémie, jeux sonores, associations verbales, images surprenantes, mystérieuses résonances lexicales que soulignent les dessins de Rodica Costianu, tracés en courbes suggestives au fil de la plume… Et n’oublions pas l’humour, dont l’auteur a un sens aigu et dont il ne s’est jamais départi, exorcisant ainsi, entre autres, l’angoisse du « désamour » et de l’errance permanente. Voyez le dernier texte, un poème intitulé « Mon parcours professionnel dit avec des fleurs ». Tout un programme… Évidemment, le chroniqueur aurait envie de multiplier les citations ; mais il ne serait plus chroniqueur. Alors il se contentera de finir ainsi : « Le poète est devin / il sait de quoi sont faits les ciels de demain » ; ou, si l’on préfère : « L’écrivain est un globe-trotter / qui tourne autour de son nombril ». Poète ou écrivain, les deux en fait, il est toujours en mouvement, et c’est à ce prix qu’il survit et nous aide à survivre.
Jean-Pierre Longre
Radu Bata, Le Blues roumain, vol. 3, anthologie implausible de poésies. Préambule de Muriel Augry, préface de Cali, mot de la fin de Charles Gonzalès,
Radu Bata, Le fou rire de la pluie,
Le Blues roumain, Vol. 2
Radu Bata, French Kiss, « L’amour est une guerre douce », édition bilingue français-roumain, Libris Editorial, Braşov, 2020 
Paul Vinicius, La chevelure blanche de l’avalanche, poèmes choisis et traduits du roumain par Radu Bata, Jacques André éditeur, 2019
Mircea Cărtărescu, Solénoïde, traduit par Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, 2019
Irina Teodorescu, Ni poète ni animal, Flammarion, 2019
Paul Vinicius, la chevelure blanche de l’avalanche, traduit par Radu Bata, Jacques André éditeur, 2019
Radu Bata, Survivre malgré le bonheur, Jacques André éditeur, 2018 
Mais comment préserver la sincérité du cœur dans un monde où « les humains ne savent plus dire qu’amour de soi », dans un monde où les « enfants battus / de la prospérité » doivent fraterniser avec des « loups-garous avares » ou des « vampires malveillants » ? Comment l’individu, condamné à « vivre pluvieux », peut-il affronter les monstres modernes ? Radu Bata n’a pas perdu ses racines roumaines, qu’il revendique çà et là, et n’a rien oublié non plus de la beauté des nuages, de « l’harmonie cosmique », de la « langue du doute », des bienfaits du silence, ni de l’ivresse que procure la vraie poésie, celle de Rimbaud ou de Nichita Stanescu par exemple.