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irina teodorescu

  • Une année particulière

    Roman, francophone, Roumanie, Irina Teodorescu, Flammarion, Jean-Pierre LongreIrina Teodorescu, Ni poète ni animal, Flammarion, 2019

    Carmen I., la narratrice, est née en 1979, comme Irina Teodorescu. Comme elle, elle avait dix ans lors de la fameuse « révolution » qui a chassé et liquidé le couple de tyrans qui verrouillait le pays. Maintenant avocate à Paris, Carmen apprend la mort de celui qu’elle appelait le « Grand Poète », ou « Ma Terre », qui l’appelait « Ma Fugue » et jouait un grand rôle non seulement dans sa vie à elle, mais aussi dans celle de la Roumanie, puisque, journaliste et dissident politique, il tenait une place non négligeable dans le pays nouvellement débarrassé des Ceauşescu (surtout de cette « présidente qui avait fait de son mari un homme dépendant. »).

    Alors elle se souvient de l’époque où elle était la « Petite Xénoppe » de sa mère, et son récit déroule les événements qui vont de mars 1989 à février 1990, en prenant appui sur trois générations de femmes : Dani, la grand-mère, que l’on connaît par les « notes informatives » de l’hôpital psychiatrique où elle est périodiquement suivie et interrogée ; Ema, ou Em, la mère, qui se confie régulièrement à des K7 qu’elle enregistre à l’intention d’une amie exilée en Amérique ; et Carmen, donc, qui à dix ans vivait la vie d’une écolière roumaine, séjournait parfois à la montagne, et même écrivait des poèmes dans l’esprit politique du temps, dont l’un à la gloire du Parti, qui « avait remplacé Dieu et était, on nous l’avait assez martelé, notre père à tous » - poème qui lui valut les félicitations de « la camarade maîtresse ». Mais on le sait, la fin de l’année 1989 fut d’une tout autre teneur, avec les événements sanglants que connut le pays – coup d’État ou Révolution, ou moitié-moitié ? Les discussions s’animent entre Carmen et le Grand Poète. « Je lui expliquais alors que les événements de 1989 avaient été à la fois une révolution et un coup d’État, que je le savais grâce à mon point de vue distancié ; que les gens comme lui, j’entendais originaires du même pays, ne pouvaient accepter, tant d’années après, que la révolution avait été en même temps un coup d’État, que les gens comme lui – et comme ma mère, ajoutais-je pour le rassurer – se sentaient dépossédés de leur histoire dès qu’on évoquait cette hypothèse double. ».

    Ni poète ni animal n’est pas un récit historique ou autobiographique. Ces deux aspects y sont certes contenus. Mais c’est avant tout un roman poétique, ou, disons, qui poétise le passé personnel et collectif, sans recourir à l’illusoire linéarité que l’on attribue aux souvenirs. Construction élaborée qui tient compte de la complexité de la mémoire, de ses allées et venues, de la distance qu’elle entretient avec les événements – distance qui n’occulte pas le tragique, mais qui n’exclut pas l’humour, même morbide. Il faut lire par exemple le récit de cette journée de Noël 1989, où le cochon familial fut tué, « nettoyé et découpé », tandis qu’étaient fusillés « la dictatrice et son mari »… D’où la résolution de la fillette : « Avant de m’endormir, je me promis de manger le plus de cochon possible. ». Les bêtes, d’ailleurs, cochon, renard, éléphant et beaucoup d’autres, tiennent une place prépondérante dans le mécanisme de la narration. Et Carmen/Irina, dans le style plein de surprises qui n’appartient qu’à elles deux, de conclure en évoquant « Ma Terre » qui l’incitait à se « repoétiser » : « Je choisis mon camp : ni poète ni animal, mais les deux réunis. ».

    Jean-Pierre Longre

    https://editions.flammarion.com

  • Nouveautés de la rentrée 2019… Chroniques à venir…

    Roman, Poésie, Roumanie, francophone, Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, Irina Teodorescu, Flammarion, Paul Vinicius, Radu Bata, Jacques André éditeurMircea Cărtărescu, Solénoïde, traduit par Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, 2019

    Présentation de l’éditeur :  

    Chef-d’œuvre de Mircea Cărtărescu, Solénoïde est un roman monumental où résonnent des échos de Borges, Swift et Kafka. Il s’agit du long journal halluciné d’un homme ayant renoncé à devenir écrivain, mais non à percer le mystère de l’existence.

    Après avoir grandi dans la banlieue d’une ville communiste – Bucarest, qui est à ses yeux le « musée de la mélancolie et de la ruine de toute chose », mais aussi un organisme vivant, coloré, pulsatile –, il est devenu professeur de roumain dans une école de quartier. Si le métier le rebute, c’est pourtant dans cette école terrifiante qu’il fera trois rencontres capitales : celle d’Irina, dont il tombe amoureux, celle d’un mathématicien qui l’initie aux arcanes les plus singuliers de sa discipline, et celle d’une secte mystique, les piquetistes, qui organise des manifestations contre la mort dans les cimetières de la ville.

    À ses yeux, chaque signe, chaque souvenir et chaque rêve est un élément du casse-tête dont la résolution lui fournira un « plan d’évasion », car il ne s’agit que de pouvoir échapper à la « conspiration de la normalité ».

    http://www.leseditionsnoirsurblanc.fr

     

    Roman, Poésie, Roumanie, francophone, Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, Irina Teodorescu, Flammarion, Paul Vinicius, Radu Bata, Jacques André éditeurIrina Teodorescu, Ni poète ni animal, Flammarion, 2019

    Présentation de l’éditeur :

    Carmen apprend la mort soudaine du Grand Poète, sa seule attache à la Roumanie, au moment où elle traverse un rond-point occupé par un peuple prêt à tout renverser. Alors, elle a comme un éblouissement : les souvenirs d’une autre révolution, conduite par ce poète autrefois dissident, lui reviennent, intacts.
    1989. Elle avait dix ans et écrivait des poèmes à sa « camarade maîtresse» pendant que sa mère, cachée dans la salle de bains, enregistrait des K7 audio à destination d’une amie passée à l’Ouest et que son père échangeait les savons de son usine contre des petits pains. À l’époque, tout cela lui paraissait aussi banal que la folie de sa grand-mère, surveillée depuis toujours par les autorités, ou que les ours des Carpates dont on disait qu’ils mangeaient les enfants.
    De quel genre de vague à l’âme naît une révolution ? Est-ce une impulsion animale ou poétique ? En conteuse aussi insolite qu’inspirée, Irina Teodorescu puise dans les souvenirs vifs de son enfance pour mettre en scène trois générations de femmes - et quelques animaux à leur suite - que rien ne préparait à voir la grande Histoire tout bousculer.

    https://editions.flammarion.com

     

    Roman, Poésie, Roumanie, francophone, Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, Irina Teodorescu, Flammarion, Paul Vinicius, Radu Bata, Jacques André éditeurPaul Vinicius, la chevelure blanche de l’avalanche, traduit par Radu Bata, Jacques André éditeur, 2019

    Présentation de l’éditeur :

    et tu es tellement tellement belle quand tu dors que j'ai de plus en plus sommeil de toi

    Ce recueil de poèmes choisis brille de mille feux, à l’image de son auteur : entier, vrai, ébloui par la nuit, amoureux comme un soleil noir. Paul Vinicius vit avec la poésie : il sort avec elle, il veille avec elle, il partage avec elle la plus belle étreinte. Il lui boit les mots, il lui panse les blessures, il lui offre sa biographie. Ainsi, souvent, la ligne de démarcation entre Paul Vinicius et la poésie se confond avec l’horizon. Regardez bien : un œil attentif discernera l’ombre de ce grand poète roumain derrière un coucher de soleil. Poète, dramaturge, journaliste et essayiste, Paul Vinicius est diplômé de l’École Polytechnique de Bucarest et docteur ès lettres, la partie visible de son parcours surprenant, car il a exercé de nombreux métiers avant de se dévouer à l’écriture. Champion de boxe, puis karatéka, il a travaillé comme maître-nageur sur la côte de la mer Noire, détective privé, pigiste, correcteur, rédacteur pour la presse nationale et pour la maison d’édition du musée de la Littérature roumaine. Après avoir été interdit de publication en 1987 par la censure communiste, il a renoncé à sa carrière d’ingénieur et son curriculum vitae accompagne les soubresauts de la démocratie survenue en décembre 1989, à la recherche d’un nouveau départ, d’une nouvelle ivresse.

    http://www.jacques-andre-editeur.eu/web

  • Une symphonie pathétique

    roman, francophone, roumanie, irina teodorescu, gaïa-éditions, jean-pierre longreIrina Teodorescu, Celui qui comptait être heureux longtemps, Gaïa, 2018

    Avec La malédiction du bandit moustachu et Les étrangères, on avait déjà apprécié le talent et la force romanesque d’Irina Teodorescu : l’art de conter, le maniement à la fois subtil et truculent de la langue, le mélange tonique des registres, la structure rythmée des phrases, les harmonies sonnantes du style… Celui qui comptait être heureux longtemps non seulement confirme ces qualités, mais ajoute un troisième volet à une œuvre qui se fraie un chemin original et engageant dans la jungle de la littérature contemporaine de langue française, se jouant des embûches, bravant avec succès tous les dangers.

    La vie de Bo commence sous les bombardements. C’est la fin (espère-t-on) de la guerre, et sa mère accouche en catastrophe de celui qu’attend un avenir prometteur. Étudiant brillant, chercheur hors pair, bricoleur et inventeur tout azimut, Bo mène une vie amicale, amoureuse et studieuse de jeune homme qui tente tant bien que mal de supporter la « Nouvelle Société » qui se « construit » sous la férule du « Haut Dignitaire », de ses sbires et de ses espions – « Nouvelle Société » dont l’appellation ironiquement transparente désigne le totalitarisme qu’a subi la Roumanie natale de l’auteure. Après une relation passionnelle et en pointillés avec la longue et brune Irenn, « Bo rencontre Di » (voilà un refrain qui sonne comme de réjouissantes petites notes musicales), et de leur union va naître un fils, joie du couple, bonheur de Bo : « Voilà que la présence de cette femme a fini par rassasier Bo et son vorace désir d’amour, voilà que le sourire de ce bébé à la pêche illumine et adoucit et chauffe et apaise. ». Mais l’enfant est malade, et pour le sauver il faudrait le faire soigner en France. Les autorités de la « Nouvelle Société » en profitent pour soumettre Bo à un odieux chantage. Dilemme cruel, choix mortel, désespoir profond. « Et les crabes continuent à se marcher dessus et les rats à sauter dans le vide les uns après les autres, ils se suivent et s’entraînent vers leur mort bête et les poulets mangent encore de la merde dans les batteries, mon fils, alors ce monde, mon fils, ce monde ne te valait pas, ne te méritait pas, dans ce monde les gens vomissent leurs maux sur les autres, sans réfléchir, sans penser ».

    On le voit, on l’entend, on le sent, le style d’Irina Teodorescu est d’une vigueur qui n’a d’égale que sa sensibilité. Des pages de satire tragi-comique (par exemple sur la paperasse imposée par la bureaucratie à chaque individu qui « n’est qu’un formulaire dans ce pays ») voisinent avec des tirades d’une poésie ressassante, profonde, prenante. Lorsque l’humour affleure, c’est pour mieux contenir la douleur et la rage ; lorsque l’émotion éclate, c’est pour exprimer la tendresse et l’amour ; lorsque le rêve prend son vol, s’est pour faire oublier la mort. Et il y a la musique, celle des disques que les jeunes gens écoutent passionnément, et celle des mots et des phrases qui s’agencent et se superposent, sur des tempos et des rythmes variés, en une vaste symphonie pathétique.

    Jean-Pierre Longre

    www.gaia-editions.com

    www.irinateodorescu.com

  • Explosante-fixe

    roman,francophone,roumanie,irina teodorescu,gaïa-éditions,jean-pierre longreIrina Teodorescu, Les étrangères, Gaïa, 2015

    Le nouveau roman d’Irina Teodorescu ne laisse pas le lecteur en repos ; c’est tant mieux. De l’image à jamais fixe de la photographie à l’incessant mouvement circulaire de la danse, il doit se frayer son chemin, le lecteur. Et entre les deux formes artistiques, une troisième s’impose, qui fait le lien : la musique, sonore ou silencieuse. En outre, il y a les voyages, les va-et-vient entre Bucarest et Paris, entre la ville étrange et reposante de Kalior (la plus belle, sans doute) et l’Europe – et par-dessus tout, l’amour.

    La narration est multiple, en instantanés, en spirales, en arrêts sur image, en bonds, autour des deux protagonistes. Il y a d’abord Joséphine, petite puis jeune fille franco-roumaine, élevée sous la dictature de Ceauşescu mais pouvant circuler, avec ses parents, entre la Roumanie et la France. Amoureuse de sa professeure de violon, puis passionnée de photographie, elle sacrifie ses études et ses diplômes à cette passion qui lui vaut un succès international. Et c’est le grand amour : celui de Nadia, la ronde danseuse, avec qui elle va tout partager (la vie, l’art, les voyages, les confidences), et qui va peu à peu se raconter elle-même, raconter leur existence fusionnelle. « Pendant quatre ans, Joséphine et moi fûmes un seul corps. Comme des amantes siamoises. ». Et puis les séparations, les retours, la fuite solitaire vers un ailleurs situé entre veille et rêve, un espace à la fois mouvant et immobile.

    Les étrangères (aux autres, à elles-mêmes, au monde) est un roman de l’entre-deux (entre deux pays, entre deux langues, entre deux arts, entre réel et imaginaire, entre fusion et séparation…) et de la quête d’un absolu artistique : photographier l’invisible (la musique, l’intérieur des gens), danser sur le silence, fixer le mouvement – comme l’image « explosante-fixe » de la « beauté convulsive » chère à André Breton. C’est aussi, et surtout, le roman d’une écriture ; celle d’une auteure qui a appris la langue française à l’âge de 19 ans, et qui quinze ans plus tard parvient à la maîtriser au point de la rendre malléable, et, tout au long de ces 200 pages, d’adapter son style à celui des protagonistes, de leur âge, de leurs préoccupations, de leur tempérament. Laisser leur liberté d’expression à ses personnages, voilà un bel idéal romanesque.

    Jean-Pierre Longre

    www.gaia-editions.com