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ilarie voronca

  • Finalement, que savons-nous des « coutumes de la Terre » ?

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    Ilarie Voronca, Souvenirs de la planète Terre, préface de Nicolas Cavaillès, Arfuyen, 2025

    Né Eduard Marcus à Brăila, Ilarie Voronca (1903-1946) fait partie de ces artistes d’avant-garde qui, venus de Roumanie, ont enrichi la culture française de leur inventivité intellectuelle et esthétique, de leurs idées et de leurs œuvres ; on connaît sans doute mieux Tzara ou Fondane, mais Voronca a nourri la littérature d’une particulière modernité, et Souvenirs de la planète Terre, sorte de « testament littéraire » de l’inventeur de l’ « intégralisme », en témoigne singulièrement. Avec cet ouvrage, l’écrivain « offre une expérience littéraire unique, un dépassement des plus sombres constats dans une fausse naïveté conceptuelle et hallucinée qui à chaque page apporte de nouvelles formules merveilleuses », écrit Nicolas Cavaillès.

    Le protagoniste du roman, Yves (un prénom manifestement issu des initiales de l’auteur), se voit comme « un voyageur venu d’une planète ou de quelque univers inconnu » et découvre notre monde en une vision qui rebat fondamentalement les cartes : les végétaux plus puissants que les hommes, ou ceux-ci aux ordres des animaux, qui, comme les ânes, sont capables de discuter poésie entre eux ; ou encore les machines (par exemple les moissonneuses-batteuses) à l’origine de la création de l’homme (y compris de son âme)… Yves, peu à peu, fait des découvertes étonnantes et angoissantes sur le monde et la société, sur l’injustice qui fixe les « hommes-vis » à des places dont ils ne peuvent s’extirper, sur l’absurdité de l’existence, sur la vanité humaine (« Tout cela est à démolir », semble-t-il en conclure) ; mais tout n’est pas perdu : « La machine bonne et affable se tiendra aux côtés de l’homme. Elle fera un avec l’homme. Et Yves eut la vision d’un nouveau centaure, d’une nouvelle mythologie. L’homme accouplé à la machine. » Vision en tout cas moins pessimiste qu’une prophétie précédente, pourtant vérifiée : « Ce sont les nouvelles machines qui poussent jusqu’à la dernière limite l’esclavage de l’homme et n’hésitent devant aucun obstacle pour satisfaire leurs caprices. »

    Ce qui précède n’est qu’un des angles de lecture possibles. Écrivain de l’absurde, Ilarie Voronca se situe dans lignée de Lautréamont, Urmuz, Raymond Roussel et quelques autres inventeurs de l’absolu. Poète, aussi, et ce roman en porte la marque. Quelques exemples ? À propos des plantes : « Ô pacifiques reines, régnant sur la vie et sur la mort et dont les seules armes sont vos parfums et vos couleurs ! » ; à propos des batteuses : « Ce sont de grands oiseaux migrateurs qui font leur nid pendant les mois de soleil parmi les céréales » ; à propos de la nuit urbaine : « Oh, calme majesté des avenues sous la lune ! Jardins baignés d’une musique qui se déverse d’entre les cordes des arbres dont chacun porte une étoile comme une sourdine. » Et ce bel alexandrin concluant l’un des poèmes insérés dans la prose : « Mes os seront pareils aux herbes arrachées. » Absurde et poésie font aussi bon ménage avec un humour cachant plus ou moins bien l’angoisse, comme dans cette maxime : « Les hommes ne sont des hommes que parce qu’ils croient être des hommes. », ou dans la découverte d’une cruelle anthropophagie : « Yves s’aperçut que les maisons mangeaient. […] Plus elles étaient vieilles, plus elles tombaient en ruines, plus il leur fallait d’hommes, de femmes et d’enfants à mastiquer. »

    Souvenirs de la planète Terre est une livre « intégral » où, par le truchement de la limpidité de la prose et du vertige de la poésie, se mêlent l’espoir et le désespoir, l’humour et la soif d’absolu, le mysticisme et la satire, la générosité et la dérision. La formule de Nicolas Cavaillès est parlante : Ilarie Voronca est un « Voyant inquiet », et c’est sans doute l’inquiétude qui l’a emporté.

    Jean-Pierre Longre

    https://editionsarfuyen.com

  • Itinéraire du défunt

    poésie,chant,constantin brăiloiu,jacques lassaigne,ilarie voronca,dan octavian cepraga,thierry gillyboeuf,madeleine leclair,jean-pierre longreConstantin Brăiloiu, Ale mortului din Gorj/Les chants du mort, traduits du roumain par Jacques Lassaigne et Ilarie Voronca, préface et notes de Dan Octavian Cepraga, traduites de l’italien par Thierry Gillyboeuf, postface de Madeleine Leclair, éditions La Baconnière, 2018.

    Au cours de l’été 1930, Constantin Brăiloiu, ethnomusicologue, recueillit dans le judeţ de Gorj (sud-ouest de la Roumanie) un certain nombre de chants rituels, témoignages sonores des traditions funéraires.  Il en tira un recueil de treize textes qu’il publia en 1936, et qui illustrent les « étapes de la cérémonie funéraire » et la « survie des traditions religieuses préchrétiennes », comme le note Dan Octavian Cepraga dans sa préface. À partir de là, ce bref volume connut un destin exceptionnel : Ilarie Voronca, poète animateur de mouvements d’avant-garde, ami entre autres de Tristan Tzara, Eugène Ionesco, Constantin Brancuşi, expatrié à Paris dans les années 1930 et devenu poète de langue française, décide en 1939 de le traduire avec l’aide du critique d’art Jacques Lassaigne et de le publier en revue. En 1943, Eugène Ionesco en lit les textes à la radio, et en 1947 Albert Camus les publie en volume. En outre, ils passent en Italie, et Pasolini en utilisa la musique dans la bande son de son film Œdipe Roi. Dan Octavian Cepraga écrit à juste titre : « Partie des villages reculés des Carpates, oubliés de l’histoire, la poésie populaire roumaine se retrouve au cœur des tensions idéologiques et spirituelles de la culture européenne moderne. ».

    poésie,chant,constantin brăiloiu,jacques lassaigne,ilarie voronca,dan octavian cepraga,thierry gillyboeuf,madeleine leclair,jean-pierre longreCompte tenu du destin et du contenu de ces chants, leur réédition en version bilingue est d’un grand intérêt, et c’est ainsi que nous pouvons suivre l’itinéraire du mort, en imaginant les chœurs de femmes qui les exécutaient. Depuis le « chant des aurores » jusqu’à l’inhumation, se déroulent et se fixent différentes étapes : procession, conseils au défunt pour le franchissement de la frontière entre la vie et la mort, offrandes rituelles, plantation d’un sapin sur sa tombe… Les représentations poétiques et métaphoriques défilent au long des vers dont la nature, la vie rurale, le village, les rassemblements populaires sont des thèmes récurrents.

    Et s’il fallait prouver que des voix du peuple émane une pure et vraie poésie, voici au hasard un échantillon de ces Chants du mort :

    Prie, prie tes enfants

    qu’ils aient patience,

    qu’ils ne pleurent pas.

    Tout n’est pas de donner

    mais de patienter.

    Si c’était de donner,

    ton époux te donnerait

    charrue à quatre bœufs

    et laboureur avec,

    afin de t’arracher

    à la noire mort.

    Tout n’est pas de donner

    mais de patienter.

                                          Jean-Pierre Longre

     

    www.editions-baconniere.ch

    http://www.ville-ge.ch/meg/musinfo_ph.php?what=pays=Roumanie&debut=0&bool=AND