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peinture

  • Polyphonies picturales

    Constantin Severin, Les vies des peintres, préface d’Elena-Branduşa Steiciuc, L’Harmattan, 2024

    Poésie, peinture, francophone, Roumanie, Constantin Severin, Elena-Branduşa Steiciuc, L’Harmattan, Jean-Pierre LongreDepuis le poème « Correspondances » de Baudelaire (entre autres références), il est souvent question de synesthésies en matière artistique, et c’est tant mieux, car l’art est le meilleur moyen de solliciter simultanément tous les sens, ou plusieurs d’entre eux. Voilà ce qui se passe dans le beau recueil poétique de Constantin Severin, lui-même artiste, fondateur de « l’Expressionnisme archétypal », mouvement qui se réfère à des créations de diverses époques.

    Vingt-cinq peintres sont ici chantés, d’Yves Klein à Lucian Freud, en passant par Francis Bacon, Frida Kahlo, Vassily Kandinsky, Pablo Picasso, Salvador Dali, Joan Mirò, Louise Bourgeois, on en passe… Vingt-cinq artistes qui, si certains éléments de leur biographie sont évoqués, sont vus (le plus souvent à la première personne) du côté de leur création et de ce qu’il est possible d’en saisir par les mots. Des mots pesés, choisis, agencés pour rendre d’une manière à la fois lyrique et précise, lumineuse et profonde, l’essence de leur œuvre. Cette essence tient souvent à la combinaison des couleurs et des formes avec la musique, comme c’est le cas chez Ion Țuculescu (« soit la couleur contient de la musique soit ne le fais pas »), Paul Klee (« peindre en musique la naissance simultanée du son et de la couleur »), Edvard Munch (« la souffrance et la musique font partie de moi et de mon art ») et bien d’autres, pour qui l’art, si l’on suit toujours les vers de Constantin Severin, « est une histoire intense sur l’harmonie la couleur et l’émotion » (à propos de Lin Fengmian).

    Car oui, l’émotion est partout, issue de la peinture et de ses effets polyphoniques. L’émotion et la souffrance, inséparables de « l’intimité avec la mort » évoquée par Paul Klee, ainsi que du « malheur du monde » porté par Kasimir Malevitch, même si l’amour se glisse en filigrane entre les ombres et la lumière, dans l’inconscient familier par exemple à Lucian Freud : « je peins lentement il faut du temps pour laisser l’inconscient choisir les couleurs ». En tout cas, la peinture est l’art du dépassement, dépassement des frontières physiques et spirituelles, dépassement du réel. « je peignais les choses comme je les pensais et non comme je les voyais », dit Picasso sous la plume du poète. C’est bien ce à quoi nous invite la poésie de Constantin Severin, qui arrive par les mots à « rendre visibles à tout prix l’immatériel et l’absolu », à donner présence à ce qui est caché profondément, secrètement sous « les vies des peintres ».  

    Jean-Pierre Longre

    www.editions-harmattan.fr

    https://constantinseverin.ro

  • Le peintre et la Marguerite

    Roman, peinture, francophone, Christian Cogné, Velvet, Jean-Pierre LongreChristian Cogné, Toute fleur s’étalait plus large, Velvet, 2023

    « Je ne t’aime pas du tout ! Je ne t’aime pas du tout ! Pas du tout ! Pas du tout ! Je ne t’aimerai jamais ! » Ce jour-là, après l’effeuillage d’une marguerite, Petru, petit garçon issu d’un viol et à cause de cela rejeté dès sa naissance par sa mère, chuta dans un précipice en essayant de fuir cette haine. Chute réelle, chute symbolique de l’abandon dans lequel fut laissé l’enfant qui, devenu adulte, sombra dans la déchéance, l’alcoolisme et la violence, avant de rencontrer un drôle de peintre à qui il dut sa métamorphose. C’est ainsi que Petru, sous l’exigeante houlette de Sam, devint un « peintre paysagiste » prometteur.

    Chez lui, la passion de la peinture va de pair avec la quête libératrice de l’amour dont sa mère l’a privé. Avant de le quitter pour d’autres contrées, Sam, son maître, lui a écrit une lettre testament où il lui prodigue ses conseils : « Remonte le temps, Petru ! Fixe ta mère dans les yeux et libère-toi. Comment ? À toi de trouver le moyen. Il te faudra des années, je le crains, pour sortir du trou. […] Je te le prédis, tu retomberas et tu te relèveras tandis que tu te croiras mort. Lorsque sur la toile peinte, tu te verras apparaître et grandir au plus loin de la ligne de fuite, tu sauras que tu as gagné ta part d’éternité. Un jour, tu seras au même niveau que Vincent Van Gogh. » Programme démesuré, que Petru suit d’aventure en aventure, de rencontre en rencontre. On le voir accoudé au comptoir d’un bistrot de banlieue, racontant par épisodes à quelques habitués ses pérégrinations en France, aux États-Unis, en Roumanie, dans la ville de Braşov, d’où vient sa mère, et où « sa propre histoire s’enracinait. » Mais « sa vraie patrie était celle des métamorphoses, des formes qui en recouvrent d’autres et des traces qui se perdent en chemin. »

    Tout au long du roman, la peinture, les tableaux, les fresques même, dans une mise en abyme du récit, et nécessairement les rencontres amoureuses, tout cela figure la mise en forme artistique de la Marguerite, celle qui va se construire jusqu’à l’effeuillage victorieux, jusqu’au « Je t’aime » que sa mère a toujours refusé de lui concéder. Cette Marguerite dont il aura eu la vision au moment de son sevrage alcoolique : « La Marguerite profitait de l’obscurité pour sortir de son cadre. Elle se faisait toute petite au début. Comme une femme vulnérable qui ignore dans quel milieu elle met les pieds. Puis, dans la clarté blafarde qui émanait d’elle, sa tête s’ouvrait sur une fleur géante qui se développait, se développait… Du cœur jaune de celle-ci jaillissait une créature à tête de femme et au corps de serpent. »

    Dans Toute fleur s’étalait plus large (titre emprunté à un vers de Mallarmé), les aventures romanesques et sentimentales, les voyages et les rencontres sont les manifestations extérieures de l’inlassable quête d’amour de Petru, « sur maint charme de paysage », comme l’écrivait encore Mallarmé. L’art pictural, dans les détails duquel l’auteur n’hésite pas à entrer, comme pour nous faire participer à l’apprentissage progressif de son héros jusqu’à sa parfaite maîtrise des formes et des couleurs, jusqu’à l’accomplissement de l’œuvre, l’art pictural, donc, renferme les signes et les secrets de cette quête à laquelle nous, lecteurs, participons avec une émotion intense et un attachement profond pour un personnage qui, tout en se dévoilant, garde les mystères de son paysage intérieur.

    Jean-Pierre Longre

    www.editionsvelvet.com