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gabriela adameşteanu

  • Complexes destinées

    Roman, Roumanie, Gabriela Adameşteanu, Nicolas Cavaillès, Gallimard, Jean-Pierre LongreGabriela Adameşteanu, Fontaine de Trevi, traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, Gallimard, « Du monde entier », 2022

    Letitia voudrait récupérer des biens immobiliers familiaux que le pouvoir communiste avait confisqués. Installée en France avec son mari Petru, ancien journaliste à Radio Free Europe, elle fait pour cela des voyages successifs à Bucarest, retrouvant des amis et de la famille, confrontant ses souvenirs à la réalité présente. Voilà le fil conducteur, le prétexte narratif d’un roman dans lequel on retrouve la protagoniste déjà présente dans les deux précédents (Vienne le jour, Situation provisoire), elle-même cherchant à publier ce qu’elle assume comme une « autofiction ».

    On l’a connue jeune étudiante en proie aux difficultés matérielles et morales des années 1950-1960 dans ce pays, puis adulte, cherchant à oublier les contraintes de la vie conjugale et professionnelle, ainsi que les risques politiques, dans une relation amoureuse un peu compliquée… On la découvre maintenant retirée dans une bourgade française, dont elle quitte périodiquement la tranquillité pour se retrouver dans une Roumanie qui, toujours marquée par son passé, a ingurgité les ressorts et les compromissions du capitalisme débridé. Certes, il y a eu la « révolution », dont ses amis Morar, comme d’autres, déplorent la confiscation par les anciens apparatchiks et « sécuristes », et la parole et les déplacements – à condition qu’on en ait les moyens – y sont libres ; d’ailleurs, ceux qui le peuvent ne se privent pas d’aller travailler ou étudier à l’étranger, avec l’espoir d’en revenir mieux lotis (comme ceux qui, jetant une pièce dans la fontaine de Trevi, font le vœu de revenir à Rome). Les souvenirs personnels (amours, famille, amitiés) de Letitia se mêlent aux retours sur un passé collectif auquel le présent renvoie sans cesse, colorant les destinées des espoirs et des désespoirs qui en résultent, ces destinées qui se révèlent plus complexes qu’il n’y paraît, car tout n’y est jamais tout blanc ou complètement noir.

    L’œuvre de Gabriela Adameşteanu n’est pas seulement narrative. Comme dans les fresques épiques, elle campe des atmosphères aussi diverses que le sont les époques décrites, les rues de Bucarest (l’allée Teilor ou les avenues grouillantes) et les maisons de l’allée des Tilleuls, en Touraine (en une évocation digne de Du Bellay), bien d'autres lieux encore, intimes ou publics, familiaux ou professionnels… La multiplicité des événements, les grandes disputes politiques, le foisonnement des personnages (tel que leur triple liste finale est d’une grande utilité), le fond de réalité historique sur lequel ils s’impriment en relief, l’ensemble est d’une écrivaine en pleine maturité de son art, dans la lignée de Balzac, d’un Balzac qui s’exprimerait à la première personne et qui se poserait des questions sur l’ambiguïté de son personnage : « Cette femme que Sorin observe bizarrement, l’esprit ailleurs, est-ce bien moi ? ou le personnage de mon livre ? Est-ce de ma vie que je me souviens, ou bien de celle que j’ai imaginée, à partir de la vraie ? » Disons-le : ce genre de livre, fruit d’un talent et d’un travail littéraires qui n’ont pas leur pareil, ne peut être traduit que par un écrivain, et c’est bien le cas. Nicolas Cavaillès a compris comment entrer et faire entrer les lecteurs dans le monde de Gabriela Adameşteanu, dont l’œuvre entre elle-même largement dans le patrimoine littéraire d’aujourd’hui.

    Jean-Pierre Longre

    www.gallimard.fr

  • Quelques parutions récentes

    Roman, Histoire, Dictionnaire, Roumanie, Gabriela Adameşteanu, Nicolas Cavaillès, Christine Colonna-Cesari, Smaranda Lupu, Gallimard, éditions PiatnitsaGabriela Adameşteanu, Fontaine de Trevi, traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, Gallimard, “Du monde entier », 2022

    « Depuis longtemps installée en France, Letitia rentre régulièrement à Bucarest pour tenter de récupérer un héritage confisqué par le régime communiste. Ces voyages dans son pays natal sont autant d’occasions de replonger dans son passé. Le temps d’une journée en ville, lui reviennent par bribes les souvenirs, collectifs et intimes, de ces trente dernières années. Que reste-t-il de l’amour clandestin qui la liait à Sorin, et face à quel choix cet homme l’a-t-il laissée ? Leur séparation l’a poussée du côté des exilés. Avec la maturité de l’âge, elle sonde les différences entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés, repense à ses rêves dont un au moins ne l’a pas quittée : transformer sa vie en roman.
    Placé sous le signe de la sagesse et de l’acceptation de soi, Fontaine de Trevi dresse la chronique de cinquante ans d’histoire roumaine à travers l’introspection bouleversante d’une héroïne lucide. Sensible et poignant, ce livre confirme Gabriela Adameşteanu comme une grande voix de la Roumanie d’aujourd’hui. »

    www.gallimard.fr

     

    Roman, Histoire, Dictionnaire, Roumanie, Gabriela Adameşteanu, Nicolas Cavaillès, Christine Colonna-Cesari, Smaranda Lupu, Gallimard, éditions PiatnitsaChristine Colonna-Cesari, Maruca Cantacuzino Enesco Princesse rebelle, Editions Piatnitsa

    « La princesse Maria Cantacuzino (1878-1968), connue sous le nom de Maruca, fut célèbre pour sa beauté, son intelligence, son originalité, son caractère entier et indépendant. Née dans cette Moldavie roumaine de la fin du 19ème siècle, où la culture et l’hospitalité des boyards font loi, Maruca deviendra la princesse la plus riche de Roumanie en faisant un mariage d’amour avec le prince Mihai Cantacuzino, puis en secondes noces, la muse et l’épouse passionnée, du plus grand musicien et compositeur roumain Georges Enesco, dont elle partageait l’idéal de liberté. Elle fut aussi l’amie des reines de Roumanie, Elisabeth et Marie. Aller à sa rencontre, c’est découvrir une princesse vibrante et surdouée, née à l’aube de la Belle Epoque, qui traversa les tourments de l’histoire avec courage, un niveau de conscience élevé et un regard lucide, qui la rendent très présente, humaine et contemporaine. »

    « Christine Colonna-Cesari est auteur, éditeur, lauréate de 4 Prix littéraires. Elle est l’auteur de : Ils sont fous ces Roumains ! Prix Renaissance 2021, de l’Académie Poétique et Littéraire de Provence. Elle vit à Bucarest depuis 2018. Elle fait ici, revivre Maruca dans toute sa sensibilité et sa complexité. Ce livre est aussi un voyage inhabituel au cœur d’une époque à la découverte de personnages historiques ressuscités avec talent. »

    Editions Piatnitsa. Direction : Strada Roma 40. Secteur 1. 011774 Bucarest. Siège social: 16 Boulevard Saint-Germain.75005 Paris. Sur commande, chez tous les bons libraires de proximité.

    http://www.editionspiatnitsa.com

     

    Roman, Histoire, Dictionnaire, Roumanie, Gabriela Adameşteanu, Nicolas Cavaillès, Christine Colonna-Cesari, Smaranda Lupu, Gallimard, éditions PiatnitsaSmaranda Lupu, Dictionnaire des 100 mots roumains les plus fréquents, 2022

    « Apprenez le roumain avec la Méthode des 100 mots, une approche innovante et incontournable. Les 100 mots roumains les plus fréquents couvrent plus de 50% de la langue active ! Ils sont illustrés par 1001 exemples d’usage courant, partie intégrante de la méthode. Ce que vous trouverez dans cet ouvrage : la prononciation pour tous les exemples, un graphisme en couleurs, avec de nombreuses images et illustrations, pour accompagner et faciliter la lecture, des liens et des renvois afin d’établir des connexions entre les mots et de naviguer avec aisance, des rubriques de pièges et astuces. »

    https://nouveautes-editeurs.bnf.fr/annonces.html?id_declaration=10000000793347&titre_livre=Dictionnaire_des_100_mots_roumains_les_plus_fr%C3%A9quents

  • L'engagement de l’écrivain face à la complexité de l’histoire

    Autobiographie, Histoire, Roumanie, Gabriela Adameşteanu, Nicolas Cavaillès, Jean-Yves Potel, éditions Non Lieu, Jean-Pierre LongreGabriela Adameşteanu, Les Années romantiques, traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, préface de Jean-Yves Potel, éditions Non Lieu, 2019

    « Ce livre parle de moi, mais en l’écrivant j’espère bien que d’autres se reconnaîtront dans mes expériences, dans ce qu’il m’a été donné de vivre. ». La lecture de l’ouvrage nous montre, en effet, comment une écriture particulière peut largement transcender l’autobiographie, le récit personnel, pour offrir une vision à la fois générale et précise, une véritable somme historique, politique, sociologique, tout en ménageant l’intérêt narratif. Car le récit de ces « années romantiques » (expression à prendre sans doute avec un sourire de lucidité), de ces années qui ont accompagné et suivi ce que d’aucuns appellent « révolution », que Gabriela Adameşteanu, avec beaucoup d’autres, qualifie de « coup d’État », ce récit, donc, tient aussi bien de la littérature que de l’essai.

    De nombreux fils tissent le texte, certains plus serrés que les autres. Cela commence par l’invitation faite à l’auteure par l’« International Writing Program » pour une résidence à Iowa City, quelques semaines au cours desquelles s’ouvre à elle cette Amérique dont elle ne rêvait pas vraiment (la France l’attirait plus), mais des semaines qui lui permettront, en particulier, d’interviewer à Chicago le dissident et disciple de Mircea Eliade Ioan Petru Culianu, réfugié aux USA après maintes tribulations, esprit particulièrement vif et réfléchi, homme d’une grande culture, qui mourra étrangement assassiné quelques semaines après cet entretien, non sans avoir fait découvrir à l’auteure et aux personnes qui le liront dans le journal d’opposition 22 le rôle meurtrier des manipulations du KGB, de la Securitate et des dirigeants communistes roumains dans un « scénario » destiné à chasser Ceauşescu, fin 1989, en faisant croire à une révolution populaire.

    Autres fils conducteurs : l’accident survenu en février 1991 dans le Maramureş, en compagnie d’Emil Constantinescu (futur président d’« alternance » en 1996), accident qui vaudra à l’auteure de rester alitée plusieurs mois et de laisser libre cours à ses réflexions et à ses doutes ; le travail acharné pour l’organe du G.D.S. (« Groupe pour le dialogue social »), le journal 22, qu’elle a dirigé de 1991 à 2005 ; et, liée à cela, la contestation de la prise du pouvoir par Ion Iliescu, Petre Roman et quelques autres anciens dirigeants du parti communiste roumain – ce qui l’a conduite, comme la plupart des écrivains de l’époque, à laisser de côté la création : « Jusqu’en l’an 2000, environ, je n’ai plus écrit ni lu de prose : seulement la presse, roumaine ou étrangère, et des livres se rapportant de près ou de loin au journalisme. Quand j’échappais à l’obsession du journal, d’ordinaire pendant de courts voyages qui me conduisaient à des séminaires de presse, je prenais, sans projet précis, des notes, dans divers cahiers. ».

    D’ailleurs, si plusieurs questions parcourent le livre (le rôle des politiciens dans la conduite des affaires et le destin du pays, le passé de la Roumanie avec ses compromissions, avec l’antisémitisme dont fut accusé, par exemple, Mircea Eliade, avec l’accession en force des communistes au pouvoir, avec les méfaits de la dictature sur les consciences et les relations humaines etc.), celle de l’engagement, de l’activité ou de la passivité des écrivains est récurrente. « Jusqu’où un écrivain peut-il aller dans les compromis, dans la vie, en littérature, dans le journalisme, et à partir de quel moment ces compromis affectent-ils la qualité de son écriture ? Si c’est bien le cas ? Sur ces questions, les verdicts sont plus nombreux que les débats. Les jeunes générations n’ont pas les moyens de comprendre la vie sous un régime totalitaire mieux que les citoyens des pays occidentaux qui n’ont pas fait cette expérience. À moi aussi il est arrivé d’émettre des jugements tranchés, sans nuances, avec cette condescendance, pour ne pas dire ce mépris, biologique, des jeunes envers la génération antérieure. J’ai longtemps repoussé in corpore les écrivains du réalisme socialiste, eux et toutes leurs œuvres. ». Un livre ponctué d’interrogations, donc, et qui décrit avec acuité, sans occulter ni les options ni les doutes personnels, la vie politique, intellectuelle, culturelle, littéraire d’une période tourmentée. Un livre où l’on croise beaucoup de personnalités marquantes ; pour n’en citer que quelques-unes : Paul Goma, exilé à Paris, la poétesse Ana Blandiana, figure, avec son mari Romulus Rusan, de l’Alliance Civique, I.P.Culianu déjà cité, Dumitru Ţepeneag, lui aussi exilé à Paris après avoir créé à Bucarest le groupe oniriste, Emil Constantinescu, Mircea Căratărescu, l’un des grands représentants avec Gabriela Adameşteanu de la littérature roumaine contemporaine, et qui séjourna en même temps qu’elle à Iowa City… Les noms foisonnent, les personnages abondent. Mais Les Années romantiques n’est pas une galerie de portraits, ni, seulement, une autobiographie ou un essai historico-politique. C’est vraiment une œuvre d’écrivain, dont la construction suit les méandres de la mémoire et de la vie personnelle et collective, rendant ainsi compte d’une période difficile.

    Ajoutons que, à l’appui de cette construction mémorielle, le livre est un véritable traité d’anti-manichéisme : « La vie et la littérature ont contredit mon manichéisme. Mais il a résisté aux années romantiques. Dès mon enfance, j’ai senti qu’il était très mal d’“écrire pour le Parti”. J’ai atteint la liberté sans avoir “péché” par la moindre ligne de compromission, mais en portant toujours en moi, inversé, le manichéisme de mon éducation communiste. Il m’a fallu bien des années pour en sortir – si j’en suis vraiment sortie. […] Dans ce communisme qui a englouti les vies de nos parents et qui semblait prêt à durer plus longtemps que nos propres vies, une autre catégorie de gens a existé, beaucoup plus large : ceux qui s’efforçaient de mener une vie normale, en ne faisant que les compromis inévitables. Cette appréhension d’un monde disparu est plus complexe et moins intéressante pour ceux qui ne l’ont pas vécu – les Occidentaux et la majorité des jeunes d’aujourd’hui. ». C’est à cette « appréhension » « moins intéressante » que nous devons nous intéresser, et que doit nous intéresser la littérature, en nous mettant au cœur de la « complexité » de la vie.

    Jean-Pierre Longre

    www.editionsnonlieu.fr

  • En langue roumaine

    Quelques parutions récentes chez les éditeurs roumains

    Des essais, des documents, des œuvres de fiction… Les auteurs et les éditeurs roumains proposent toujours de nombreux livres, dont beaucoup méritent une attention internationale. En voici quelques exemples. Merci à Mircea Anghelescu, professeur émérite à l’Université de Bucarest, de nous avoir fait parvenir ces ouvrages.

    Littérature, essais histoire, Roumanie, Mircea Anghelescu, Lucian Boia, Radu Paraschivescu, Gabriela Adameşteanu, Lucian Dragoş Bogdan, Polirom, Humanitas, Tritonic

    Călători români şi călătoriile lor în secolui al XIX-lea (Voyageurs roumains et leurs voyages au XIXème siècle). Antologie, prefaţă şi note de Mircea Anghelescu, Polirom, Biblioteca Memoria, 2018. Textes sur différents pays (dont la Roumanie) vus par de nombreux écrivains, parmi lesquels V. Alecsandri, Al. Macedonski…

    Littérature, essais histoire, Roumanie, Mircea Anghelescu, Lucian Boia, Radu Paraschivescu, Gabriela Adameşteanu, Lucian Dragoş Bogdan, Polirom, Humanitas, Tritonic

    Lucian Boia, Cum mam trecut prin communism, Primul sfert de veac (Comment j’ai vécu le communisme), Humanitas, 2018. Autobiographie de l’un des grands historiens contemporains, assortie de documents photographiques.

    orice-om-ii-este-teama-un-partid-doi-ani-si-trei-premieri_1_fullsize.jpg

    Radu Paraschivescu, Orice om îi este teamă. Un partid, doi ani şi trei premieri (Tout le monde a peur. Un parti, deux ans, trois premiers ministres), Humanitas, 2018. Sur la situation politique actuelle.

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    Gabriela Adameşteanu, Fontana di Trevi, Polirom, 2018. Par la grande romancière contemporaine (voir ICI).

    parfumul-cracoviei-lucian-dragos-bogdan.jpg

    Lucian Dragoş Bogdan, Parfumul Cracoviei, Tritonic, 2017. « Deux couples. Quatre destins. Et une lutte désespérée entre le cœur et la raison ».

     

    www.polirom.ro

    www.humanitas.ro

    www.tritonic.ro

  • Et la vie continue, malgré tout

    Nouvelle, Roumanie, Gabriela Adameşteanu, Nicolas Cavaillès, éditions Non Lieu, Jean-Pierre LongreGabriela Adameşteanu, Gare de l’Est. Nouvelles traduites du roumain par Nicolas Cavaillès, éditions Non Lieu, 2018.

    Les années 1970-1980, en Roumanie, ne furent pas des plus exaltantes, c’est le moins que l’on puisse dire. La pression sociale et psychologique, les pénuries, la méfiance mutuelle engendrée par l’espionnage politique, les libertés individuelles rigoureusement entravées – tout était le résultat d’une dictature particulièrement vicieuse qui s’insinuait dans l’esprit et le mode de vie des individus.

    Dans Gare de l’Est, pas de dénonciations violentes, pas de cris de révolte ouverte, pas d’appels à l’insoumission radicale. Ce sont les vicissitudes matérielles, physiques et morales de la vie quotidienne, et aussi les quelques instants fugaces de plaisir, d’espoir et de satisfaction qui forment l’ossature narrative des sept nouvelles du volume. Gabriela Adameşteanu, l’une des grandes romancières roumaines d’aujourd’hui, maîtrise au plus haut point l’art du récit polyphonique, qui laisse filtrer la profondeur du malaise existentiel et la difficulté, voire l’impossibilité, de la communication entre les personnages. Malaise et difficulté exacerbés par l’atmosphère de suspicion mutuelle, par la surveillance constante exercée sur la vie privée. Malentendus, silences et incompréhensions dans le couple, séparations, vengeances, jalousies, sanctions et mesquineries professionnelles, tracas administratifs, rumeurs plus ou moins fondées, dégradation des relations entre membres d’une même famille ou entre amis, maltraitance féminine ou enfantine, indécision concernant l’avenir individuel et collectif… Tout est dit à travers les gestes et les paroles de personnages qui ne sont ni des héros ni des traitres, mais des êtres qui tentent de vivre dans un contexte oppressant. « On peut donc vivre ainsi, s’habituer à se percevoir comme un être-dénigré, comme un-homme-qui-a-un-mauvais-dossier, comme un-homme-d’un-autre-temps. Penser calmement apporte un apaisement extraordinaire, on écarte toutes les vaines ambitions, puisque l’on sait que les chances de succès sont désormais nulles. ». La vie continue, malgré tout.

    Il n’y a pas que les humains. Les évocations des paysages (surtout urbains) subissent des variations et donnent une dimension à la fois significative et poétique au récit. « Une rue animée de gens et de voitures qui s’écoulaient dans le vrombissement d’un paisible soir d’été. Les fleuristes accroupies à côtés de leurs paniers multicolores, d’où jaillissaient des tulipes jaunes ou rouges, fermées, scintillantes d’eau. Le monde était plénitude et régularité, pulsation ordinaire, et lui le traversait, détendu, d’un point à un autre, heureux d’être arrivé jusqu’ici et d’y avoir trouvé ce qui devait s’y trouver. ». Et plus loin : « Les murs défraîchis, les chiens gris cendres écrasés de chaleur au pied des escaliers sales des immeubles aux façades maculées, les containers pleins à craquer, que la chaleur ambiante faisait suinter de leurs liquides fermentés, et cette sensation entêtante : qu’il n’avait pas réussi à quitter la périphérie de la bourgade maudite où il avait passé son enfance. ». Au-delà des conditions circonstancielles et des paysages mentaux, à travers les aléas de la vie quotidienne, c’est une thématique plus vaste qui se décline : la vie et la mort, l’espérance et l’angoisse, la souffrance et le plaisir, l’amour et la haine, l’amitié et la solitude… Sans effets oratoires, sans affectation ni artifice, Gabriela Adameşteanu suggère sans les imposer les grandes interrogations liées à la condition humaine.

    Jean-Pierre Longre

    www.editionsnonlieu.fr