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max blecher

  • Dans le « réseau du monde »

    Poésie, Roumanie, Max Blecher, Alice Orient, Nestor Urechia, Gabrielle Danoux, Jean-Pierre LongreMax Blecher, Corps transparent, traduit du roumain par Gabrielle Danoux, édition bilingue, 2017

    Corps transparent a été publié en 1934, quatre ans avant la mort prématurée de Max Blecher, auteur par ailleurs d’œuvres en prose originales, étranges, profondément introspectives, comme Aventures dans l’irréalité immédiate et Cœurs cicatrisés. Corps transparent est comme un condensé en vers des proses du jeune écrivain, et Gabrielle Danoux a eu la bonne idée de faire précéder sa traduction de celle d’une page de La tanière éclairée, qui commence ainsi : « C’est, je crois, la même chose de vivre ou de rêver ce qui advient, et la vie réelle, celle de tous les jours, s’avère tout aussi hallucinante et étrange que celle en état de sommeil. ».

    Dans les poèmes de Corps transparent, les mots, « tels des oiseaux aux ailes ensanglantées », sont porteurs de visions toutes personnelles et d’images expressives, hors du commun, à caractère parfois surréaliste : « Les bateaux : des têtes de noyés la cigarette au bec », ou encore ; « Les jupons dentelés du lait cru ». L’écriture automatique affleure, comme dans « Poème grotesque », où voisinent les blaireaux et les feuilles desséchées, les chérubins et la farine, et où une « fenêtre s’est détachée du mur et s’est mise en route ».

    L’exploration de l’imaginaire et de l’inconscient humains n’exclut pas l’évocation des êtres vivants que sont les animaux, dans une « ménagerie » qui décline un bestiaire provocateur, ni celle des vastes espaces sur la « trajectoire d’une comète d’obscurité » ou dans le sillage de l’amour assimilé à une « phalène » : les tropiques, la mer, la ville, la campagne – le « réseau du monde ».

    Les poèmes de Max Blecher sont à lire (en roumain et/ou en français) sans arrière-pensée. Si l’on se laisse porter, entraîner, investir par les mots qui « volent dans les pièces du cœur », on sentira « d’étranges fleurs embaumant le cerveau. ».

    Jean-Pierre Longre

     https://www.babelio.com/livres/Blecher-Corps-transparent/974181

    Autres traductions récentes de Gabrielle Danoux :

    Alice Orient, Textes choisis.  Voir ICI 

    Nestor Urechia : Dans les Bucegi. Voir ICI 

  • « Qui me réveillera ? »

    Roman, autobiographie, Roumanie, Max Blecher, Elena Guritanu, Claro, Hugo Pradelle, Éditions de l’Ogre, Jean-Pierre LongreMax Blecher, Aventures dans l’irréalité immédiate, suivi de Cœurs cicatrisés,  traduit du roumain par Elena Guritanu, préface de Claro, postface de Hugo Pradelle, Éditions de l’Ogre, 2015  

    « L’impression générale et essentielle de théâtralité devenait une véritable terreur dès que je pénétrais dans un cabinet de curiosités exposant des figures de cire. À mon effroi se mêlaient une vague ondulation de plaisir et la sensation étrange, que nous éprouvons tous parfois, d’avoir déjà vécu la même chose, dans le même décor. Si jamais naissait en moi le sentiment d’un but existentiel et si cette ébauche était véritablement liée à quelque chose de profond, d’essentiel et d’irrémédiable, alors mon corps devrait se transformer en une statue de cire dans un musée et ma vie en une contemplation sans fin de ses vitrines. ». Telle est la prose d’un écrivain encore trop méconnu, né dans le nord de la Roumanie, mort en 1938 à l’âge de 29 ans après avoir vécu pendant 10 ans atteint par le « mal de Pott », tuberculose osseuse qui l’obligea à interrompre ses études de médecine à Paris et à passer son existence dans divers sanatoriums.

    Trop méconnu, et pourtant plusieurs fois traduit en français (par Mariana Şora, Georgeta Horodinca, Hélène Fleury, Gabrielle Danoux…). Ce volume, qui réunit deux ouvrages différents traduits par Elena Guritanu, témoigne d’une écriture à la fois introspective et expressive, qui met en relation étroite le rêve et la réalité, l’hallucination et la sensation. Aventures dans l’irréalité immédiate est l’exploration d’une âme en proie à la perception d’un monde à la fois étrange et familier, défiguré par la douleur et recomposé par la poésie des mots et des phrases, une âme qui, comme une spectatrice de théâtre, est à la fois à l’extérieur et à l’intérieur, observatrice et observée. Ce premier récit, en va-et-vient et en circonvolutions, est un pathétique et admirable appel à la survie, malgré tous les obstacles : « Je me débats, je crie, je m’agite. Qui me réveillera ? ».

    Cœurs cicatrisés, de facture plus narrative, est le récit du séjour d’Emanuel (le double de l’auteur) dans un sanatorium de Berck. La maladie y est certes omniprésente, pensionnaires enserrés dans leur corset de plâtre, couchés nuit et jour, transportés en calèche, souffrant de mille maux – mais pensionnaires vivants. Emanuel, comme les autres, participe à des fêtes clandestines et alcoolisées, noue des amitiés solides, connaît des aventures amoureuses, fait de longues promenades dans les dunes ; il recherche aussi la solitude, découvre les Chants de Maldoror, rêve, voit disparaître certains de ses compagnons, jusqu’à son propre départ vers une autre destination, un autre sanatorium, d’autres espérances. Sous la linéarité du récit, se tissent les aventures intérieures, ainsi qu’une sorte de commentaire voilé, fruit d’une observation de soi et des autres qui n’exclut ni l’humour (noir ou morbide) ni la satire (discrète) ni bien sûr l’introspection.

    Ainsi saisit-on le bien-fondé de cette double publication : sous deux formes différentes, Max Blecher est un écrivain de la relation intime que l’individu entretient avec lui-même et avec ce qui l’entoure, entre imaginaire et réel transfigurés.

    Jean-Pierre Longre

    www.editionsdelogre.fr