Ion Pillat, Le bouclier de Minerve, traduit du roumain par Gabrielle Danoux et Muriel Beauchamp, 2016
Comme dans leur recueil précédent, Monostiches et autres poèmes, les traductrices ont opéré un choix « dicté par le gré du plaisir de lecture », écrivent-elles, mais un choix qui ne manque pas de cohérence. Le titre l’annonce : s’il y a un fil conducteur (et il y en a un), c’est l’antiquité grecque, dont Ion Pillat était un fervent admirateur. Minerve, d’emblée, « déesse armée », tient sous son égide des sonnets qui ont « la perfection des colonnes grecques », et les pages qui suivent voient apparaître d’autres personnages – Léda, Diane, un « pâtre ionien » –, des lieux et des objets, des statues, un « buste oublié » – sans omettre, en un poème pathétique, la guerre et ses méfaits, où
« Les tranchées veillent, parallèles
À l’infini comme au cimetière les orifices ».
Ce n’est cependant pas un livre sur la Grèce. La poésie « tissé(e) de sons et de coloris » chante aussi bien la nature que l’amour et la mort (les trois étant d’ailleurs souvent liés), avec, notamment, de discrètes excursions vers la Roumanie (les Carpates, le Bărăragan…). L’art, aussi, et au premier plan la poésie (un sonnet à Frédéric Mistral, des « stances sur un motif de Ronsard », une citation d’Eminescu, des tonalités baudelairiennes, verlainiennes, rimbaldiennes), de même la peinture (Hokusai). Et cette « féconde créativité des autres artistes » (dixit Muriel Beauchamp dans sa préface) devient celle de Pillat dans ses textes, dans leurs tonalités, dans leurs sonorités, dans leurs rythmes, que la traduction réussit à restituer en privilégiant la prosodie.
Sonnets, odes, stances, chansons, prières, monostiches – au-delà de la variété des genres et des motifs, l’unité du recueil est assurée par la poésie (bien sûr), mais une poésie « dans mon âme incrustée » en quête de perfection, inséparable de la vie dans toutes ses dimensions.
« Ils ont dit de lui qu’il était froid, mais ils ne soupçonnaient pas
À quel point la passion dans ses veines bouillonnaient,
Ils ont dit de lui qu’il n’était pas profond, mais ils ne sentaient pas
Les abîmes qui dorment sous la limpidité. ».
Jean-Pierre Longre