Revue Europe n°1061-1062, septembre-octobre 2017. Tristan Tzara, Kurt Schwitters.
2017 : Dada a cent ans, et la revue Europe célèbre cet anniversaire en publiant un numéro sur la figure fondatrice et marquante du mouvement, Tristan Tzara, augmenté d’un dossier sur Kurt Schwitters, fondateur du mouvement « Merz », et qui selon Tzara « a toujours été naturellement dada ».
Intéressons-nous à ce qui concerne Tzara, dont les articles publiés ici – à commencer par l’introduction d’Henri Béhar – réhabilitent l’œuvre entière, au-delà du dadaïsme, en soulignant les fructueuses contradictions de l’homme et de l’écrivain, et à propos duquel se pose la « question fondamentale » : « Comment devient-on poète ? ». Les différentes contributions promettent un tour d’horizon significatif : le jeunesse roumaine (« trist în ţară », Tristan Tzara triste au pays ?) et ce qui s’en est suivi (Petre Raileanu), un entretien avec Serge Fauchereau par Henri Béhar, qui s’intéresse aussi à L’homme approximatif, « le recueil le plus beau », le « cadeau de divorce avec le surréalisme ». Corinne Pencenat étudie « le paradoxe d’un théâtre qui refuse le théâtre », celui de « l’imprévu » ; Marc Kober se penche sur Où boivent les loups, Émilie Frémond sur Granins et issues (« illisible ? Peut-être ne s’agit-il pas de comprendre ces excursions sous l’épiderme »). Tzara et la langue poétique (Maryse Vassevière), Tzara et les arts (Philippe Dage, Catherine Dufour, Elza Adamowicz), Tzara et la musique (Sébastien Arfouilloux), Tzara et l’éditeur Guy Lévis Mano (Eddie Breuil), Tzara et l’Espagne (Juan Manuel Bonet), Tzara et les États-Unis (Judith Delfiner)… Voilà réflexion faite plus qu’un tout d’horizon : une exploration approfondie assurée par des spécialistes qui mettent en valeur les différentes facettes, souvent inattendues, d’un créateur paradoxal.
Suivent donc des articles sur Kurt Schwitters, figure aussi originale de l’avant-garde artistique et littéraire : contributions de Tristan Tzara en personne, de Patrick Beurard-Valdoye, Isabelle Ewig, Agathe Mareuge, Isabelle Schulz, et un intéressant texte de Schwitters lui-même, ainsi que des photos et des reproductions. Le tout est complété par des poèmes d’auteurs colombiens (2017 est aussi l’année France-Colombie), par la réponse de Dominique Gramont à la question « À quoi rime la poésie ? », par les chroniques et notes de lecture attendues. Ce qu’écrit Henri Béhar à la fin de son introduction peut ici servir de conclusion à portée générale : « Il faut donc lire l’œuvre de Tzara pour ce qu’elle est, et non pour ce qu’elle est supposée illustrer. ».
Jean-Pierre Longre
(Il y a un an, Europe publiait un numéro sur Paul Celan (n° 1049-1050, septembre-octobre 2016), et quelques mois auparavant, un autre sur Ghérasim Luca (n° 1045, mai 2016). La littérature d’origine roumaine est toujours vivante…
Voir:
https://www.europe-revue.net/wp-content/uploads/2016/07/Livret-Paul-celan-R.pdf et http://livresrhoneroumanie.hautetfort.com/archive/2016/05/16/revues-de-printemps-5802625.html
Mircea Cărtărescu, Tout, traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, éditions hochroth Paris, 2017
tentative d’épuisement poétique de la totalité universelle. Et la vie, de la naissance à la mort comprises, de l’espoir au deuil – le deuil émouvant de ce « Victor », double et jumeau apparaissant aussi dans les romans, et qui est « la rose qui manque à tous les bouquets ». Un espoir ? Celui d’une résurrection qui n’efface pas la morbidité :
Max Blecher, Corps transparent, traduit du roumain par Gabrielle Danoux, édition bilingue, 2017
Isabelle Scherer, La fuite des poulets roumains, Librinova, 2017
Richard Edwards, Chroniques de Roumanie, Transboréal, 2017
Richard Edwards, Bucarest, 77, boulevard Dacia, photos de Tomo Minoda, dessins de Matei Branea, éditions Non Lieu, 2016
Matéi Visniec, Le Cabaret Dada, traduit du roumain par Mirella Patureau, éditions Non Lieu, 2017
Cahiers Benjamin Fondane
Mihaela Michailov, Sales gosses, traduit du roumain par Alexandra Lazarescou, Les Solitaires Intempestifs, 2016
Mircea Cărtărescu, La Nostalgie, traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, P.O.L., 2017
Nicoleta Esinencu, Fuck you, Eu.ro.Pa!, Sans sucre, A(II)Rh+, Mères sans chatte, traduits du roumain par Mirella Patureau, éditions L’espace d’un instant, 2016
La crudité du langage, l’abondance lexicale de la révolte se retrouvent dans Sans sucre, dialogue entre « Le frère » et « La sœur » qui échangent sur un rythme de plus en plus rapide, comme en une partie de ping-pong, des considérations sur la vie quotidienne et familiale, l’école, la nourriture, le rationnement (d’où le titre-leitmotiv). L’accélération du mouvement, jusqu’à la déconstruction, figure la transition vers une « liberté », une « intégration européenne » qui ne va pas sans risques ou sans hypocrisie, sans colère et sans violence : « Mettez la merde dans les sacs ! / Enfermez la merde dans les sacs ! / Ensuite jetez-les ! ».
Simona Sora, Hôtel Universal, traduit du roumain par Laure Hinckel, Belfond, 2016
Le persil
Jean Bart, Europolis, traduit du roumain par Gabrielle Danoux, 2016
Là, entre bistrots et quais, entre maisons bourgeoises et taudis, tous, notables comme prolétaires, attendent l’arrivée du frère de Stamati, « l’Américain », qui en tant que tel doit forcément être riche et est accueilli en héros. Las ! Nicula Marulis, sur qui étaient fondés tous les espoirs de richesse et de développement, s’avère être un ancien bagnard de Cayenne qui pour tout bien ramène sa fille Evantia, jeune et magnifique métisse, qui va faire tourner la tête des hommes et crever de jalousie les dames. Vont s’ensuivre diverses aventures accompagnées de rumeurs, de secrets plus ou moins dévoilés, de coups de théâtre, d’idylles et de tragédies amoureuses, dans la tradition du drame populaire – d'où l’humour toutefois n’est pas absent, ne serait-ce que par le burlesque de certaines scènes, par la satire sociale ou par quelques plaisanteries teintées d’une misogynie à prendre au second degré.