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  • « Toujours vers les autres »

    Autobiographie, francophone, Roumanie, Marion Le Roy Dagen, Xavier-Marie Bonnot, Belfond, Jean-Pierre LongreMarion Le Roy Dagen, Xavier-Marie Bonnot, L'enfant et le dictateur, Belfond, 2018

    À partir de 1990, l’une des images récurrentes que les médias occidentaux donnèrent de la Roumanie fut celle de ces « orphelinats » ou « leagan » dans lesquels s’entassaient des enfants laissés sans soins et sans hygiène, voire brutalisés ; des enfants qui n’étaient pas vraiment des orphelins, mais qui étaient nés dans le cadre de la politique nataliste de Ceauşescu, et que leurs parents le plus souvent désemparés avaient laissés là : « Si vous ne pouvez pas vous occuper de vos enfants, l’État s’en chargera. ». Sauf que personne ne s’en est vraiment chargé, si ce n’est, pour quelques-uns d’entre eux, des couples de parents adoptifs, et par la suite des ONG internationales et des associations locales venues au secours de ces victimes du « national-communisme ».

    Marion était de ces enfants. Une mère mal aimée et trop jeune (Ana), un père immature et fuyant, un avortement impossible (la loi l’interdit absolument) : Maria, née en 1976, fait partie des « enfants du décret », ce décret qui stipule que la population roumaine doit augmenter (ce qui sera un « fiasco absolu »…). Bref, Ana, malgré elle, doit abandonner son enfant dans un de ces établissements où, heureusement, un couple de Français, Édith et Robert, viendra la chercher pour l’adopter en 1983 : pour elle, une deuxième naissance ; pour eux, le bonheur d’avoir un enfant. Elle s’appellera désormais Marion Dagen. Évidemment, les difficultés ne manquent pas. Même si « Marion assimile très vite le français », même si ses nouveaux parents l’entourent de leur amour, les traumatismes, les tâtonnements de l’adaptation, puis les problèmes de l’adolescence, les difficultés « à mettre des mots sur [ses] sentiments », la scolarité un peu chaotique sont autant d’embûches sur le chemin de la construction de soi.

    C’est la quête de ses origines qui va contribuer à cette construction. Marion part sur les traces de la petite Maria qu’elle était, va retrouver sa mère et son père « biologiques », Ana et Nicolae, avec l’inquiétude et l’émotion que l’on peut deviner, au-delà des mensonges et des questions qui ont assailli la mère et la fille : « On n’a pas osé trop se regarder, se souvient Marion. On s’est serrées dans les bras. Ana pleurait. Moi aussi. Beaucoup. Tout se relâchait d’un seul coup. Je venais de recevoir un coup de massue. On est restées longtemps enlacées. Je me suis dit que j’allais enfin connaître le départ de ma vie. » ; au-delà aussi de la culpabilité pour Nicolae : « Il était abasourdi, dit Marion. Il venait de recevoir un gros coup sur la tête. Il ne réalisait pas. En plein malaise. Il ne savait pas quoi dire. Grosse surprise. ». Par la suite, mariée, mère de famille, Marion a fondé avec Laura Giraud, adoptée elle aussi, une association pour les enfants abandonnées, l’AFOR, dont l’activité au service des « adoptés » est intense.

    L’histoire de Marion est, certes, une histoire parmi d’autres. Mais chaque destin est particulier, exceptionnel même, et le sien l’est. Xavier-Marie Bonnot et elle ont réussi à rendre cruciale la vérité de ce destin, tout en le déroulant comme un roman, sur fond de précieuses indications historico-sociales. Ce livre est à la fois un récit poignant, un témoignage objectif et une analyse précise. Et c’est l'histoire d’une adoption à double sens : celle de Marion par Édith et Robert, celle d’Ana et Nicolae par Marion, dont la trajectoire mène « toujours vers les autres », ceux du passé, du présent et de l’avenir.

    Jean-Pierre Longre

     www.belfond.fr  

    Les orphelinats de Roumanie sont au centre de certains romans récents. Voir par exemple :

    Liliana Lazar, Enfants du diable : http://jplongre.hautetfort.com/archive/2016/03/23/le-secret-d-elena-5777501.html#more

    Savatie Baştovoi, Les Enseignements d'une ex-prostituée à son fils handicapé : http://livresrhoneroumanie.hautetfort.com/archive/2018/03/05/la-terrible-douleur-du-manque-6031752.html

  • Apprendre à vivre et à mourir

    Roman, Roumanie, Simona Sora, Laure Hinckel, Belfond, Jean-Pierre LongreSimona Sora, Hôtel Universal, traduit du roumain par Laure Hinckel, Belfond, 2016

    Hôtel Universal est un de ces romans dans lesquels on ne pénètre que disposé à se faire investir soi-même par un monde, des personnages, des événements, des confidences, des rêves qui ne laissent pas en repos, jusqu’à la dernière page. Un monde qui nous échappe, qui nous déconcerte un peu, qui nous fascine aussi – un monde concret, tangible, d’un réalisme fantasmé comme la littérature roumaine sait, parfois, en jouer (oui, ce premier roman est à classer parmi les grandes œuvres contemporaines, aux côtés de celles de Mircea Cărtărescu ou de Gabriela Adameşteanu).

    Voudrait-on le résumer qu’on ne s’en sortirait pas. Pour schématiser : le pivot de la narration, situé au milieu du vieux Bucarest, est comme l’indique le titre l’Hôtel Universal, successivement auberge, maison de rendez-vous et, à partir de 1990, résidence pour étudiants, foyer « délabré, humide, infesté de rats », où logent et passent toutes sortes de personnages que la « révolution » a libérés des entraves de la dictature. À partir de cet axe s’étendent diverses ramifications spatiales et temporelles au centre desquelles se trouve Maia (déformation de son prénom de naissance Maria, et qu’on nommera aussi Maya), qui « s’est retrouvée avec une chambre d’étudiant dans l’hôtel dépourvu d’étoile où avait vécu son arrière-arrière-grand-mère, et il s’agissait bien entendu de Rada, la fille-trésor de Varna qui consola Vasile Capşa au retour piteux de son taxide à Sébastopol, le premier et le plus raté. ». Voilà enclenchée l’histoire de la famille Capşa, qui a créé la célèbre et légendaire confiserie de Bucarest, une histoire qui fait remonter l’intrigue au XIXe siècle. Et il y a, parmi d’autres, l’histoire du Mohican qui après avoir « exécuté la plus ample pirouette de sa vie » se retrouve dans un fauteuil roulant, celle de Pavel Dreptu, drôle de professeur alcoolique réfugié à l’Universal avant sa fin tragique et mystérieuse – et finalement, à travers un grouillement de personnages et d’événements kaléidoscopiques, une certaine histoire de la Roumanie, familiale, sociale, culturelle, politique, et une histoire de la destinée humaine, rythmée par la « formule de protection » récurrente : « Un homme qui t’aime t’apprend à mourir. ».

    Même si le parfum de la confiture de roses s’y répand, Hôtel Universal n’est pas un roman à l’eau de rose. Chapeautés par des titres empruntés (bizarrement ? Pas tant que cela, à la réflexion) aux Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, tous les chapitres portent d’une certaine manière à la méditation, à la contemplation, faisant appel à différents genres et registres que le roman accepte (récit, description, lettre, poésie), usant des possibilités qu’offre la diversité des points de vue, dans un langage à la fois compact et touffu, ample et libre – et, lorsque s’en présente la nécessité, d’une impitoyable sécheresse ; qu’on en juge par ce résumé lapidaire : « La fermeture de l’Universal est clairement un abus. Pas un crime commandité comme celui de la fin 1989, pas une grossière manipulation comme le troc des six premiers mois de 1990, pas une raclée organisée comme en ces jours des 13, 14 et 15 juin 1990 quand, coincés entre des mégères et des mineurs de charbon, les étudiants de la place de l’Université avaient été anéantis physiquement, moralement et dans leurs droits. ». Le foisonnement romanesque n’empêche pas le sens du raccourci. « Lors de la troisième séance, Maya a introduit à la fois l’Hôtel Universal de la rue Gabroveni et Vasile Capşa comme personnage central de sa propre épopée familiale. ». Toute l’histoire est contenue dans cette phrase, mais les 300 pages qui la développent en la précédant en sont l’extension romanesque nécessaire. On ne saurait trop recommander de les lire pour en avoir le fin mot.

    Jean-Pierre Longre

    www.belfond.fr