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Apprendre à vivre et à mourir

Roman, Roumanie, Simona Sora, Laure Hinckel, Belfond, Jean-Pierre LongreSimona Sora, Hôtel Universal, traduit du roumain par Laure Hinckel, Belfond, 2016

Hôtel Universal est un de ces romans dans lesquels on ne pénètre que disposé à se faire investir soi-même par un monde, des personnages, des événements, des confidences, des rêves qui ne laissent pas en repos, jusqu’à la dernière page. Un monde qui nous échappe, qui nous déconcerte un peu, qui nous fascine aussi – un monde concret, tangible, d’un réalisme fantasmé comme la littérature roumaine sait, parfois, en jouer (oui, ce premier roman est à classer parmi les grandes œuvres contemporaines, aux côtés de celles de Mircea Cărtărescu ou de Gabriela Adameşteanu).

Voudrait-on le résumer qu’on ne s’en sortirait pas. Pour schématiser : le pivot de la narration, situé au milieu du vieux Bucarest, est comme l’indique le titre l’Hôtel Universal, successivement auberge, maison de rendez-vous et, à partir de 1990, résidence pour étudiants, foyer « délabré, humide, infesté de rats », où logent et passent toutes sortes de personnages que la « révolution » a libérés des entraves de la dictature. À partir de cet axe s’étendent diverses ramifications spatiales et temporelles au centre desquelles se trouve Maia (déformation de son prénom de naissance Maria, et qu’on nommera aussi Maya), qui « s’est retrouvée avec une chambre d’étudiant dans l’hôtel dépourvu d’étoile où avait vécu son arrière-arrière-grand-mère, et il s’agissait bien entendu de Rada, la fille-trésor de Varna qui consola Vasile Capşa au retour piteux de son taxide à Sébastopol, le premier et le plus raté. ». Voilà enclenchée l’histoire de la famille Capşa, qui a créé la célèbre et légendaire confiserie de Bucarest, une histoire qui fait remonter l’intrigue au XIXe siècle. Et il y a, parmi d’autres, l’histoire du Mohican qui après avoir « exécuté la plus ample pirouette de sa vie » se retrouve dans un fauteuil roulant, celle de Pavel Dreptu, drôle de professeur alcoolique réfugié à l’Universal avant sa fin tragique et mystérieuse – et finalement, à travers un grouillement de personnages et d’événements kaléidoscopiques, une certaine histoire de la Roumanie, familiale, sociale, culturelle, politique, et une histoire de la destinée humaine, rythmée par la « formule de protection » récurrente : « Un homme qui t’aime t’apprend à mourir. ».

Même si le parfum de la confiture de roses s’y répand, Hôtel Universal n’est pas un roman à l’eau de rose. Chapeautés par des titres empruntés (bizarrement ? Pas tant que cela, à la réflexion) aux Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, tous les chapitres portent d’une certaine manière à la méditation, à la contemplation, faisant appel à différents genres et registres que le roman accepte (récit, description, lettre, poésie), usant des possibilités qu’offre la diversité des points de vue, dans un langage à la fois compact et touffu, ample et libre – et, lorsque s’en présente la nécessité, d’une impitoyable sécheresse ; qu’on en juge par ce résumé lapidaire : « La fermeture de l’Universal est clairement un abus. Pas un crime commandité comme celui de la fin 1989, pas une grossière manipulation comme le troc des six premiers mois de 1990, pas une raclée organisée comme en ces jours des 13, 14 et 15 juin 1990 quand, coincés entre des mégères et des mineurs de charbon, les étudiants de la place de l’Université avaient été anéantis physiquement, moralement et dans leurs droits. ». Le foisonnement romanesque n’empêche pas le sens du raccourci. « Lors de la troisième séance, Maya a introduit à la fois l’Hôtel Universal de la rue Gabroveni et Vasile Capşa comme personnage central de sa propre épopée familiale. ». Toute l’histoire est contenue dans cette phrase, mais les 300 pages qui la développent en la précédant en sont l’extension romanesque nécessaire. On ne saurait trop recommander de les lire pour en avoir le fin mot.

Jean-Pierre Longre

www.belfond.fr

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