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« Continuer comme si de rien n’était »

Essai, francophone, Cioran, Bernard Camboulives, éditions Nicole Vaillant, Jean-Pierre LongreBernard Camboulives, Un automne avec Cioran ou La sagesse de l’anxiété, Éditions Nicole Vaillant, 2016  

Bernard Camboulives, qui porte un intérêt particulier à la Roumanie et à sa littérature (voir notamment Sur les pas des écrivains roumains), a rencontré Cioran. Rencontre littéraire, certes, mais encore intellectuelle et affective, par le truchement d’un point commun : « En gros, la dépression et son intelligence, sa compréhension » (d’où le sous-titre du livre). Et si l’œuvre de Cioran est prise dans sa globalité, ce sont surtout ses Cahiers qui forment le support de leur cheminement commun, parce qu’ils sont « en prise directe sur l’homme Cioran », et ainsi, peut-on dire, sur « l’homme Camboulives », qui n’hésite pas, en s’appuyant sur d’abondantes citations, à se dévoiler, avec ses propres angoisses, ses propres faiblesses, ses propres « épisodes dépressifs ».

Livre personnel, donc, qui pourtant n’est pas une autobiographie formelle, mais plutôt une histoire d’amitié profonde entre l’auteur et Cioran, « une sorte d’ami par livre interposé, si j’ose dire, même s’il a pu mentir ou voulu faire croire par omission. ». Car Bernard Camboulives n’est pas dupe de l’ambiguïté des écrits de Cioran, de son humour (noir), qui met à distance le désespoir, le « cafard cosmique » et tout ce qui va avec – les questions sur soi, la maladie chronique de l’âme. Cioran comme thérapie ? En tout cas, il est « un antidote aux mensonges, à l’hypocrisie et aux manipulations en tous genres. ».

Livre de réflexion sur soi, livre de réflexion littéraire aussi. D’emblée (ce qui est approprié avec Cioran), est mise en avant la langue française, qui a « apaisé » et, en quelque sorte, transformé l’écrivain roumain, qui a ainsi « engagé une nouvelle manière d’être et d’analyser son rapport au monde. ». Et l’on croise bien d’autres auteurs, mis eux aussi à contribution : Herman Melville, Enrique Vila-Matas, Céline, Fernando Pessoa et quelques autres « écrivains du refus ». Cités aussi, notamment dans les « fragments d’un journal d’automne » qui complètent cet Automne avec Cioran, Ghérasim Luca, Molière (Le Misanthrope, bien sûr)… Signalons encore deux analyses en annexe : celle des livres de Sanda Stolojan Au balcon de l’exil roumain et La Roumanie revisitée, et celle de Cioran, Eliade, Ionesco : l’oubli du fascisme d’Alexandra Laignel-Lavastine.

« L’écriture est rivée en moi comme le poumon est fixé dans ma carcasse. ». Bel aveu, qui éclaire bien des choses. Cet itinéraire parallèle Cioran-Camboulives fait sentir, avant tout, les bienfaits de l’écriture, celle qui, finalement, permet de surmonter l’angoisse et la dépression, et de « continuer comme si de rien n’était ».

Jean-Pierre Longre

www.editionsvaillant.net  

http://jplongre.hautetfort.com/tag/cioran

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