Mon cadavre aux chiens, anthologie poétique bilingue, traduction du roumain par Nicolas Cavaillès ; éditions hochroth-Paris, 2018
Herta Müller, Ion ou non, publication bilingue, traduction du roumain par Nicolas Cavaillès ; éditions hochroth-Paris, 2018
Deux livres petit format (comme de coutume chez hochroth-Paris) viennent de paraître sous la couverture noire de cette précieuse maison d’édition. Tous deux sont consacrés à de la poésie roumaine.
Mon cadavre aux chiens est un titre directement inspiré du premier poème présenté dans cette anthologie, la fameuse « Prière d’un Dace » (« Rugăciunea unui dac ») de Mihai Eminescu, dont une strophe émet ces vœux terribles :
« Et si je meurs alors, hors-la-loi, étranger,
Puisse mon piètre cadavre être jeté à la rue –
Et qu’il reçoive de toi, Seigneur, une couronne précieuse,
Celui qui excitera les chiens à me lacérer le cœur,
Et à cet autre qui me lapidera le visage,
Puisses-tu accorder, Maître, de vivre au-delà des âges !
Poème « de malédiction et d’hostilité à soi », écrit Nicolas Cavaillès. Et les textes qui suivent, sur lesquels planent les ombres du même Eminescu, mais aussi de Nerval (son « soleil noir de la mélancolie ») et de quelques autres, tiennent tous de la prière autodestructrice, de l’adresse à un dieu absent, de l’aspiration à un infini désolant, à un vide mortifère, à la délivrance du néant :
« Seigneur. Mon Père. Je veux
ne plus jamais avoir de corps. Plus jamais
le moindre souffle de vie
Plus de corps humain. Plus de destin de femme. Rien
Seulement rien.
Du rien sans mémoire. Sans douleur
Seigneur. Du rien dans le rien de la chute »,
écrit Marta Petreu. En une composition qui mêle habilement chronologie et thématique, tous les poèmes reproduits ici tournent autour de ce désir d’« éternelle extinction ». Belle occasion de lire ou relire des vers de grands auteurs. Outre Mihai Eminescu et Marta Petreu : Ion Pillat, Lucian Blaga, Leonid Dimov, A.E. Baconschi, Nichita Stănescu, Virgil Mazilescu, Cezar Ivănescu, Dan Sociu.
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Parmi les grands, figure en bonne place le Prix Nobel de Littérature 2009, Herta Müller. Née en Roumanie, réfugiée en Allemagne en 1987, elle a écrit ses œuvres dans la langue de son pays d’adoption, à l’exception d’un recueil poétique, Este sau nu este Ion. Recueil de collages, dont huit sont ici reproduits et traduits sous le titre Ion ou non. Ce travail minutieux « de découpage et d’assemblage de mots », qui produit des pages colorées, d’une esthétique mêlant la surprise verbale et l’agrément de l’œil, aboutit à des textes dont la logique et la malice descriptives et narratives s’imposent à l’esprit :
« l’été était long
m’sieur Petre
bouche bée
marchait dans la rue,
elle était vide.
il fermait les yeux
à l’intérieur
il voyait sa tempe
de l’extérieur,
il balayait son ombre
jusqu’à la gare.
Un bel objet littéraire et plastique, à conserver soigneusement.
Jean-Pierre Longre