Benjamin Fondane, Devant l’Histoire, textes réunis et présentés par Monique Jutrin, éditions de l’éclat, 2018
Ce qui caractérise Benjamin Fondane et le distingue de beaucoup de ses contemporains, c’est, comme le dit Monique Jutrin, « sa liberté d’esprit et sa lucidité ». « La véritable révolte ne peut être qu’individuelle », écrivait-il dans Rimbaud le voyou. Sur le plan politique, ni nationalisme ni internationalisme, ni capitalisme ni marxisme, et un antifascisme radical ; sur le plan artistique, liberté de création ; sur le plan philosophique, une pensée nourrie de clairvoyance et de métaphysique, et de ce qu’il nomme lui-même « irrésignation » devant l’Histoire et le malheur.
Cette indépendance, cette clairvoyance sont au cœur des textes qui composent Devant l’Histoire – textes réunis et présentés par Monique Jutrin, traduits du roumain (lorsqu’ils ne sont pas directement écrits en français) par Marlena Braester, Hélène Lenz, Carmen Oszi, Odile Serre et Aurélien Demars, établis et commentés avec beaucoup de précision dans des notes concernant, pour chacun d’entre eux, son origine et son contenu, le tout complété par une bibliographie et une chronologie utiles.
Inaugurés par l’article « L’Homme devant l’Histoire ou le bruit et la fureur » (1939), qui contient l’essentiel d’une pensée parfois provocatrice à force de rigueur sur la montée de la barbarie nazie, les textes sont répartis en deux grandes sections, « Autour de la grande guerre » (1913-1922) et « L’entre-deux-guerres » (1927-1937), suivis d’un écrit posthume, « Eaux-mères » (1950). Dans un « post-scriptum », Monique Jutrin souligne « l’absence de textes pour les années 1940-1944 », c’est-à-dire pendant l’occupation et jusqu’à l’assassinat de l’auteur à Auschwitz ; période durant laquelle, pourtant, il « travailla d’arrache-pied, laissant inachevés une grande partie de ses écrits, tant philosophiques que poétiques. » : ce furent des poèmes, des articles, des lettres (à Camus par exemple), son Baudelaire et l’expérience du gouffre…
Les 200 pages de Devant l’Histoire donnent l’occasion de mieux connaître Fondane, de confirmer ou d’infirmer certains points de vue sur sa pensée, mais aussi de constater que même lorsqu’il s’agit de philosophie et de théorie, l’élégance du style, le choix des mots, la profondeur poétique sont toujours là, quelles que soient les circonstances. Et ce n’est pas un hasard si nous rencontrons, au fil des pages, un certain nombre de ses contemporains – écrivains, intellectuels, artistes qu’il approuve ou qu’il contredit – parmi lesquels Gide, Malraux, Denis de Rougemont, Chestov bien sûr, Jacques Maritain, Albert Camus… ; pas un hasard non plus si nous le voyons évoquer le surréalisme, Dada, la Palestine, ou si nous l’entendons lancer un appel aux étudiants roumains de Paris pour contrer « l’offensive fasciste » que connaissent leur pays et l’Europe. Benjamin Fondane est par-dessus tout un artiste dans le siècle, épris d’indépendance.
Jean-Pierre Longre
Parution à signaler :
Benjamin Fondane et Remy de Gourmont. Questions d’esthétique. Dossier n° 2 de la Nouvelle imprimerie gourmontienne. Coordonné par Agnès Lhermitte et Vincent Cogibu.
« Fruit de la collaboration des deux associations (Société d'études Benjamin Fondane : SEBF, et Cercle des Amateurs de Remy de Gourmont : CARGO), ce volume est le numéro 2 de la collection "Dossiers" de la Nouvelle Imprimerie gourmontienne. Il comprend les écrits consacrés par Fondane à Remy de Gourmont et au mouvement symboliste, au nombre desquels plusieurs textes inédits, ainsi que quelques études sur l'influence exercée par Gourmont sur le jeune Fondane, surtout dans sa période roumaine ».