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Un lyrisme de rupture

Poésie, Roumanie, Benjamin Fondane, Odile Serre, Mircea Martin, Monique Jutrin, Le temps qu’il fait, Jean-Pierre LongreBenjamin Fondane, Paysages, poèmes 1917-1923 traduits du roumain par Odile Serre. Préface de Mircea Martin, avant-propos de Monique Jutrin. Le temps qu’il fait, 2019.

Entre 1917 et 1923, c’est-à-dire avant son installation à Paris, Benjamin Fondane écrivit un certain nombre de poèmes dans sa langue maternelle, regroupés en 1930 sous le titre de Privileşti, terme complexe (comme le fait remarquer Monique Jutrin : « regard, vue, champ de vision ») traduit par Paysages. Ce titre et la thématique de beaucoup de poèmes pourraient faire croire à des évocations de la campagne roumaine, à un lyrisme bucolique dans la tradition du post-romantisme ou du symbolisme. Mais comme le font remarquer à juste titre Mircea Martin et Monique Jutrin, ce recueil est en « rupture » par rapport à ceux dont il semble se faire l’écho (Alecsandri, Eminescu, Blaga…) ; et si l’on y rencontre beaucoup de bovidés rappelant ceux du peintre Grigorescu, ils sont souvent liés à la morbidité de la nature.

Dans ses « Mots sauvages » (titre de sa préface, on ne peut plus significatif), Fondane lui-même écrit : « Poésie ! Combien d’espoirs j’ai mis en toi ! Quelle certitude, quel messianisme ! J’ai cru en effet que tu pouvais apporter une réponse là où la métaphysique et la morale avaient depuis longtemps tiré les volets. […] J’ai brusquement compris que mon paradis terrestre avec bœufs, abondance, bouse, était mensonge, et mensonge le poème où il se trouvait. Mensonge, Hugo, Goethe ! Mensonge séraphique Eminescu ! Avec Baudelaire et Rimbaud seuls pointait une lueur de vérité. ». C’est un fait : ses poèmes se situent du côté de la « force obscure ». Si les champs, les animaux, la vigne, l’automne, l’amour y sont des leitmotive, ils se présentent sur le mode de l’insolite, de l’expressionnisme, de la séparation, voire du désespoir. Les accents baudelairiens, rimbaldiens, apollinariens résonnent comme « le spleen » (titre de l’un des textes). Les nuages planent « au-dessus du fumier », le taureau et la vache « lancent à la lune des mugissements lents et stupides »… Si lyrisme il y a, il se heurte de plein fouet à la dérision.

Et si l’amour est invoqué, il se heurte à la mort :

                   « – Aimes-tu, mon amour, les paysans aux semailles

                   et les chevaux morts, morts en ce jour d’été ? »

Vrai poète, Benjamin Fondane l’est à coup sûr, dès le début. Vrai poète, parce qu’il rompt avec la tradition sans la renier complètement, parce qu’aussi il prévoit, il annonce la mise en route d’une œuvre d’avant-garde nécessitant cette rupture, et prédit en quelque sorte la suite :

                   « Mais un soir viendra où je partirai d’ici,

                   sans savoir très bien où je vais ni même

                   si m’attend la mort putride ou la semence d’une autre vie.

                   Le silence comme un tertre m’ensevelira. »

Jean-Pierre Longre

www.letempsquilfait.com

www.benjaminfondane.com

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