Mircea Cărtărescu, Tout, traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, éditions hochroth Paris, 2017
Le titre est démesurément ambitieux, mais les sept poèmes foisonnants qui composent le recueil sont à la hauteur de cette ambition et de cette démesure. Comme un condensé librement versifié des romans à venir de Mircea Cărtărescu (Totul a été publié en Roumanie en 1984), les textes explorent et fouillent, en accumulations verbales infinies et en visions inouïes, les corps, les matériaux, les paysages naturels, les villes… « Tout est là, disséminé sur une chaude couche de bouse ».
En longues phrases aux parenthèses multiples, déclinant un lexique richissime, érudit, allusif (saluons au passage le travail du traducteur), on assiste aux pérégrinations du bonheur et du malheur survolant « la carte du monde », terre, mer ciel et êtres vivants mêlés. Une véritable tentative d’épuisement poétique de la totalité universelle. Et la vie, de la naissance à la mort comprises, de l’espoir au deuil – le deuil émouvant de ce « Victor », double et jumeau apparaissant aussi dans les romans, et qui est « la rose qui manque à tous les bouquets ». Un espoir ? Celui d’une résurrection qui n’efface pas la morbidité :
« derrière nous cependant le monde sale et gras
tourne en scintillant, mais comme le jaune de l’œuf cru
en son centre, haïssant le mouvement, émettant ses rayons
la boîte en bois vibre et ses clous rouillés craquent
et sautent dans leurs planches moisies,
et tu te réveilles. »
Poésie fantastique, pourrait-on dire. Mais un fantastique surgissant du réel, d’un réel qui explose de son trop-plein.
Jean-Pierre Longre