Matei Calinescu, La Vie et les opinions de Zacharias Lichter, traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, préface de Thomas Pavel traduite de l’anglais par Scari Kaiser, Circé, 2020
Universitaire, critique et essayiste de renom, Matei Calinescu (1934-2009) a publié un seul roman en 1969, La Vie et les opinions de Zacharias Lichter. Un roman ? Certes, l’auteur manie à merveille l’art du récit, relatant avec maints détails alertes tel épisode de la jeunesse de son héros en voyage à la mer, ou telle relation de voisinage avec une vieille femme mourante ; à merveille aussi, l’art du portrait pittoresque : ceux par exemple du « seul ami essentiel de Zacharias Lichter », Leopold Nacht (les deux font la paire, lumière et nuit), du mathématicien W. « l’œil pétillant, gorgé d’une effervescence destinée, semble-t-il, à accroître la mobilité en tout cas extraordinaire de toute sa physionomie », et bien sûr celui de Zacharias lui-même, qui inaugure le roman, et qui plante un personnage à « l’aspect misérable de mendiant en haillons », au « comportement insolite », « mélange énigmatique d’angélique et de monstrueux », parlant « comme un torrent »…
Mais voilà un roman qui, plus qu’il ne narre des anecdotes, manie en brefs chapitres les concepts de toutes sortes : la bêtise, l’imagination, la pauvreté, la richesse, l’enfance, la vieillesse, la maladie, la mort, l’innocence, la culpabilité, l’amour, l’amitié, le masque, le mensonge, le courage, la timidité etc. Rien de banal dans ce catalogue d’idées, bien au contraire. Pour Zacharias Lichter, qui tient de Job et de Diogène et qui revendique « sa condition de clown ironique », « tous les hommes sont des clowns […] mais peu d’entre eux ont la révélation métaphysique de cette condition. Parmi les clowns lucides, il en est peu qui aient la vocation spirituelle de la folie ». Notre héros manie avec une remarquable dextérité l’art du paradoxe (car « l’acte de connaissance authentique s’achève toujours dans le paradoxe et dans le mystère », et « l’homme pressé […] fait du sur place »), et même de l’oxymore : l’un des poèmes qui ponctuent le texte (un poème d’ailleurs ramassé dans une poubelle par le biographe de Zacharias) est fondé sur cette figure : « Si distante la proximité / si claire l’obscurité / si simples les méandres / divine grandeur du petit / divine petitesse du grand… ».
Notre « fou sacré », notre monstre angélique d’ironie, qui dénonce à l’envi le « vampirisme de la lucidité », le narcissisme des mathématiques, « la dialectique de la suavisation », le mensonge du langage ou l’erreur du suicide, et qui souligne le rôle primordial de l’interrogation sans réponse, est aussi bien moraliste que poète. Le recours à l’absurde (comparable à celui d’Urmuz, de Ionesco ou de Beckett) se double d’un talent poétique à la Lautréamont. Mais ce ne sont que des comparaisons, et la parodie n’est pas loin. La pureté de la révolte, la flamme de la folie passant par « l’abîme de la perplexité », voilà ce que nous enseigne avec originalité Zacharias Lichter, via l’écriture romanesque de Matei Calinescu.
Jean-Pierre Longre
Tatiana Ţibuleac, Le jardin de verre, traduit du roumain par Philippe Loubière, Éditions des Syrtes, 2020
Ioan Popa : Terre du salut, Non Lieu, 2019
Rodica Draghincescu
Grégory Rateau, Hors-piste en Roumanie, « Récit du promeneur », L’Harmattan, 2016. Traduction roumaine : 
Camil Petrescu, Dernière nuit d’amour, première nuit de guerre, traduit du roumain par Laure Hinckel, Éditions des Syrtes, Syrtes Poche, 2019
Irina Teodorescu, Ni poète ni animal, Flammarion, 2019
Mircea Cărtărescu, Solénoïde, traduit par Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, 2019
Irina Teodorescu, Ni poète ni animal, Flammarion, 2019
Paul Vinicius, la chevelure blanche de l’avalanche, traduit par Radu Bata, Jacques André éditeur, 2019
Mariana Gorczyca, Cadence pour une marche érotique. Roman traduit du roumain par Ina Delaunay, éditions Non Lieu, 2019
Luminitza C. Tigirlas, Fileuse de l'invisible — Marina Tsvetaeva,
Cahiers Benjamin Fondane n° 22. « Pourquoi l'art - Chimériques esthétiques ».
Michel Ionascu, Turbulences Balkaniques, L’Harmattan, collection « Lettres Balkaniques », 2018
E. O. Chirovici, Jeux de miroirs, traduit de l’anglais par Isabelle Maillet, Les Escales, 2017, Pocket, 2018
On sait par la « note de l’auteur finale » que celui-ci a publié plusieurs livres en roumain dans son pays d’origine, et que Jeux de miroirs est son premier roman écrit en anglais. L’adaptation à un nouveau contexte et à une nouvelle langue est réussie (pour autant qu’on puisse en juger sur une traduction). L’atmosphère des universités américaines dans les années 1980, par exemple, est rendue avec beaucoup de réalisme. Surtout, si ce roman est un bon thriller (avec sa dose de mystères et de péripéties), il n’est pas que cela : la psychologie des personnages, le jeu des vérités relatives, le travail de construction labyrinthique y sont primordiaux. Fions-nous aux intentions avouées par E. O. Chirovici lui-même : « Je dirais que mon livre s’attache moins au qui qu’au pourquoi. J’ai toujours pensé qu’au bout de trois cents pages les lecteurs méritaient d’en savoir plus que le seul nom de l’assassin, même obtenu après quantité de rebondissements inattendus. ».
Marin Mincu, Journal de Dracula, traduction du roumain, avant-propos et notes de Dominique Ilea, Xenia, 2018
Lionel Duroy, Eugenia, Julliard, 2018
Tatiana Ţibuleac, L’été où maman a eu les yeux verts, traduit du roumain par Philippe Loubière, Éditions des Syrtes, 2018
Journal Le Persil n° 147, décembre 2017, n° 148-149-150, hiver 2017-2018
Savatie Baştovoi, Les Enseignements d'une ex-prostituée à son fils handicapé, traduit du roumain par Laure Hinckel, Jacqueline Chambon, 2018
Irina Teodorescu, Celui qui comptait être heureux longtemps, Gaïa, 2018