Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

poésie - Page 2

  • « Né poète ? »

    Poésie, Roumanie, Anca-Maria Christodorescu, Editura universitaţii din bucureşti, Jean-Pierre LongreAnca-Maria Christodorescu (sélection et traduction), Un Şirag de piatră rară / Défense et illustration de la langue… roumaine, 111 poeme româneşti traduse în franceza, édition bilingue, Editura universitaţii din bucureşti, 2020

    En conclusion de son ouvrage, Anca-Maria Christodorescu, reprenant une formule de Vasile Alecsandri, pose cette question : « Le Roumain serait-il né poète ? » ; toutes les pages qui précèdent portent en filigrane une réponse affirmative, tant elles reflètent l’abondance et la variété d’une production poétique qui, malgré un laps de temps fort bref (seulement deux siècles), émane de « voix d’une diversité et d’une richesse impressionnantes ». Comme toute anthologie, celle-ci ne peut échapper à une certaine subjectivité, et c’est tant mieux. Mais le choix des textes traduit parfaitement cette « diversité » et cette « richesse », tout en montrant l’évolution de la langue, des formes et des styles – et l’édition bilingue est propre à donner leur pleine mesure aux poèmes roumains tout en les rendant accessibles aux lecteurs francophones, d’autant que la traduction, très précise, est le plus fidèle possible à la prosodie et à la tonalité originales.

    On ne s’étonnera pas de rencontrer au fil des pages les grandes figures des XIXème et XXème siècles, auxquelles est laissée une place justifiée : Eminescu bien sûr, avec plusieurs de ses poèmes, et aussi des vers qui lui rendent hommage, tels que ceux de Marin Sorescu ou d’Alexandru Vlahuţă, qui s’adressant à son illustre prédécesseur, évoque des mondes « jaillis comme d’éternelles étoiles / De la triste vie qui fut la tienne ». ; et Vasile Alecsandri, Alexandru Macedonski, Tudor Arghezi, George Bacovia, Ion Barbu, Lucian Blaga, Nichita Stănescu, Marin Sorescu, Ana Blandiana… On lit aussi avec une agréable surprise des poèmes d’auteurs connus pour avoir pratiqué d’autres genres littéraires : Virgil Gheorghiu, Eugène Ionesco… Et maints autres écrivains et écrivaines, auteurs de textes parfois fort originaux, d’une notoriété moins internationale mais qui méritent leur place dans ce volume et, plus largement, dans l’espace poétique européen. On se souvient qu’une autre anthologie a été publiée en français au début de cette même année 2020, consacrée plutôt à la poésie contemporaine ou récente, même si l’on y rencontre quelques « classiques » : Le Blues roumain de Radu Bata et Défense et illustration de la langue… roumaine d’Anca-Maria Christodorescu, chacun avec ses spécificités, son esprit, ses choix, se complètent bien l’un l’autre.

    Revenons à ce dernier livre. On y trouve les thèmes et les atmosphères éternels de la poésie, scènes populaires, traditions rurales, nature végétale et animale, amour, souffrance, mort, élégies intimistes ou scènes épiques, évocations pathétiques et, parfois, humour satirique (voyez la « Fable avec singe » de Geo Dumitrescu)… Mais l’art est sujet aux changements, et l’évolution de l’écriture est nettement visible d’un bout à l’autre du livre. Lorsque par exemple Nichita Stănescu (1933-1983) évoque le printemps, c’est dans une tout autre tonalité que celle que l’on perçoit lors d’un « Bal dans le verger » chanté par Dimitrie Anghel (1872-1914). Lorsque Florentina Vişan (née en 1947) et Eminescu lui-même évoquent la mort, tous deux l’associent à la nature minérale et végétale, mais sur un ton et dans un style très différents. Et ainsi de suite. Au-delà des transformations, la constante de cette anthologie, comme l’annonce son titre français, est l’exaltation de la langue roumaine, cette langue qui « rajeunit sans fin » (Victor Eftimiu), et qui, sous la plume d’Alexei Mateevici, a fourni le titre roumain : « Notre langue c’est du nectar, / Au fond des tréfonds niché, / Chapelet de perles rares / Déversées sur nos contrées. »

    Jean-Pierre Longre

    https://editura-unibuc.ro 

    En complément :

    Du même auteur: Dictionnaire roumain-français:

    https://carturesti.ro/carte/dictionar-roman-francez-59274?p=1 

    Une autre anthologie de poésie roumaine: Le Blues roumain, « anthologie imprévue de poésies roumaines », Traduction et sélection de Radu Bata, préface de Jean-Pierre Longre, illustrations de Iulia Şchiopu et Horaţiu Weiker, Éditions Unicité, 2020.

    http://jplongre.hautetfort.com/archive/2020/03/19/un-labyrinthe-enchante-6221492.html

     

  • Entre Seine et Danube

    Poésie, francophone, Roumanie, Radu Bata, Libris Editorial, Jean-Pierre LongreRadu Bata, French Kiss, « L’amour est une guerre douce », édition bilingue français-roumain, Libris Editorial, Braşov, 2020

    Que peut le lecteur, sinon continuer à lire, à relire, à contempler ? Et inciter ses semblables à lire, relire, contempler, écrivais-je à propos de Survivre malgré le bonheur, publié par Jacques André en 2018 (voir ici). Radu Bata, dont les poésettes font maintenant partie du paysage poétique français, roumain, européen (laissons donc là guillemets et autres italiques), apporte sa contribution décisive à l’exaucement de ces vœux, en offrant un nouveau recueil à l’appétit du lecteur en question. Si certains des textes du précédent recueil y sont repris, tantôt tels quels, tantôt modifiés, la majeure partie du livre comporte des nouveautés, grâce auxquelles le baiser d’amour se prolonge d’un bout à l’autre de l’Europe. Il s’agit donc de la France et de la Roumanie (l’anglais du titre est-il une manière de délicatesse ? Ne pas choisir, ne pas faire de préférences ?). En tout cas :

    « défiant la logique

    les vents et la géographie

    la seine et le danube

    ont fait l’amour

    sur la table de brâncusi

    dans le lit de cioran

    sur les chaises de ionesco

     

    et la seine a accouché

    des colonnes sans fin

    pour décorer

    le magasin

    de l’au-delà ».

    Autre nouveauté, non des moindres : le recueil est bilingue. D’un côté le roumain, de l’autre le français. Une poésie mise à la portée de tous : c’est bien ce qu’à juste titre veut l’auteur, qui se voit, que nous voyons volontiers

                                          « comme un fantôme qui rêve

                                          de sauver le monde

                                          avec une accolade

                                          entre deux méridiens ».

    Lecteurs de Roumanie, de France et d’ailleurs, enfants de tous pays, lisez les poésettes de Radu Bata, vous saisirez « la logique de l’amour ».

    Jean-Pierre Longre

    www.facebook.com/libriseditorial.ro

  • Quelques parutions récentes

    roman, essai, poésie, Roumanie, Ioan Popa, Marius Popa, Rodica Draghincescu, Grégory Rateau, éditions Non Lieu, Honoré Champion, éditions Caractères, L’Harmattan, PoliromIoan Popa : Terre du salut, Non Lieu, 2019

    « La Terre du salut, c’est sans doute ce coin de campagne roumaine, à une centaine de km de Bucarest, la commune rurale de Dârmănești où les terres furent collectivisés quand les communistes prirent le pouvoir. Là vit la famille Zemlan : à travers les souvenirs du père, Dimitriu, nous remontons dans le passé de la Roumanie, la Seconde Guerre mondiale, la fin de la royauté, la mise en place du régime communiste. Au présent nous vivons le quotidien des fermes socialistes, la dureté du travail, les relations souvent chaleureuses entre les villageois. Avec le fils, Alexandru, nous quittons la campagne pour le monde de l’industrie, les usines automobiles Dacia, puis pour l’armée, l’école de formation des officiers de chars de combat et la caserne : le jeune homme découvre toutes les failles de la société socialiste.

    Grande fresque historique, qui fait la part belle aux sentiments des hommes, aux amours passionnés d’Alexandru et de la belle Ecaterina, qui met en scène une multitude de personnages souvent hauts en couleurs, Terre du Salut raconte un monde qui avait ses grandeurs et ses faiblesses, qui se délite peu à peu et qui s’achève avec la chute de Ceauşescu. »

    www.editionsnonlieu.fr

     

    roman, essai, poésie, Roumanie, Ioan Popa, Marius Popa, Rodica Draghincescu, Grégory Rateau, éditions Non Lieu, Honoré Champion, éditions Caractères, L’Harmattan, PoliromMarius Popa, Présence du classicisme français dans la critique littéraire roumaine. De la révolution de1821 à la fin du communisme. Honoré Champion, 2020

    « Cet ouvrage répertorie, analyse et interprète les références au classicisme français et le rôle qu’il a joué dans la critique littéraire roumaine, depuis la Révolution de Tudor Vladimirescu (1821) jusqu’à la chute du régime communiste (1989). Après avoir replacé la réception du modèle dans le cadre de l’histoire de la Roumanie et de ses relations politiques et intellectuelles avec la France, notamment par une étude de la traduction des classiques français en langue roumaine, suivie d’une analyse généalogique et esthétique du concept de « classicisme français », le volume restitue, dans le contexte de chaque grande époque de la modernité roumaine, puis, pour chacune de ces périodes, à travers l’étude plus spécifique de quelques écrivains et critiques choisis comme les plus représentatifs en cette matière, la persistance et le renouvellement de l’image du classicisme français, lui-même fréquemment perçu et analysé comme l’expression nationale d’un classicisme « universel ». Le cheminement chronologique permet de dégager les trois usages majeurs que la critique roumaine a faits de la référence à cette catégorie esthétique et historique : celui de modèle pour une création littéraire qui se cherchait, celui de critère pour son évaluation et celui d’enjeu dans le cadre des débats suscités par les courants nouveaux qui auront animé la vie littéraire roumaine depuis son émergence jusqu’à la presque fin du XXe siècle. »

    https://www.honorechampion.com

     

    roman, essai, poésie, Roumanie, Ioan Popa, Marius Popa, Rodica Draghincescu, Grégory Rateau, éditions Non Lieu, Honoré Champion, éditions Caractères, L’Harmattan, PoliromRodica Draghincescu, L’adversaire de soie et de cendres, éditions Caractères, 2019.

    « Dans ces poèmes, l'auteure, enfant des campagnes roumaines, se penche sur son parcours et sa vie. » 

    www.editions-caracteres.fr

     

     

    roman, essai, poésie, Roumanie, Ioan Popa, Marius Popa, Rodica Draghincescu, Grégory Rateau, éditions Non Lieu, Honoré Champion, éditions Caractères, L’Harmattan, PoliromGrégory Rateau, Hors-piste en Roumanie, « Récit du promeneur », L’Harmattan, 2016. Traduction roumaine : Hoinar prin România. Jurnalul unui călător francez, Polirom, 2020.

    « De la Roumanie, on ne connaît au fond que le folklore et le mythe du vampire de Transylvanie. Ignoré, quand il n’est pas méprisé, ce pays, intégré dans l’Union européenne depuis 2007, fait l’objet de beaucoup d’a priori. Partant de ce constat, l’auteur, cinéaste de formation, a voulu ‘ en faire une idée neuve. De Bucarest, la capitale, à la campagne reculée, des forêts des Carpates aux plages qui bordent le Danube, l’auteur s’en est allé à la rencontre du hors-piste. »

    www.editions-harmattan.fr

    roman, essai, poésie, Roumanie, Ioan Popa, Marius Popa, Rodica Draghincescu, Grégory Rateau, éditions Non Lieu, Honoré Champion, éditions Caractères, L’Harmattan, Polirom

    www.polirom.ro

  • Anthologie imprévue de poésies roumaines

     

    Poésie, Roumanie, Radu Bata, éditions Unicité, Jean-Pierre Longre

    Le Blues roumain, « anthologie imprévue de poésies roumaines », Éditions Unicité.
    Traduction et sélection : Radu Bata (préface de Jean-Pierre Longre).

    Les auteurs :

     Iuliana Alexa, Dan Alexe, Luminiţa Amarie, George  Bacovia, Ana Barton, Ana Blandiana, Max Blecher, Dorina Brândușa Landén, Emil Brumaru, Artema Burn, Nina Cassian, Mircea Cărtărescu, Mariana Codruţ, Mihaela Colin, Traian T. Coșovei, Silviu Dancu, Carmen Dominte, Rodian Drăgoi, Adela Efrim, Mihai Eminescu, Raluca Feher, Anastasia Gavrilovici, Horia Ghibuțiu, Matei Ghigiu, Silvia Goteanschii, Mugur Grosu, Cristina Hermeziu, Nora Iuga, Vintilă Ivănceanu, Claudiu Komartin, Ion Minulescu, Ramona Müller, Ion Mureșan, Iv cel Naiv, Felix Nicolau, Florin Partene, Elis Podnar, Mircea Poeană, Ioan Es Pop, Alice Popescu, Eva Precub, Petronela Rotar, Ana Pop Sirbu, Radmila Popovici, Octavian Soviany, Nichita Stănescu, Petre Stoica, Ramona Strugariu, Robert Şerban, Mihai Şora, Iulian Tănase, Mihai Ursachi, Paul Vinicius, Gelu Vlașin, Vitalie Vovc, Anca Zaharia

    Parution le 10 mars 2020.


    À partir du 11 mars, on pourra l'acquérir sur le site de l'éditeur, ici -
    http://www.editions-unicite.fr/

    ou commencer à le commander en librairie à partir du
    15 mars.

     

  • Mort et métamorphose

    poésie, francophone, luminitza c. tigirlas, éditions du cygne, jean-pierre longreLuminitza C. Tigirlas, Ici à nous perdre, éditions du Cygne, 2019

    Les brefs poèmes de ce recueil sont dédiés « à l’Amie disparue », mais s’adressent à tous les lecteurs qui veulent bien pénétrer la densité de textes dont les motifs sont portés par une langue « aux mots nouvellement reconquis ». Une reconquête que Luminitza C. Tigirlas mène de livre en livre, de poème en poème, depuis ses propres origines linguistiques. Nous sommes donc sous le signe du renouvellement, en particulier celui des images : c’est « le vin de paille » qui a bu, ou « le deuil [qui] s’habille », non l’inverse ; il se peut que « les cormorans rédigent des testaments » (oui, on peut y lire « corps mourants », ce qui implique bien plus qu’une simple originalité animalière), ou « tu déneiges une métaphore »…

    L’audace des paradoxes (« paroles indicibles », « voix insonores ») va de pair avec les pauses, les blancs, les silences, les respirations musicales, qui permettent au souffle de revenir (« Quel souffle me ranimera ? »), à la vie de « l’Amie » de se re-manifester « ici », quitte à « nous perdre » (« Le souffle d’un ailleurs la prend par la taille »), et de se soustraire « à l’invasion cancéreuse », de passer « de métastase en métamorphose ».

    De même que la nature, les fleurs, parfois les oiseaux répondent à l’appel du « vent floriculteur » qui les porte, de même les mots se laissent porter par leurs sonorités : « à mort » appelle « à morsure » et « Amore », « épier » appelle « expier », « digne » et « cils » appellent « cligne », etc. De la musique encore, qui au-delà du ludisme participe à l’exploration des profondeurs de la vie, de la maladie, de la mort, du manque ; et « seul l’amour n’est pas à perdre ».

    Jean-Pierre Longre

    http://luminitzatigirlas.eklablog.com 

    http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-ici-a-nous-perdre.html

     

  • La poésie, la vie

    Poésie, Roumanie, Paul Vinicius, Radu Bata, Jacques André éditeur, Jean-Pierre LongrePaul Vinicius, La chevelure blanche de l’avalanche, poèmes choisis et traduits du roumain par Radu Bata, Jacques André éditeur, 2019

    On commence avec une « goutte de pluie » et on finit avec « le sens du globe terrestre ». Entre les deux, entre infiniment petit et infiniment grand, et contenu en eux, c’est tout un monde qui se décline en « avalanches » de mots choisis et mêlés et en images foudroyantes et apaisantes, en vers musicaux et en oxymores audacieux (voir « le passé postérieur »), en cauchemars puisés dans « les entrailles des songes » et en synesthésies sonores et colorées.

    La poésie de Paul Vinicius est à la fois limpide, dense, riche, dépouillée, sombre, lumineuse. En plus il faut le croire sur parole : « sans poésie musique et toi / je n’aurais jamais été / qui je suis ». Ce « toi » qui se glisse entre « poésie musique » et « je » ? Suivons-le (la) dans le filigrane des textes, guidés par « ses merveilleuses jambes / d’une longueur extravagante », jambes aux suggestions érotiques et aux résonances musicales, devenant « pianos, clarinettes, saxos, percussions, syncopes… », mais qui ne sont pas les seules à susciter l’amour : il y a les sourires, la nature, les oiseaux, les saisons… L’amour la poésie, quelque chose d’éluardien.

    Comment rendre compte de toutes les dimensions d’un recueil qu’on n’aura jamais fini d’explorer ? Un recueil où les quelques discrètes évocations de la Roumanie rappellent d’où il vient (le choix et la traduction de Radu Bata, lui-même poète français d’origine roumaine, inventeur des célèbres « poésettes », montre combien les affinités profondes entre l’auteur et son traducteur sont indispensables) ; un recueil où métaphores et comparaisons insolites, parfois déstabilisantes, ouvrent des horizons colorés, des paysages urbains nocturnes, des souvenirs « phosphorescents », une nature lumineuse (« septembre est arrivé / comme un chapeau sur un soleil »), des personnages imprévisibles (on se prend à croiser Ionesco, Rimbaud, Brancuşi, Dali, Kafka, Tarkovski…) ; un recueil dans lequel se pose la question de l’identité et du rapport au monde (pour un « je » qui se dit « au degré zéro / d’adaptabilité ») ; un recueil dans lequel, aussi, l’humour mâtiné d’absurde et arrosé de quelques bonnes bouteilles fait bon ménage avec l’inquiétude. Un recueil qui fait vivre, comme le suggère le poème intitulé « Journal aux feuilles blanches » :

    « les jours passent

    à côté de moi

    comme un chapelet de détenus

     

    bonjour

    bonsoir

    bonne nuit

     

    le cendrier

    plein de mégots

     

    le verre vide

     

    et

    sur les étagères

    les livres qui m’habitent

    la vie ».

    Les livres, la poésie. L’essence de la vie.

    Jean-Pierre Longre

    www.jacques-andre-editeur.eu

  • Nouveautés de la rentrée 2019… Chroniques à venir…

    Roman, Poésie, Roumanie, francophone, Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, Irina Teodorescu, Flammarion, Paul Vinicius, Radu Bata, Jacques André éditeurMircea Cărtărescu, Solénoïde, traduit par Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, 2019

    Présentation de l’éditeur :  

    Chef-d’œuvre de Mircea Cărtărescu, Solénoïde est un roman monumental où résonnent des échos de Borges, Swift et Kafka. Il s’agit du long journal halluciné d’un homme ayant renoncé à devenir écrivain, mais non à percer le mystère de l’existence.

    Après avoir grandi dans la banlieue d’une ville communiste – Bucarest, qui est à ses yeux le « musée de la mélancolie et de la ruine de toute chose », mais aussi un organisme vivant, coloré, pulsatile –, il est devenu professeur de roumain dans une école de quartier. Si le métier le rebute, c’est pourtant dans cette école terrifiante qu’il fera trois rencontres capitales : celle d’Irina, dont il tombe amoureux, celle d’un mathématicien qui l’initie aux arcanes les plus singuliers de sa discipline, et celle d’une secte mystique, les piquetistes, qui organise des manifestations contre la mort dans les cimetières de la ville.

    À ses yeux, chaque signe, chaque souvenir et chaque rêve est un élément du casse-tête dont la résolution lui fournira un « plan d’évasion », car il ne s’agit que de pouvoir échapper à la « conspiration de la normalité ».

    http://www.leseditionsnoirsurblanc.fr

     

    Roman, Poésie, Roumanie, francophone, Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, Irina Teodorescu, Flammarion, Paul Vinicius, Radu Bata, Jacques André éditeurIrina Teodorescu, Ni poète ni animal, Flammarion, 2019

    Présentation de l’éditeur :

    Carmen apprend la mort soudaine du Grand Poète, sa seule attache à la Roumanie, au moment où elle traverse un rond-point occupé par un peuple prêt à tout renverser. Alors, elle a comme un éblouissement : les souvenirs d’une autre révolution, conduite par ce poète autrefois dissident, lui reviennent, intacts.
    1989. Elle avait dix ans et écrivait des poèmes à sa « camarade maîtresse» pendant que sa mère, cachée dans la salle de bains, enregistrait des K7 audio à destination d’une amie passée à l’Ouest et que son père échangeait les savons de son usine contre des petits pains. À l’époque, tout cela lui paraissait aussi banal que la folie de sa grand-mère, surveillée depuis toujours par les autorités, ou que les ours des Carpates dont on disait qu’ils mangeaient les enfants.
    De quel genre de vague à l’âme naît une révolution ? Est-ce une impulsion animale ou poétique ? En conteuse aussi insolite qu’inspirée, Irina Teodorescu puise dans les souvenirs vifs de son enfance pour mettre en scène trois générations de femmes - et quelques animaux à leur suite - que rien ne préparait à voir la grande Histoire tout bousculer.

    https://editions.flammarion.com

     

    Roman, Poésie, Roumanie, francophone, Mircea Cărtărescu, Laure Hinckel, éditions Noir sur Blanc, Irina Teodorescu, Flammarion, Paul Vinicius, Radu Bata, Jacques André éditeurPaul Vinicius, la chevelure blanche de l’avalanche, traduit par Radu Bata, Jacques André éditeur, 2019

    Présentation de l’éditeur :

    et tu es tellement tellement belle quand tu dors que j'ai de plus en plus sommeil de toi

    Ce recueil de poèmes choisis brille de mille feux, à l’image de son auteur : entier, vrai, ébloui par la nuit, amoureux comme un soleil noir. Paul Vinicius vit avec la poésie : il sort avec elle, il veille avec elle, il partage avec elle la plus belle étreinte. Il lui boit les mots, il lui panse les blessures, il lui offre sa biographie. Ainsi, souvent, la ligne de démarcation entre Paul Vinicius et la poésie se confond avec l’horizon. Regardez bien : un œil attentif discernera l’ombre de ce grand poète roumain derrière un coucher de soleil. Poète, dramaturge, journaliste et essayiste, Paul Vinicius est diplômé de l’École Polytechnique de Bucarest et docteur ès lettres, la partie visible de son parcours surprenant, car il a exercé de nombreux métiers avant de se dévouer à l’écriture. Champion de boxe, puis karatéka, il a travaillé comme maître-nageur sur la côte de la mer Noire, détective privé, pigiste, correcteur, rédacteur pour la presse nationale et pour la maison d’édition du musée de la Littérature roumaine. Après avoir été interdit de publication en 1987 par la censure communiste, il a renoncé à sa carrière d’ingénieur et son curriculum vitae accompagne les soubresauts de la démocratie survenue en décembre 1989, à la recherche d’un nouveau départ, d’une nouvelle ivresse.

    http://www.jacques-andre-editeur.eu/web

  • Itinéraire du défunt

    poésie,chant,constantin brăiloiu,jacques lassaigne,ilarie voronca,dan octavian cepraga,thierry gillyboeuf,madeleine leclair,jean-pierre longreConstantin Brăiloiu, Ale mortului din Gorj/Les chants du mort, traduits du roumain par Jacques Lassaigne et Ilarie Voronca, préface et notes de Dan Octavian Cepraga, traduites de l’italien par Thierry Gillyboeuf, postface de Madeleine Leclair, éditions La Baconnière, 2018.

    Au cours de l’été 1930, Constantin Brăiloiu, ethnomusicologue, recueillit dans le judeţ de Gorj (sud-ouest de la Roumanie) un certain nombre de chants rituels, témoignages sonores des traditions funéraires.  Il en tira un recueil de treize textes qu’il publia en 1936, et qui illustrent les « étapes de la cérémonie funéraire » et la « survie des traditions religieuses préchrétiennes », comme le note Dan Octavian Cepraga dans sa préface. À partir de là, ce bref volume connut un destin exceptionnel : Ilarie Voronca, poète animateur de mouvements d’avant-garde, ami entre autres de Tristan Tzara, Eugène Ionesco, Constantin Brancuşi, expatrié à Paris dans les années 1930 et devenu poète de langue française, décide en 1939 de le traduire avec l’aide du critique d’art Jacques Lassaigne et de le publier en revue. En 1943, Eugène Ionesco en lit les textes à la radio, et en 1947 Albert Camus les publie en volume. En outre, ils passent en Italie, et Pasolini en utilisa la musique dans la bande son de son film Œdipe Roi. Dan Octavian Cepraga écrit à juste titre : « Partie des villages reculés des Carpates, oubliés de l’histoire, la poésie populaire roumaine se retrouve au cœur des tensions idéologiques et spirituelles de la culture européenne moderne. ».

    poésie,chant,constantin brăiloiu,jacques lassaigne,ilarie voronca,dan octavian cepraga,thierry gillyboeuf,madeleine leclair,jean-pierre longreCompte tenu du destin et du contenu de ces chants, leur réédition en version bilingue est d’un grand intérêt, et c’est ainsi que nous pouvons suivre l’itinéraire du mort, en imaginant les chœurs de femmes qui les exécutaient. Depuis le « chant des aurores » jusqu’à l’inhumation, se déroulent et se fixent différentes étapes : procession, conseils au défunt pour le franchissement de la frontière entre la vie et la mort, offrandes rituelles, plantation d’un sapin sur sa tombe… Les représentations poétiques et métaphoriques défilent au long des vers dont la nature, la vie rurale, le village, les rassemblements populaires sont des thèmes récurrents.

    Et s’il fallait prouver que des voix du peuple émane une pure et vraie poésie, voici au hasard un échantillon de ces Chants du mort :

    Prie, prie tes enfants

    qu’ils aient patience,

    qu’ils ne pleurent pas.

    Tout n’est pas de donner

    mais de patienter.

    Si c’était de donner,

    ton époux te donnerait

    charrue à quatre bœufs

    et laboureur avec,

    afin de t’arracher

    à la noire mort.

    Tout n’est pas de donner

    mais de patienter.

                                          Jean-Pierre Longre

     

    www.editions-baconniere.ch

    http://www.ville-ge.ch/meg/musinfo_ph.php?what=pays=Roumanie&debut=0&bool=AND

  • « Dans le silence du sacré », « ça crée »

    Essai, poésie, théâtre, francophone, Roumanie, Moldavie, Lucian Blaga, Luminitza C. Tigirlas, éditions du Cygne, Jean-Pierre LongreLuminitza C. Tigirlas, Avec Lucian Blaga. Poète de l’autre mémoire, éditions du Cygne, 2019

    Le livre commence avec la Ballade de Maître Manole que la bunica (la grand-mère) de l’auteure lui racontait dans son enfance ; il continue avec Lucian Blaga, dont on connaît bien la poésie, moins bien la philosophie ou le poème dramatique Manole, Maître bâtisseur. Ainsi le titre se justifie-t-il par une sorte d’intimité entre l’écrivain roumain et Luminitza C. Tigirlas. Son propos est de « questionner l’énigme » de ce Maître Manole qui enferma son épouse dans la muraille du monastère dont il avait dirigé la construction, questionnement qui prend « la liberté de certains détours par la position subjective d’analysante » (ce qui permet d’explorer « l’autre mémoire » suggérée par le sous-titre).

    N'entrons pas ici dans le détail de l’analyse. Disons simplement que celle-ci est fouillée, semée de références à Freud et à Lacan, mais aussi à beaucoup d’autres penseurs, philosophes et écrivains (Sophocle, Platon, Ovide, Apulée, Kierkegaard, Goethe, Nietzsche, Dostoïevski, Rilke, Heidegger, Marguerite Yourcenar, Paul Celan, on en passe…). Mais l’érudition n’est pas sèche. La poésie des paysages, de la langue maternelle, des souvenirs personnels, celle du silence et de la parole, cette poésie court en filigrane dans la trame des pages.

    Et sans qu’il y ait conflit avec ce qui précède, le psychanalyse nourrit ici l’étude thématique issue d’une lecture personnelle. Les thèmes de l’amour et de la mort, des mythes fondateurs, du sacrifice, de l’eau (« inséparable de l’humus natal »), du sacré (« ça crée ? ») – tout cela se combine dans une exploration approfondie de l’œuvre de Lucian Blaga et, d’une manière plus large, de l’écriture fondée sur la mémoire. Luminitza C. Tigirlas décompose parfaitement le cheminement de la création et de ses « avancées fécondes » : « La mise en scène d’un personnage tel le maître d’œuvre Manole avec la désignation de son acte par un édifice réel, le Monastère d’Argeş, est présentée comme un miracle. De là ont pris vie différents genres populaires – légende, mythe, ballade – pour nourrir ensuite des exégèses ou inspirer des compositeurs ou écrivains modernes, comme le fit Lucian Blaga. ». Voilà qui incite à la lecture.

    Jean-Pierre Longre

    http://luminitzatigirlas.eklablog.com

    https://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-avec-lucian-blaga.html

    https://www.editionsducygne.com

  • Un lyrisme de rupture

    Poésie, Roumanie, Benjamin Fondane, Odile Serre, Mircea Martin, Monique Jutrin, Le temps qu’il fait, Jean-Pierre LongreBenjamin Fondane, Paysages, poèmes 1917-1923 traduits du roumain par Odile Serre. Préface de Mircea Martin, avant-propos de Monique Jutrin. Le temps qu’il fait, 2019.

    Entre 1917 et 1923, c’est-à-dire avant son installation à Paris, Benjamin Fondane écrivit un certain nombre de poèmes dans sa langue maternelle, regroupés en 1930 sous le titre de Privileşti, terme complexe (comme le fait remarquer Monique Jutrin : « regard, vue, champ de vision ») traduit par Paysages. Ce titre et la thématique de beaucoup de poèmes pourraient faire croire à des évocations de la campagne roumaine, à un lyrisme bucolique dans la tradition du post-romantisme ou du symbolisme. Mais comme le font remarquer à juste titre Mircea Martin et Monique Jutrin, ce recueil est en « rupture » par rapport à ceux dont il semble se faire l’écho (Alecsandri, Eminescu, Blaga…) ; et si l’on y rencontre beaucoup de bovidés rappelant ceux du peintre Grigorescu, ils sont souvent liés à la morbidité de la nature.

    Dans ses « Mots sauvages » (titre de sa préface, on ne peut plus significatif), Fondane lui-même écrit : « Poésie ! Combien d’espoirs j’ai mis en toi ! Quelle certitude, quel messianisme ! J’ai cru en effet que tu pouvais apporter une réponse là où la métaphysique et la morale avaient depuis longtemps tiré les volets. […] J’ai brusquement compris que mon paradis terrestre avec bœufs, abondance, bouse, était mensonge, et mensonge le poème où il se trouvait. Mensonge, Hugo, Goethe ! Mensonge séraphique Eminescu ! Avec Baudelaire et Rimbaud seuls pointait une lueur de vérité. ». C’est un fait : ses poèmes se situent du côté de la « force obscure ». Si les champs, les animaux, la vigne, l’automne, l’amour y sont des leitmotive, ils se présentent sur le mode de l’insolite, de l’expressionnisme, de la séparation, voire du désespoir. Les accents baudelairiens, rimbaldiens, apollinariens résonnent comme « le spleen » (titre de l’un des textes). Les nuages planent « au-dessus du fumier », le taureau et la vache « lancent à la lune des mugissements lents et stupides »… Si lyrisme il y a, il se heurte de plein fouet à la dérision.

    Et si l’amour est invoqué, il se heurte à la mort :

                       « – Aimes-tu, mon amour, les paysans aux semailles

                       et les chevaux morts, morts en ce jour d’été ? »

    Vrai poète, Benjamin Fondane l’est à coup sûr, dès le début. Vrai poète, parce qu’il rompt avec la tradition sans la renier complètement, parce qu’aussi il prévoit, il annonce la mise en route d’une œuvre d’avant-garde nécessitant cette rupture, et prédit en quelque sorte la suite :

                       « Mais un soir viendra où je partirai d’ici,

                       sans savoir très bien où je vais ni même

                       si m’attend la mort putride ou la semence d’une autre vie.

                       Le silence comme un tertre m’ensevelira. »

    Jean-Pierre Longre

    www.letempsquilfait.com

    www.benjaminfondane.com

  • Silence et création

    Poésie, Roumanie, Lucian Blaga, Jean Poncet, Horia Bădescu, Jacques André éditeur, Editura Şcoala Ardeleană, Jean-Pierre LongreLucian Blaga, În marea trecere / Dans le grand passage, édition bilingue. Traduction du roumain et avant-propos par Jean Poncet, postface par Horia Bădescu. Jacques André éditeur / Editura Şcoala Ardeleană, 2018

    L’éditeur lyonnais Jacques André tient ses promesses : le troisième recueil de Lucian Blaga, În marea trecere / Dans le grand passage, traduit comme les précédents par Jean Poncet, vient de paraître. Et voilà le chroniqueur comblé, parce qu’il s’aperçoit qu’il a maintenant sur les rayons de sa bibliothèque trois versions bilingues de ce recueil, initialement paru en 1924 : la première, comprise dans un vaste volume intitulé Poemele luminii /Les poèmes de la lumière et traduit par Paul Miclău pour les éditions Minerva (Bucarest), date de 1978 ; la seconde, intitulée În marea trecere / Au fil du grand parcours, est parue en 2003 aux éditions Paralela 45 (Piteşti) dans une traduction de Philippe Loubière ; et la troisième est celle dont il est ici question. Tout cela pour mettre l’accent sur le succès de Lucian Blaga auprès des traducteurs, des éditeurs et des lecteurs, qui peuvent ainsi disposer de trois traductions du recueil. Chaque traduction de valeur (ce qui est le cas) non seulement contribue à mieux faire connaître l’œuvre, mais l’enrichit de résonances nouvelles.

    Mon intention n’est pas de les comparer, ces traductions (ni évidemment de les hiérarchiser). On aura vu les variations du titre (Philippe Loubière). Un simple aperçu des trois premiers vers du premier poème (« Către cititori », « Aux lecteurs ») suffira à mesurer combien la traduction de la poésie, d’une manière générale, est affaire non seulement de compétence linguistique, mais aussi de sensibilité personnelle.

    Paul Miclău : C’est ici ma maison. Là le soleil, le jardin et ses ruches.

                       Vous passez sur la route, regardez par la grille de la porte

                       et attendez que je parle. – Mais par où commencer ?

    Philippe Loubière :  Ma maison est ici. Derrière

                                          Est le soleil et le jardin avec ses ruches.

                                Vous qui passez sur le chemin,

                                          Vous voyez à travers les barreaux du portail

                                Et guettez mes propos. Par où commencerais-je ?

    Jean Poncet : Ici est ma maison. Là le soleil et le jardin avec ses ruches.

                       Vous qui passez sur la route, vous regardez par la grille du portail,

                       Attendant que je parle. – Par où commencer ?

    À chacun de se faire son idée.

    Par où poursuivre ? Par le volume qui nous occupe principalement dans cette chronique. Dans son avant-propos, Jean Poncet insiste sur le sens du titre et sur la substance du recueil, que ce titre synthétise : le « grand passage » est celui qui mène vers la mort, et dans sa postface, Horia Bădescu évoque ce qui est pour lui le thème central : « la tentation du silence et la sémantique de l’absence ». Face au monde, se taire et disparaître. Poncet et Bădescu, tous deux poètes, perçoivent profondément ce qui est au cœur des vers de Blaga : le pessimisme, qui transforme les prières en mots « amers », l’espérance en aspiration vers le vide. Mais ce pessimisme n’est pas absolu. Si les textes sacrés sont revisités, c’est au profit d’images nouvelles, d’une osmose entre le « je » et la nature :

                                Seul mon sang brame dans les bois

                                à son enfance lointaine

                                tel un cerf fatigué

                                à sa biche perdue dans la mort.

    Et « le mot se fait acte », chantant et bâtissant toujours le village cher au poète (« En vérité l’éternité est née dans le village ») et redisant le goût de la vie simple, dans une présence au monde qui met la contemplation et l’art au-dessus de l’action (« Je danse au-dessus de l’action »).

    Les recueils de Lucian Blaga se suivent sans se ressembler, dans une évolution qui frise la contradiction. Mais une contradiction qui se résout dans une perspective constructive : le cheminement vers la mort, le désir de silence et d’invisibilité ne peuvent passer que par un « être au monde » lyrique et créateur.

    Jean-Pierre Longre

    www.jacques-andre-editeur.eu

    http://scoalaardeleanacluj.ro/wp

    L. Blaga, Au fil du grand parcours.pdf

  • D’Eminescu à Herta Müller

    Mon cadavre aux chiens, anthologie poétique bilingue, traduction du roumain par Nicolas Cavaillès ; éditions hochroth-Paris, 2018

    Herta Müller, Ion ou non, publication bilingue, traduction du roumain par Nicolas Cavaillès ; éditions hochroth-Paris, 2018

     

    Poésie, Roumanie, Mihai Eminescu, Herta Müller, Nicolas Cavaillès, éditions hochroth-Paris, Jean-Pierre Longre                                     Poésie, Roumanie, Mihai Eminescu, Herta Müller, Nicolas Cavaillès, éditions hochroth-Paris, Jean-Pierre Longre

    Deux livres petit format (comme de coutume chez hochroth-Paris) viennent de paraître sous la couverture noire de cette précieuse maison d’édition. Tous deux sont consacrés à de la poésie roumaine.

    Poésie, Roumanie, Mihai Eminescu, Herta Müller, Nicolas Cavaillès, éditions hochroth-Paris, Jean-Pierre Longre

     

     

    Mon cadavre aux chiens est un titre directement inspiré du premier poème présenté dans cette anthologie, la fameuse « Prière d’un Dace » (« Rugăciunea unui dac ») de Mihai Eminescu, dont une strophe émet ces vœux terribles :

                       « Et si je meurs alors, hors-la-loi, étranger,

                       Puisse mon piètre cadavre être jeté à la rue –

                       Et qu’il reçoive de toi, Seigneur, une couronne précieuse,

                       Celui qui excitera les chiens à me lacérer le cœur,

                       Et à cet autre qui me lapidera le visage,

                       Puisses-tu accorder, Maître, de vivre au-delà des âges !

    Poème « de malédiction et d’hostilité à soi », écrit Nicolas Cavaillès. Et les textes qui suivent, sur lesquels planent les ombres du même Eminescu, mais aussi de Nerval (son « soleil noir de la mélancolie ») et de quelques autres, tiennent tous de la prière autodestructrice, de l’adresse à un dieu absent, de l’aspiration à un infini désolant, à un vide mortifère, à la délivrance du néant :

                       « Seigneur. Mon Père. Je veux

                       ne plus jamais avoir de corps. Plus jamais

                       le moindre souffle de vie

                       Plus de corps humain. Plus de destin de femme. Rien

                       Seulement rien.

                       Du rien sans mémoire. Sans douleur

                       Seigneur. Du rien dans le rien de la chute »,

    écrit Marta Petreu. En une composition qui mêle habilement chronologie et thématique, tous les poèmes reproduits ici tournent autour de ce désir d’« éternelle extinction ». Belle occasion de lire ou relire des vers de grands auteurs. Outre Mihai Eminescu et Marta Petreu : Ion Pillat, Lucian Blaga, Leonid Dimov, A.E. Baconschi, Nichita Stănescu, Virgil Mazilescu, Cezar Ivănescu, Dan Sociu.

    *

    Poésie, Roumanie, Mihai Eminescu, Herta Müller, Nicolas Cavaillès, éditions hochroth-Paris, Jean-Pierre LongreParmi les grands, figure en bonne place le Prix Nobel de Littérature 2009, Herta Müller. Née en Roumanie, réfugiée en Allemagne en 1987, elle a écrit ses œuvres dans la langue de son pays d’adoption, à l’exception d’un recueil poétique, Este sau nu este Ion. Recueil de collages, dont huit sont ici reproduits et traduits sous le titre Ion ou non. Ce travail minutieux « de découpage et d’assemblage de mots », qui produit des pages colorées, d’une esthétique mêlant la surprise verbale et l’agrément de l’œil, aboutit à des textes dont la logique et la malice descriptives et narratives s’imposent à l’esprit :

                                « l’été était long

                                m’sieur Petre

                                bouche bée

                                marchait dans la rue,

                                elle était vide.

                                il fermait les yeux

                                à l’intérieur

                                il voyait sa tempe

                                de l’extérieur,

                                il balayait son ombre

                                jusqu’à la gare.

    Un bel objet littéraire et plastique, à conserver soigneusement.

    Jean-Pierre Longre

    www.paris.hochroth.eu

  • Ce que révèle l’Œil Aveugle

    Poésie, Roumanie, George Vulturescu, Jean Poncet, Pierre Guimet, Jacques André éditeur Jean-Pierre LongreGeorge Vulturescu, Les Pierres du Nord, recueil bilingue, traduit du roumain par Jean Poncet, encres de Pierre Guimet, Jacques André éditeur, 2018

    Au départ, on pourrait croire à de la poésie autobiographique, soutenue par le caractère narratif des vers qui s’allongent au fil des souvenirs, des évocations du village, de la nature, des personnages du passé, des fêtes et des légendes de la campagne… Et les deux leitmotive qui parcourent le recueil, qui en forment même l’ossature, tendraient à le confirmer : « l’Œil Aveugle » (cet œil que George Vulturescu perdit accidentellement à l’âge de six ans) et les « Pierres du Nord » (Tireac, le village natal, se situe tout au nord-ouest de la Roumanie, près de Satu-Mare).

    On pourrait le croire. Mais derrière ces détails, au-delà des apparences, se développent d’autres visions, se détachent d’autres éléments, et la poésie est là pour les révéler, pour les mettre au monde, en des images encore inexplorées :

    « Et puis ce fut le matin…

    et un œil doutait de ce qu’il voyait :

    il y avait mille pierres et au-dessus d’elles mille autres pierres

    semblables à des vaches maigres

    qui mangent les vaches grasses de la Genèse. »

    Images pleines, audacieuses, en harmonie avec les encres de Pierre Guimet, saturées ou déliées, suggestives ou abstraites. Et il y a le mystère de la création. Le poème est un monde fait de mots et de lettres qui sont de véritables éléments naturels :

    « Les lettres sont-elles comme des pierres

    sous le pied ? Combien de temps peux-tu marcher

    sur ces pierres ? Ne s’enfoncent-elles pas

    dans le blanc des pages quand tu les lis ? »,

    « et les poèmes, lettre après lettre, sont un champ de bataille. ».

    Comme l’annonce un titre : « Le Devoir d’une lettre est d’obscurcir le sens du mot ».

    Le poète est à la fois témoin, scribe, créateur et gardien de ce monde ; c’est sa raison d’être :

    « Je claque des dents

    et je lis le nom du fou que je suis

    gravé par les éclairs sur les Pierres du Nord

    je me tiens à côté de leurs monogrammes tel le gardien

    du pouvoir monastique des hiéroglyphes. ».

    Les Pierres du Nord n’est pas un simple recueil poétique. C’est ce qu’on appelle un « beau livre », dans toutes ses dimensions : les textes, les illustrations, le format, la disposition, la mise en page qui cache parfois, sous le pli des feuillets, d’autres textes et d’autres illustrations… Un grand travail d’édition, qui vient enrichir la collection « roumaine » de l’éditeur Jacques André : les recueils bilingues de Lucian Blaga (Les poèmes de la lumière, Les pas du prophète), Maman Univers de Vasile George Dâncu – tous dans les belles traductions de Jean Poncet –, Survivre malgré le bonheur de Radu Bata, et d’autres ouvrages annoncés.

    Voir les publications "roumaines" de Jacques André  ici 

    Jean-Pierre Longre

    www.jacques-andre-editeur.eu

  • Un recueil d’Ana Blandiana

    Ana Blandiana, Ma Patrie A4 / Patria mea A4, recueil bilingue traduit du roumain par Muriel Jollis-Dimitriu. Introduction de Jean-Pierre Longre. Black Herald Press, 2018

     

    Un poème que je ne dis pas, un mot que je ne trouve pas
    Mettent en péril l’univers
    Suspendu à mes lèvres.
    Une simple césure dans le vers
    Détruirait le sortilège qui dissout les lois de la haine,
    Les rejetant tous, farouches et solitaires,
    Dans la grotte humide des instincts.

    « Biographie »

     Poésie, Roumanie, Ana Blandiana, Muriel Jollis-Dimitriu, Black Herald Press, Jean-Pierre Longre

    Née Otilia Valeria Coman en 1942 près de Timişoara, Ana Blandiana a été très tôt en butte à la censure, mais a persisté dans sa volonté d’écrire en restant dans son pays, exilée de l’intérieur. Dès le premier recueil, publié en 1964, sa poésie a connu un succès d’autant plus grand qu’elle correspondait à l’état d’esprit et à la sensibilité de lecteurs qui ne pouvaient complètement étouffer leurs interrogations existentielles sous les diktats du régime. Depuis 1990, son œuvre s’est largement étoffée, et elle est considérée comme l’un des auteurs les plus marquants de la Roumanie contemporaine. Autant dire que toute traduction publiée en France contribue à rendre justice à une œuvre qui mérite d’être reconnue internationalement. (Jean-Pierre Longre)

    *

    Orice poem nespus, orice cuvânt negăsit
    Pune în pericol universul
    Suspendat de buzele mele.
    O simplă cezură a versului
    Ar întrerupe vraja care dizolvă legile urii,
    Vărsându-i pe toţi, sălbateci şi singuri,
    Înapoi în umeda grotă-a instinctelor.

    « Biografie »

     

    Pour commander l’ouvrage :

    https://blackheraldpress.wordpress.com/buy-our-titles

    www.anablandiana.eu

    https://blackheraldpress.wordpress.com

  • « Redonner vie »

    Poésie, Roumanie, Vasile George Dâncu, Jean Poncet, Jacques André éditeur, Jean-Pierre LongreVasile George Dâncu, Maman Univers / Universul Mama, traduit du roumain par Jean Poncet, Jacques André éditeur, 2018

    Présentant le recueil, Jean Poncet écrit : « Dâncu, se refusant à tout artifice littéraire comme à tout pathos, y use de la langue la plus simple, la plus quotidienne. ». C’est ce qui saute aux yeux et à l’esprit lorsqu’on lit ces poèmes dont le personnage central, « Maman », est le pivot affectif omniprésent. L’auteur, chantant l’amour qu’il éprouve pour sa mère morte, fait effectivement appel au langage de la vie courante, en des instantanés, des évocations, des descriptions, des scènes qui surgissent de sa mémoire. Un langage qui puise sa poésie dans l’humilité du style et du personnage :

                       « plutôt la vie des humbles et des simples

                       qui vivaient et n’avaient pas de vie

                       comme

                       toi

     

                       toi tu vivais pour les autres

                       Maman ».

    La simplicité n’empêche pas la force des images portées par les mots (les mots ? « des socs / qui nous labouraient le cœur »), la puissance des paradoxes (« Maman est morte ! […] Christ est ressuscité ! », s’écrie-t-on à Pâques ; ou bien : « les cerisiers sont en fleurs toi tu es en terre »). Les vers, souvent narratifs ou descriptifs, évoquent en un même élan la vie présente et passée, l’amour et la mort, la tendresse et l’ingratitude, l’attachement et le remords, l’égoïsme et la générosité… Bref, la vie d’un fils pour qui sa mère a tout fait et qui, ne l’ayant pas toujours reconnu, lui préférant trop souvent les livres, emplit maintenant son cœur et ses pages de cette

    « Maman Univers

    souriant aux enfants

    du monde entier »,

    à qui il n’hésite pas à dire : « ta vie est maintenant ma poésie ».

    Même si la mort est maintes fois évoquée avec gravité, le chant du quotidien n’exclut pas l’humour, ni noir ni rose, plutôt d’un gris soutenu. Par exemple lorsque « Maman » se plaignait de son prénom Gafta (elle aurait bien préféré Agata), ou que sont égratignés au passage fonctionnaires, universitaires ou popes de campagne… Mélancolie discrète et sourire complice… Maman Univers est un beau recueil qui aborde un sujet grave et tendre, qui débusque l’exceptionnel dans le quotidien, qui redonne vie au passé, et qui sous son apparente facilité recèle des harmoniques émouvantes et « universelles ».

    Jean-Pierre Longre

    www.jacques-andre-editeur.eu