Luminitza C. Tigirlas, Noyer au rêve, préface de Xavier Bordes, Éditions du Cygne, 2018
Luminitza C. Tigirlas, née en Moldavie, est psychanalyste et poète. Deux activités qui, sous-tendues par un plurilinguisme dû à ses origines (son premier mode d’expression fut le roumain en caractères cyrilliques imposés par l’occupant russe) et à son adoption de la langue française, se complètent l’une l’autre dans la production de textes dont la profondeur et l’originalité sont inséparables du travail formel.
Le lecteur pénètre dans un monde où se côtoient et se superposent les souvenirs, les résurgences de l’inconscient, les images de la nature, les sensations, les affleurements sensuels, les allusions mythiques – tout en suivant le double fil conducteur annoncé par le titre du recueil, le « noyer » et le « rêve », un fil entrelacé d’images originales et intimes :
« dans mon enfance toutes les noix
s’échappaient de la lune ».
La nature (l’arbre, bien sûr, les feuilles, le vent, l’herbe, le soleil, la rosée, les fleurs…) s’épanouit sur les pages au gré des mots issus du tréfonds, « ces termes enduits de nouvelles couleurs » :
« enfin j’ai pu me pencher sur ma série de mots
peints et pendus au soleil ».
ou encore :
« tes lettres verdoyantes sont lues
tes lettres embrunies me font :
chut ! ».
Entre ses « trois langues », l’auteure « lance des mots instables » dans « la précarité du silence troué » avec leurs formes et leurs sonorités (« Des obus des rebuts des abus » / « dans la soufflante sifflante refusant de s’éparpiller », sans parler de l’ambiguïté du mot « noyer », substantif ou verbe…) et crée sa « langue personnelle », dans laquelle la musique joue sa partition sonore et rythmée, jusqu’à inventer et développer une gamme nouvelle fondée sur des syllabes à découvrir au milieu des vers.
Divisé en trois sections, trois parties autonomes qui, réunies, forment un tout cohérent (« à noix et à nu », « faiseuse de vagues », « flotteurs d’anneaux en écho »), Noyer au rêve demande à être lu et relu : les découvertes poétiques qu’on y fait se méritent et se révèlent, toujours nouvelles, comme lorsqu’on découvre une nouvelle langue.
Jean-Pierre Longre