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Prendre le temps

Invité par le Consulat Général de Roumanie à Lyon, en partenariat avec l’Institut Culturel Roumain de Paris et TVR Iaşi, Matéi Visniec sera à Lyon les 16 et 17 février 2016, au cinéma La Fourmi et à la Maison de l’Europe et des Européens. Pour toutes précisions, voir ICI

Matéi Vişniec, Le marchand de premières phrases, traduit du roumain par Laure Hinckel, éditons Jacqueline Chambon, 2016

Roman, Roumanie, Matéi Visniec, Laure Hinckel, Jacqueline Chambon, Jean-Pierre Longre

Kaléidoscope, n.m. 1. Petit instrument cylindrique, dont le fond est occupé par des fragments mobiles de verre colorié qui […] produisent d’infinies combinaisons d’images aux multiples couleurs. 2. Fig. Succession rapide et changeante (d’impressions, de sensations, d’activités). (Le Petit Robert). Vérification faite par le lecteur des 350 pages qui le composent, Le marchand de premières phrases est bien un « roman kaléidoscopique », comme l’annonce son sous-titre. Succession et retours périodiques de personnages, d’intrigues, d’images, de rêves, de questions, d’aventures auxquels correspondent des styles divers, adaptés aux situations.

Le narrateur, romancier de son état, est à la recherche de la première phrase idéale, et pour cela compte sur Guy Courtois, « marchand de premières phrases », avec lequel il se met à correspondre et qui, dans ses lettres envoyées des plus fameux cafés d’Europe, cite les premières phrases de nombreux romans célèbres d’écrivains de toutes langues. Voilà le fil conducteur, la justification du titre, la trame narrative principale – sorte d’autobiographie littéraire du romancier en quête de sujets et de personnages. Mais se tissent progressivement et en alternance d’autres histoires dont chacune forme peu à peu un tout. Il y a celle de X. qui se réveille dans une ville désertée de tous ses habitants et qui va se lancer dans l’exploration de plus en plus délirante des moindres recoins de ce monde figé ; celle des amours avec une certaine Mademoiselle Ri, à qui sont adressés des poèmes de plus en plus érotiques ; celle de Monsieur Busbib, concierge, qui décide de dresser la liste de tous les problèmes du monde par ordre d’importance. Il y a les rêves, relatés dans des comptes rendus qui poussent à la réflexion et aux classements (« rêves fragmentaires », « rêves persistants » ou « rêves-amortisseurs », « rêves-scénarios ») ; la correspondance échangée entre Guy Courtois et Bernard, qui tient une librairie fourre-tout où ont trouvé refuge le narrateur et Mademoiselle Ri, et qui surveille le travail de l’écrivain. Il y a les incursions dans le passé roumain, avec les souvenirs, notamment, du « restaurant des écrivains » qui, à l’époque communiste, se trouvait dans la Casa Monteoru, où paraissait régner une (toute relative) liberté intellectuelle, qui est devenue pour le jeune poète « la citadelle à conquérir », et dont il s’apercevra plus tard qu’elle était truffée de micros à l’usage des espions de la Securitate. On assiste avec un certain effroi au travail d’une machine à écrire des romans, « Easyteller », et avec empathie à la révolte des écrivains roumains contemporains, qui se mettent en grève pour faire reconnaître au monde leur littérature trop méprisée, trop injustement méconnue, dans l’histoire de laquelle ne figure aucun Prix Nobel !

                   « Assez !

                   Assez du mépris et de l’indifférence de l’Occident

                   pour la littérature roumaine.

                   Écrivains roumains, vous méritez pleinement

                   un prix Nobel de littérature !

                   Ne vous laissez plus déposséder de la reconnaissance mondiale !

                   Exigez la récompense suprême !

                   Exigez la visibilité culturelle !

                   Un Nobel pour la Roumanie – maintenant ! »

 

On l’aura compris, un tel foisonnement romanesque ne se résume pas. Dans ce que Mademoiselle Ri dénonce comme un « incroyable désordre », voire « un tel bordel », chacun trouve ce qu’il cherche, en faveur de la littérature (la vraie), contre une société qui ne fonctionne que sur les automatismes et l’éphémère, une société qui ne sait pas persévérer, et que la littérature pourrait sauver. « Ce qu’est un roman ? Avant tout, c’est une quantité de temps. Quand vous voyez un roman dans une librairie, si vous êtes un peu attentif, vous pouvez évaluer immédiatement la quantité de temps qu’il contient. Et cela dans un double sens : le temps qui a été nécessaire à l’auteur pour l’écrire et le temps qu’il vous faudra pour le lire. ». Le marchand de premières phrases est un roman multiple, qu’il faut absolument prendre le temps de lire, en suivant tous les chemins qu’il propose.

Jean-Pierre Longre

www.actes-sud.fr/departement/jacqueline-chambon 

www.visniec.com

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