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  • « Plus qu’on ne puisse imaginer »

    roman,roumanie,gellu naum,luba jurgenson,sebastian reichmann,éditions non lieu,jean-pierre longreGellu Naum, Zenobia, traduit du roumain par Luba Jurgenson et Sebastian Reichmann, éditions Non Lieu, 2015

    Gellu Naum (1915-2001) est l’une des figures majeures du surréalisme roumain. Étudiant, il fréquenta Breton et d’autres membres du groupe parisien, se lia d’amitié avec Benjamin Péret et Victor Brauner… Revenu à Bucarest, il fonda après la guerre de 39-45, avec Gherasim Luca, Paul Păun, Virgil Teodorescu, le groupe surréaliste roumain, dont l’activité fut rapidement contrecarrée par la dictature. Gellu Naum ne s’exila pas, ou disons que son exil fut intérieur : poursuivi et fragilisé par la bureaucratie et la censure, il s’installa à Comasa, village situé à quelques dizaines de kilomètres au sud de la capitale. C’est là qu’en 1985 il écrivit Zenobia, récit surréaliste et « rhoman » d’amour (orthographe de l’auteur), dont l’héroïne est inspirée par Lyggia, l’épouse tant aimée, dont le livre contient quelques gravures.

    Surréaliste, ce récit l’est assurément : le rêve et la veille, le réel et l’imaginaire, les pressentiments et les surprises, l’amour fou, les « signes » du hasard objectif et la « disponibilité » du sujet, tout est réuni de ce que Breton avait défini bien des années auparavant. Des leitmotive tels que « Je t’aime plus qu’on ne puisse imaginer » poussent d’ailleurs jusqu’au bout la démarche surréaliste. Et l’héroïne, Zenobia, se situe, avec les variations de rigueur, dans la lignée de l’Aurélia de Nerval, de la Nadja de Breton, de l’Aurora de Leiris, voire de la Nébuleuse de Fernand Dumont – ces femmes-fées qui sont le fruit des rencontres réelles et de l’onirisme magique.

    Le livre de Gellu Naum, pour poétique qu’il soit, répond aussi à des critères romanesques, dans sa continuité : retours de personnages identifiés, parcours géographiques circonscrits depuis marécages jusqu’aux marécages en passant durablement par la ville, Bucarest, digressions vers des épisodes imaginaires ou très réels (toutes ces nouvelles du monde qui se précipitent, s’entrechoquent, délivrées par la reproduction textuelle d’entrefilets journalistiques), et le temps qui blanchit les cheveux. Par-dessus tout, l’amour qui demeure fidèlement, jusqu’au bout.

    Une belle réédition, à recommander à l’occasion du centenaire de la naissance de Gellu Naum.

    Jean-Pierre Longre

    www.editionsnonlieu.fr    

    P.S. : Les éditions Non Lieu poursuivent par ailleurs la publication de Titanic, bulletin de l’association Benjamin Fondane, avec le n° 3 intitulé : Vérité et paradoxe, Kierkegaard, Fondane et la philosophie (actes des rencontres d’avril 2014 à l’Université de Namur).

    http://www.benjaminfondane.org/association-benjamin-fondane.php

     

  • Explosante-fixe

    roman,francophone,roumanie,irina teodorescu,gaïa-éditions,jean-pierre longreIrina Teodorescu, Les étrangères, Gaïa, 2015

    Le nouveau roman d’Irina Teodorescu ne laisse pas le lecteur en repos ; c’est tant mieux. De l’image à jamais fixe de la photographie à l’incessant mouvement circulaire de la danse, il doit se frayer son chemin, le lecteur. Et entre les deux formes artistiques, une troisième s’impose, qui fait le lien : la musique, sonore ou silencieuse. En outre, il y a les voyages, les va-et-vient entre Bucarest et Paris, entre la ville étrange et reposante de Kalior (la plus belle, sans doute) et l’Europe – et par-dessus tout, l’amour.

    La narration est multiple, en instantanés, en spirales, en arrêts sur image, en bonds, autour des deux protagonistes. Il y a d’abord Joséphine, petite puis jeune fille franco-roumaine, élevée sous la dictature de Ceauşescu mais pouvant circuler, avec ses parents, entre la Roumanie et la France. Amoureuse de sa professeure de violon, puis passionnée de photographie, elle sacrifie ses études et ses diplômes à cette passion qui lui vaut un succès international. Et c’est le grand amour : celui de Nadia, la ronde danseuse, avec qui elle va tout partager (la vie, l’art, les voyages, les confidences), et qui va peu à peu se raconter elle-même, raconter leur existence fusionnelle. « Pendant quatre ans, Joséphine et moi fûmes un seul corps. Comme des amantes siamoises. ». Et puis les séparations, les retours, la fuite solitaire vers un ailleurs situé entre veille et rêve, un espace à la fois mouvant et immobile.

    Les étrangères (aux autres, à elles-mêmes, au monde) est un roman de l’entre-deux (entre deux pays, entre deux langues, entre deux arts, entre réel et imaginaire, entre fusion et séparation…) et de la quête d’un absolu artistique : photographier l’invisible (la musique, l’intérieur des gens), danser sur le silence, fixer le mouvement – comme l’image « explosante-fixe » de la « beauté convulsive » chère à André Breton. C’est aussi, et surtout, le roman d’une écriture ; celle d’une auteure qui a appris la langue française à l’âge de 19 ans, et qui quinze ans plus tard parvient à la maîtriser au point de la rendre malléable, et, tout au long de ces 200 pages, d’adapter son style à celui des protagonistes, de leur âge, de leurs préoccupations, de leur tempérament. Laisser leur liberté d’expression à ses personnages, voilà un bel idéal romanesque.

    Jean-Pierre Longre

    www.gaia-editions.com  

     

  • L’ombre du temps

    Horia Badescu, Roulette russe, Chants de vie et de mort, peintures d’Anne Slacik, L’herbe qui tremble, 2015

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    « Chaque poème est un battement de cœur

    Dans chaque battement de cœur vit la mort ».

    Ainsi finit le premier poème, qui donne son titre au recueil. L’apparente opposition entre vie et mort, transformée par la plume du poète, n’en est plus une, tant les deux sont étroitement  unies :

    « Heureux sois-tu

    toi dont l’âme est emplie de morts.

    Ils sont là plus vivants

    que jamais. »

    Cette unité commande la thématique centrale, celle du temps, le « vieux Chronos » qui apporte « l’obstination » de la vieillesse, et qui préside à tout : l’ombre et la lumière, la joie et la tristesse, les « comptes obscurs » des jours, des heures, des années, les traces des visages croisés, des sentiments éprouvés, les paysages, la nature, cette nature qui entretient un lien intime et sacré avec l’humanité : le « frère vent », la « sœur pluie », « la poussière qui se souvient », et

    « Le brin d’herbe dans le ventre

    Du frimas

    Avant qu’il ait gagné

    L’immortalité ».

    Oui, l’immortalité que suggèrent les profondes et infinies peintures d’Anne Slacik illustrant le recueil, la langue à la fois limpide et dense de Horia Badescu, et l’épitaphe finale, en une fusion de la vie et de la mort :

    « Même la mort

    pareille à sa bien-aimée

    l’a charmé ! ».

     

    Jean-Pierre Longre

    http://lherbequitremble.fr

     

  • Entre philosophie et littérature

    philosophie,littérature,roumanie,benjamin fondane,monique jutrin,parole et silenceBenjamin Fondane, Entre philosophie et littérature. Textes réunis par Monique Jutrin, Parole et silence, 2015

    Présentation de l’éditeur :

    « Benjamin Fondane avait songé à réunir ses articles en volume, ainsi qu’il le rappelle dans son testament littéraire de Drancy. Aussi, en rassemblant ces textes épars, auxquels sont joints des inédits, nous avons la sensation de réaliser un vœu de l’auteur.

    Si ces écrits des années vingt et trente peuvent intéresser le lecteur d’aujourd’hui, c’est que Fondane y a pris position dans les grands débats de son époque, tant littéraires et philosophiques qu’idéologiques : à propos de Dada et du surréalisme, du marxisme, de la psychanalyse, des liens entre poésie et métaphysique, de la lecture de Rimbaud ou de Lautréamont, pour ne citer que quelques sujets.

    Un grand nombre d’articles qui se présentent comme des comptes rendus sont en réalité des textes polémiques où Fondane se mesure à un auteur ou à une idée. Dès l’abord, nous sentons qu’il traque quelque chose, qu’il est à l’affût, et son diagnostic est souvent implacable. Il en veut à ceux qui désirent conclure à tout prix et prétendent résoudre les contradictions, et  pourfend ceux qui tentent de mesurer l’art à l’aide de schémas grossiers, le soupesant à l’aide de systèmes établis. Il s’agit toujours d’une lecture profondément engagée, souvent aimantée souterrainement par la pensée de Léon Chestov.

    Fondane suit les consignes de Nietzsche, pour qui l’art de la lecture réside dans la faculté de ruminer : transformer, pour s’en nourrir, le texte d’autrui et en faire son propre matériau. En refermant ce livre, le lecteur reste impressionné par le vaste champ de connaissances de l’auteur dans des domaines aussi divers. Mais avant tout s’inscrivent en lui la voix de ce lecteur singulier, à qui rien n’est indifférent, le regard incisif de celui à qui rien n’échappe. »

    www.paroleetsilence.com